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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Gilles Vergnon / Maquis des Glières / Guingouin
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| À la Une : Maquis, du mythe à l’histoire par GILLES VERGNON
à propos des livres de Claude Barbier, Le maquis de Glières. Mythe et réalité , Perrin, 2014, 466 p., 24,50 € et Fabrice Grenard, Une légende du maquis. Georges Guingouin, du mythe à l’histoire , Vendémiaire, 2014, 608 p, 26 €
Article paru à la Une de L’OURS n°441 (septembre-octobre 2014)
Dans le renouvellement de l’histoire de la Résistance, esquissé dans les années 1990 par des travaux sur les principaux mouvements1, puis les réseaux, les maquis sont longtemps restés le parent pauvre de la recherche, si l’on excepte les travaux de François Marcot sur le Jura et les nôtres sur le maquis du Vercors. Saluons donc la parution presque simultanée de deux livres issus de travaux universitaires : une thèse pour Claude Barbier, une habilitation à diriger des recherches pour Fabrice Grenard, toutes deux encadrées par Olivier Wieviorka.
Leurs objets d’études, séparés par des centaines de kilomètres et des cadres géographiques et politiques très différents (la « montagne limousine » où le PCF est déjà fortement implanté avant-guerre n’a guère de rapports avec la Haute-Savoie, frontalière de la Suisse et imprégnée de catholicisme) ont un point commun : ils sont tous deux devenus précocement des objets de légende, recouverts d’une épaisse sédimentation mémorielle, jamais vraiment forée… Légende gaulliste pour le maquis de Glières, magnifié par le verbe d’André Malraux en 1973, remobilisée par les visites annuelles de Nicolas Sarkozy de 2007 à 2013 au nom du refus de la « repentance », auxquelles s’opposèrent des « Citoyens Indignés » au nom de la Résistance, brandissant eux aussi le souvenir de Glières… Légende rouge et noire pour Georges Guingouin, honoré par le « groupe de Tarnac », qui diffuse dans son « Magasin général » une carte postale ainsi légendée : « C’est pas Julien, c’est l’esprit de Guingouin qui arrête les trains » ! Versant adret, la légende (à laquelle Guingouin contribua largement lui-même) en fit un dissident avant l’heure, défenseur d’une « autre ligne » dans le PCF en 1939-1940, puis le « Tito du Limousin » en 1944, enfin dans les années 1970 le tenant d’un « autre communisme », version chinoise ou yougoslave. À l’inverse, la légende noire, illustrée dans le feuilleton « Limousin terre d’épouvante » du Populaire du centre en 1953-1954 par Jean Le Bail, en fit un sanguinaire terroriste, coupable ou complice d’exactions et d’exécutions sommaires. Dernier point commun, le travail des auteurs, qui ont mobilisé tous les fonds d’archives aujourd’hui disponibles : archives départementales et nationales, archives du PCF pour Guingouin, des services spéciaux gaullistes et alliés, sans compter les archives allemandes, indispensables pour le point de vue de l’occupant.
Les deux ouvrages apportent incontestablement beaucoup de nouveau sur des sujets aussi apparemment connus que controversés, quitte à faire eux-mêmes grincer quelques dents…
Les Glières, un maquis exceptionnel
Claude Barbier entend inscrire l’histoire de Glières dans une chronologie longue de l’histoire régionale, comme dans une chronologie courte de l’histoire de l’Occupation et de la Résistance. On appréciera les pages sur le méconnu « soulèvement savoyard » de mars 1943, où plusieurs centaines de jeunes réfractaires gagnent les hauteurs du Chablais pour échapper au STO. L’épisode, « gonflé » par la presse suisse, qui le transforme en prémisse d’un soulèvement armé, puis par Maurice Schumann exaltant la « Légion des montagnes » sur les ondes de la BBC, a des conséquences décisives. Un mélange de rumeurs, de fausses informations et de « guerre psychologique » contribue à produire du réel et à faire de la Haute-Savoie, ainsi magnifiée, une terre d’accueil pour les réfractaires de tout le pays, ce qui amène la concentration d’importantes forces de répression. Sur les quelques semaines du maquis de Glières (janvier-mars 1944), l’ouvrage pointe bien son caractère exceptionnel dans la chronologie de la Résistance française et des maquis, des concentrations d’hommes (et une « militarisation ») équivalentes ne s’observant qu’après le 6 juin. Beaucoup (et l’auteur lui-même !) se sont focalisés sur la « non-bataille » du 26 mars 1944, quand le capitaine Maurice Anjot décide, après une reconnaissance allemande, de disperser le maquis, devançant l’attaque prévue le lendemain : il n’y eut ainsi pas de vraie « bataille des Glières », ce que l’on savait d’ailleurs déjà depuis le livre d’Alain Dalotel (Le maquis des Glières, Plon, 1992), même si la démonstration était moins précise. Ce n’est cependant sans doute pas là que résident les principaux apports du livre de Claude Barbier. Il montre d’abord l’inefficacité et la porosité de l’appareil répressif de Vichy (Garde, GMR et gendarmerie), soumis à la pression allemande, et qui cherche longtemps à éviter l’affrontement. Pour l’occupant, pour qui c’est la deuxième grande opération militaire contre les maquis en France, après Korporal dans l’Ain (février 1944), c’est surtout la première et la dernière opération conjointe avec les forces de Vichy, jugées dès lors inefficaces : les opérations ultérieures, dans l’Ain, le Jura, le Vercors et l’Oisans jusqu’en août 1944 seront planifiées, organisées et, pour l’essentiel, mises en œuvre par la seule Wehrmacht et ses supplétifs.
Guingouin, le dissident
L’ouvrage de Fabrice Grenard entend, lui, restituer un itinéraire, depuis l’avant-guerre où s’affirme le militant Georges Guingouin dans la France du Front populaire jusqu’à la celle du XXIe siècle, où il décède en 2005, presque unanimement célébré. Homme d’un terroir, la montagne limousine de Haute-Vienne où il est affecté comme instituteur en octobre 1935, date de son adhésion au PCF, c’est dans ces années qu’il tisse un réseau de contacts, qui sera le substrat de son action jusqu’au printemps 1944. Il ne conteste pas la ligne du PCF en 1939-1940, et son « Appel à la lutte » d’août 1940 ne s’écarte guère de la matrice forgée par la direction du parti : « Pas plus l’Anglais que l’Allemand » écrit-il encore en 1941. Mais Guingouin est aussi un « cabochard » qui ne se soumet pas quand il estime avoir raison. Ainsi, au printemps 1942, il refuse la priorité à l’action urbaine, estimant que le monde rural (du moins en Limousin) offre plus de ressources pour la lutte armée. C’est le point de départ de sa dissidence et du « maquis Guingouin », autonome par rapport à la hiérarchie communiste jusqu’en juillet 1944, mais aussi par rapport à l’Armée secrète ou au SOE britannique, même s’il a des contacts avec ces derniers. Fabrice Grenard fait justice au passage de plusieurs mythes. Le maquis Guingouin entretient un rapport complexe avec la population rurale, un mélange de complicités, d’accommodement, à la fois volontaire et contraint, et de peur de la « loi du maquis ». Les exécutions de « collaborateurs » ou présumés tels, évaluées par Fabrice Grenard à une quinzaine de victimes, restent dans la norme de ce que l’on connaît ailleurs, même dans un maquis aussi différent que le Vercors. La culture révolutionnaire de Guingouin ne l’a pas conduit à des pratiques de violence inconsidérée. De même, la « taxation patriotique » des prix agricoles par le « préfet du maquis » n’est pas son apanage, l’AS ayant adopté de telles pratiques dans la Corrèze voisine. Enfin, l’auteur relativise l’importance des combats du Mont Gargan fin juillet 1944 qui ne furent pas la « victoire militaire » revendiquée, même si les maquisards firent bonne figure et évitèrent la destruction. L’ouvrage, qui fait justice des accusations portées contre Guingouin, consacre enfin une partie substantielle à l’après-guerre, de son exclusion ignominieuse du PCF à sa « réhabilitation » par Robert Hue en 1998, en passant par son activité politique aux côtés d’Auguste Lecœur en 1957-1958, et à la construction de sa légende locale et nationale. Différents dans leur objet d’étude et leur écriture, investiguant des sujets devenus légendaires, ces deux livres appellent naturellement tous deux la discussion. Mais ils rappellent qu’à l’heure où la glose se substitue parfois au travail sur sources primaires, rien ne remplace le recours à celles-ci…
Gilles Vergnon
(1) Encore qu’un mouvement aussi important que l’OCM (Organisation civile et militaire), où milita Guy Mollet, n’a pas retenu l’attention des historiens depuis Arthur Calmette (L’OCM, Histoire d’un mouvement de Résistance de 1940 à 1946, PUF)… en 1961 ! Mêmes remarques sur des mouvements comme Ceux de la Résistance ou Ceux de la Libération…
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