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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Socialisme / Bergounioux-Chamouard / Ferhat Grange
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Le socialisme saisi par le local par ALAIN BERGOUNIOUX
À propos du livre d’Aude Chamouard, Une autre histoire du socialisme. Les politiques à l’épreuve du terrain, préface de Serge Berstein, CNRS Éditions, 2013, 346 p, 25 €
Article paru dans L’OURS n°427, avril 2013, page 3.
Ce livre reprend le texte retravaillé d’une thèse, soutenue en 2010, sur « Les maires socialistes dans l’entre-deux-guerres : une expérience réformiste du pouvoir ? », et offre un panorama des évolutions intervenues depuis 1945 jusqu’à nos jours pour arriver à « l’hégémonie urbaine » des années 2000. C’est dire l’intérêt d’une étude qui présente une synthèse inédite sur ce qui a été caractérisé sous la notion de « socialisme municipal ».
On connaît l’importance de cette réalité pour le développement du socialisme depuis la fin du XIXe siècle, déjà explorée dans la thèse et les travaux de Rémi Lefebvre. Cela a été la forme d’implantation privilégiée des partis socialistes successifs, avec des moments d’extension, les années 1890, les élections municipales de 1935 et de 1945, celles de 1977 et de 2008, et des périodes de repli dans les années 1950 et 1960, et aux élections de 1983. Il y a ainsi évidemment des cycles politiques – mais, même dans les périodes difficiles, l’implantation municipale a été une condition clef pour le maintien du socialisme comme une force politique nationale.
Une étude sociétale du socialisme Aude Chamouard, avec une belle maîtrise, mêle plusieurs types d’enquêtes historiques. Son livre offre des contributions à l’histoire du socialisme évidemment, également à celles des institutions républicaines, des politiques publiques, du personnel municipal. L’ambition est de livrer une étude sociétale du socialisme pour juger des rapports qui se sont noués entre les réalités locales et les positions nationales. La thèse de l’auteure est que le réformisme municipal a eu et a une influence majeure sur l’évolution d’ensemble du socialisme. Cela l’amène à relativiser les débats nationaux et, tout en rendant compte de la recherche d’une identité politique spécifique des socialistes, particulièrement dans l’entre-deux-guerres, à accorder une importance première dans le « système d’action socialiste » au réformisme municipal. Il y a donc deux centres d’intérêt dans ce livre. Le premier pour prendre la mesure du socialisme municipal dans ses principales dimensions, le second pour redéfinir les caractères de l’histoire du socialisme français.
Le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les politiques socialistes est évidemment important : contraint et limitatif dans l’entre-deux-guerres, élargi après 1945, malgré la tutelle préfectorale, transformé par les lois de la décentralisation en 1982. Il y a donc une montée en puissance des maires qui ont joué un rôle de plus en plus important dans les politiques publiques. Mais cela n’est pas propre aux seuls socialistes. L’examen des politiques municipales met en évidence des spécificités socialistes dans l’entre-deux-guerres, qui caractérisent les mairies socialistes étudiées, l’augmentation des budgets municipaux et l’invention de nouvelles taxes (les « centimes additionnels »), le recours à l’emprunt pour investir dans les équipements sanitaires, éducatifs, sociaux, dans le logement et dans l’urbanisme, une aide importante aux chômeurs. Mais, on ne peut pas parler de simples politiques de gestion. Les maires socialistes revendiquent, en effet, une politisation de leur action dans l’entre-deux-guerres, ils sont souvent présents dans le soutien aux grèves, les manifestations de défense républicaine, le soutien aux républicains espagnols après 1936. Ils ont construit des réseaux à partir des sections socialistes, mais avec également tout un ensemble d’associations, les loges de la franc-maçonnerie, les coopératives et les mutuelles. Les liens avec les syndicats varient selon les configurations politiques et sociales locales, mais ils ont pu être étroits. Les analyses concernant Lens et Toulouse dans l’entre-deux-guerres, Marseille après 1953 sont tout à fait parlantes. Dans les terres du radicalisme, les municipalités socialistes ont repris volontiers son héritage, mais elles ont su s’adapter également aux sociabilités politiques et culturelles préexistantes. L’exemple de la conquête des grandes villes de l’Ouest à partir des années 1970 est illustratif. Tous les chapitres qui portent sur ces questions, bien renseignés par un dépouillement approfondi des archives municipales dans l’entre-deux-guerres, apportent des connaissances nouvelles et concrètes.
Le local et le national Reste la question de bien mesurer l’interaction entre le « local et le national ». Il est incontestable que l’action municipale depuis la fin du XIXe siècle et de manière de plus en plus nette au fil des décennies, a un effet de « socialisation républicaine » pour les socialistes. Mais, il n’empêche que l’exercice du pouvoir national a longtemps divisé les socialistes. C’est incontestable jusque dans les années 1970. Il est ainsi difficile de suggérer que le Front populaire est « l’aboutissement d’un processus préparé par des décennies d’exercice du pouvoir municipal ». La causalité du Front populaire doit beaucoup plus à Staline… Et ses conditions de possibilité ont relevé fondamentalement de la politique nationale. De même, si le réformisme municipal était totalement prégnant, pourquoi les socialistes, et les élus comme les militants, ont-il fait leurs la « rupture avec le capitalisme » dans les années 1970 ? Pensons au jeune Jean-Marc Ayrault, maire de Saint-Herblain en 1977, et lieutenant de Jean Poperen… Les maires de la SFIO, et du PS, même s’ils ont pratiqué le même type de politiques municipales ont pu se retrouver dans des camps idéologiques opposés. Guy Mollet était aussi maire d’Arras… Les rapports entre l’identité municipale et l’identité socialiste sont plus complexes que la thèse du livre ne le laisse entendre. C’est là qu’une réflexion plus approfondie sur la nature des partis socialistes, avec les évolutions et les transformations qui se font autour des années 1970, aurait été utile.
Un parti est, certes, un ensemble de relations sociales institutionnalisé, mais il obéit à des régulations internes et externes propres. La politique ne se réduit pas au social. Les socialistes se sont construits – et cela pendant plusieurs générations – autour et par une identité politique contradictoire qui ne pouvait pas s’identifier seulement au républicanisme. Cela explique que l’évolution du socialisme n’a pas été jusqu’à présent linéaire, mais a connu des cycles politiques divers. Cela amène une interrogation sur la notion de réformisme qui n’est pas univoque. Même si, aujourd’hui, le Parti socialiste est le premier parti territorial et est pleinement un parti de gouvernement – ce qui était encore discuté dans les décennies précédentes – l’accord ne se fait pas sur ce que doit être une culture réformiste. Le rapport à l’entreprise reste problématique. Et il n’y a pas une voix unifiée des maires socialistes dans les débats actuels. Mais c’est le propre des bons livres d’apporter des connaissances nouvelles et d’ouvrir des débats suggestifs qui rebondiront au fil des études nouvelles.
Alain Bergounioux
Les caractères des socialismes par ISMAIL FERHAT
À propos du livre dirigé par Juliette Grange, Pierre Musso, Les socialismes, Lormont, le Bord de l’eau, 2012, 388 p, 24 €
Article paru dans L’OURS n°427, avril 2013, page 3.
Depuis le XIXe siècle, la notion de socialisme est devenue inséparable de la vie sociale, culturelle et politique de l’Europe. Le mot évoque – probablement de moins en moins d’ailleurs – un chapelet d’images et de symboles historiques : le mouvement ouvrier, la grève, les revendications à la dignité humaine, Jean Jaurès, le drapeau rouge… Mais au-delà de ce patrimoine, qui tend à s’effacer lentement, quelles sont les caractéristiques communes et pérennes du « socialisme », des utopistes des années 1830 au New Labour des années 1990 ? C’est cette question doublement épineuse – intellectuellement, mais aussi politiquement – qui est au cœur du colloque de Cerisy (27 juin au 4 juillet 2011). Comme le soulignent les coordinateurs de l’ouvrage, Juliette Grange et Pierre Musso, le socialisme est une notion polysémique, d’où l’usage du pluriel dans le titre. De même, le colloque fait le pari du dialogue des disciplines, droit, histoire, sociologie, science politique et philosophie.
Interactions En effet, le socialisme a eu des conséquences dans l’ensemble des domaines sociaux, et interagit avec d’autres idéologies (progressisme, radicalisme, républicanisme, libéralisme). Pierre Crétois montre ainsi comment les juristes solidaristes de France (Léon Bourgeois, Léon Duguit) ont élaboré l’idée d’une « destination sociale » des biens privés, ouvrant la perspective aux services publics et à un État re-distributeur. De même, Vincent Peillon souligne combien le socialisme français s’est lové dans un cadre républicain, se nourrissant de la République dont il est devenu l’un des plus fervents défenseurs, notamment en termes de laïcité et de sécularisation.
Le socialisme est pluriel aussi : comme le montrent Emmanuel Jousse et Jean-Numa Ducange, les débats doctrinaux fondateurs du socialisme hexagonal pèsent lourd sur sa trajectoire, notamment dans son rapport au « grand frère » allemand. Thierry Mérel rappelle combien le premier socialisme français, du XIXe siècle au déclenchement de la Première guerre mondiale, s’insère dans un contexte international. Les analyses d’autres socialismes, ainsi ceux d’Italie (Gilda Manganaro Favaretto) sont faites, notamment au travers de la figure aussi citée qu’en fin de compte mal connue de Gramsci.
Enfin, l’actualité favorise la fragmentation des socialismes sur des questions fondamentales. Ainsi, le rapport du socialisme à l’écologie n’est pas simple, tant son origine productiviste est prégnante. De même, le retour du libéralisme des années 1980 a affaibli la cohérence des gauches socialistes à travers l’occident (Yann Moulier Boutang, Christian Laval). L’ouvrage souligne dès lors un paradoxe fort : si le socialisme a survécu depuis des décennies, le temps présent constitue un défi inédit par son ampleur. En effet, il déstabilise comme jamais le corpus et les idéaux des socialistes, au travers de prismes multiples (questions dites « sociétales », rapport à la nature, capacité à maintenir un idéal de progrès qui ne soit pas celui de l’ordre marchand…). N’est-ce pas face à ces questionnements, dès lors, que le socialisme doit prouver qu’il a un avenir ?
Ismail Ferhat
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