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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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A. Bergounioux : Pourquoi enseigner l'histoire
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Article paru dans l'OURS 416
Droit d'inventaire n� 8 : La France est-elle malade de son histoire ?
L�enseignement de l�histoire est dans une situation paradoxale. D�un c�t�, en effet, il para�t bien assur�. La France est un des rares pays o� tous les �l�ves suivent un enseignement d�histoire et de g�ographie sur l�ensemble de la scolarit�, de l��cole primaire � la fin au lyc�e. �videmment, les fluctuations d�horaires peuvent avoir lieu. La suppression r�cente de l�histoire et de la g�ographie en terminale scientifique a provoqu� un certain �moi � et l�on peine � en trouver la justification si cet enseignement (comme il est dit officiellement) a un r�le essentiel dans la formation du citoyen. Cependant, au total, au moins depuis 1945, l�horaire global attribu� � l�histoire et � la g�ographie a peu vari� : il tourne autour de 8 � 10 % des horaires de l�enseignement scolaire. De mani�re plus g�n�rale, tout le monde (ou presque) aujourd�hui s�accorde pour penser qu�il faut � apprendre de l�histoire �. Les d�saccords commencent �videmment pour savoir quelle histoire apprendre et comment l�apprendre. L�, �galement, les controverses ne sont pas neuves. Mais, depuis au moins une bonne vingtaine d�ann�es, les interrogations sont fortes. Si l�image de la discipline est bonne chez les �l�ves d�apr�s les enqu�tes qui ont �t� r�alis�es, elle est per�ue, malgr� tout, le plus souvent comme un enseignement trop r�p�titif qui fait appel essentiellement � la m�moire. Les enseignants appr�cient leur discipline, mais souffrent de la perte de sens qu�ils constatent, l�histoire n�apparaissant pas comme une � science � bien constitu�e, en butte souvent � la concurrence accrue des discours m�diatiques et � la pression des exigences m�morielles. L��clatement de l�historiographie savante en de nombreux objets �loigne l�enseignement scolaire des pratiques de l�enseignement sup�rieur et de la recherche qui ne constituent que peu une aide. Les professeurs peinent souvent � mettre au jour les fils conducteurs d�un enseignement qui correspondrait aux ambitions que l�on place en lui. L�opinion � une grande majorit� de parents � n�a tendance � juger de l�enseignement actuel que par rapport � ce qu�ils ont connu eux-m�mes (avec le filtre du souvenir). Les politiques, enfin, n�ont tendance � se saisir du probl�me que sous la pression d�un d�bat m�moriel, demandent le plus souvent alors que la cause ou le probl�me en question trouvent leur place dans l�enseignement. Ce qui peut �tre tout � fait justifi� � avec la question de l�esclavage par exemple � ou condamnable � avec le � bilan positif de la colonisation � comme en 2005, exigence heureusement abandonn�e. Les charges s�alourdissent ainsi sur des programmes qui, au fil du temps, doivent faire place � davantage de questions historiques, d�aires de civilisations, de perspectives culturelles, alors que les horaires n�augmentent pas et m�me parfois diminuent�
Il n�est, d�s lors, pas �tonnant qu�une certaine confusion r�gne et que des interrogations l�gitimes se d�veloppent sur la pertinence actuelle de l�enseignement de l�histoire. C�est pour cela que nous avons voulu aborder ce probl�me dans � un droit d�inventaire � consacr� � la situation actuelle de l�histoire d��ducation. Parce que nous pensons, dans la gauche socialiste � et encore �videmment, avec plus de force � l�OURS � qu�il ne peut pas y avoir de projet collectif d�avenir sans une �ducation historique qui permette, par une r�flexion sur les actions pass�es, analys�es comme telles, de faire comprendre comment les hommes agissent et pourquoi les �v�nements arrivent. Les diff�rents articles de ce dossier apportent des �l�ments de r�ponse. Pour ma part, je pense qu�en la mati�re il faut revenir clairement sur ce qui peut �tre compris et attendu en termes de finalit� civique d�un enseignement de l�histoire aujourd�hui et r�fl�chir sur les conditions et les voies concr�tes de l�enseignement. Car, rien n�est plus st�rile que de se contenter d�injonctions g�n�rales� Quelques r�flexions seulement sur chacun de ces points.
Histoire et construction de l��tat-nation En arri�re-fond des d�bats actuels, malgr� le temps �coul�, il y a encore la m�moire de la p�riode, o� la fonction civique de l�histoire �tait �vidente. La syst�matisation de la pr�sence de son enseignement, coupl� avec celui de la g�ographie, a �t� concomitante avec la construction de la nation, nous devrions dire, de l��tat-nation. La d�mocratie r�publicaine, en effet, s�est nourrie de rappels historiques enracin�s dans une double culture : l�antiquit� gr�co-romaine, d�une part, dans les lyc�es, mine in�puisable de mod�les, et r�f�rence culturelle dominante dans les �lites ; d�autre part, le r�cit du cheminement de la nation, � l��cole primaire (reprise �galement au lyc�e), du serf m�di�val et des bourgeois des communes, dont l�alliance se noue finalement en 1789, pour mettre un terme � l�Ancien R�gime et annoncer l�aube de la libert� que la R�publique consacre. Dans le m�me temps, l�expansion coloniale d�ployait l�influence civilisatrice de la France dans le monde. La g�ographie �tait l�auxiliaire indispensable d�une histoire qui inscrivait la colonisation dans la logique d�un rayonnement, � la fois, spirituel et mat�riel de la nation.
Cette coh�rence a mis du temps pour se d�faire. Le doute a �t� pr�sent d�s l�entre-deux-guerres pour remettre en cause cette vision t�l�ologique de l�histoire. Mais, ce sont les divisions nationales et les d�sillusions entra�n�es par la Seconde Guerre mondiale, et une d�colonisation difficile, qui ont fini par l�emporter. L�histoire savante, quant � elle, particuli�rement celle des Annales, a d�nonc� un enseignement trop centr� sur l��v�nement et les grands hommes, le passage d�un r�gime politique � l�autre qui ignorait les rythmes de l��conomie et du social, un enseignement par ailleurs trop �troitement hexagonal. Depuis la fin des ann�es 1960, au moins, deux s�ries de questionnements n�ont cess� de commander la d�finition des programmes d�enseignement et leur mise en �uvre p�dagogique. Comment r�inventer une approche qui prenne en compte la nouvelle place de la France dans le monde et la diversit� de celui-ci et comment rassembler les �l�ments qui dessinent une nouvelle culture d�appartenance dans une soci�t� diversifi�e ? Comment d�passer une p�dagogie reposant par trop sur une m�morisation passive pour permettre une mise en activit� historique (et g�ographique) des �l�ves tenant compte des apports m�thodologiques de ces � sciences humaines � ? Tous les programmes qui se sont succ�d� depuis ont tent� de r�pondre � ces probl�mes.
Forger le sens critique L�enseignement de l�histoire, �videmment, a continu� de r�pondre aux demandes sociales et politiques. Il a fait ainsi sa place, ne serait-ce que dans les derni�res ann�es, au � fait religieux �, au probl�me de l�esclavage, aux probl�mes de la colonisation, � l�histoire de l�immigration, etc. Mais, pour les enseignants, la l�gitimit� de leur enseignement tient � ce qu�il repose avant tout sur une d�marche scientifique. La finalit� civique, qu�ils revendiquent, est de former essentiellement au raisonnement critique et non de transmettre une vision particuli�re. Au relatif �clatement de l�histoire savante aujourd�hui, et aux usages diversifi�s qu�il est fait de l�histoire dans notre soci�t�, correspond ainsi une difficult� � construire dans l�enseignement un cadre d�ensemble unifiant les programmes et dessinant un sens.
Le r�le de � passeur � des historiens, donc des professeurs d�histoire, � entre les morts et les vivants � pour reprendre une expression de Marc Bloch, demande aujourd�hui � �tre explicit�. Ne pas le faire a n�cessairement des cons�quences p�dagogiques. Le privil�ge donn� ainsi � l�usage des documents en classe, qui a permis justement de rompre avec la � passivit� � des �l�ves en cours, s�il se r�sume � une recherche d�informations, et surtout si l�enseignement se r�sume � une succession de documents, fait courir le risque de perdre de vue les lignes g�n�rales dont les �l�ves ont besoin, et ne permet pas un vrai travail structurant peu � peu une pens�e. Cette r�flexion est d�autant plus urgente que la pr�sence, et demain l�amplification, des technologies de l�information changent d�j�, et le feront encore plus demain, les conditions d�acquisition du savoir. Elles sont incontestablement une aide. Mais posent la question de savoir ce qui sera une v�ritable connaissance pour les �l�ves, accabl�s d�informations disparates.
Donner une histoire commune Comme d�habitude, les probl�mes de fond sont ins�parables des probl�mes de forme. L�enseignement de l�histoire et de la g�ographie � car il n�y a pas de raison de renoncer � associer ces deux disciplines comme dans d�autres pays � �prouve les difficult�s d�adaptation de l��ducation aujourd�hui dans des soci�t�s qui ne ressemblent plus gu�re � celles qui avaient vu sa codification. C�est pour cela que nous aurions besoin d�un d�bat national � pas seulement � corporatif � � pour savoir ce qu�il convient d�enseigner � des jeunes qui auront le monde en charge dans deux ou trois d�cennies. Il convient de parler � dans la confrontation libre des points de vue � de ce qui constituera l�unit� de notre soci�t�, et de la mani�re dont se combineront les dimensions locales, nationales, europ�ennes et mondiales. Aboutir � un � agenda � reconnu d��tudes n�cessaires serait d�j� un premier point. Car nous avons besoin de donner une histoire commune � tous les �l�ves quelles que soient leurs diff�rences. Nous avons besoin, en effet, de nous situer dans le temps pour avoir prise sur le pr�sent et penser l�avenir. La perte du � d�terminisme � d�une histoire nationale, et la compr�hension d�une histoire ouverte sur l�inattendu et l�accident, n�am�nent pas un abandon des finalit�s civiques. L�important est d�expliciter les � choix � des hommes et des femmes du pass�, qu�ils concernent les peuples ou les individus, pour r�fl�chir aux logiques et aux paradoxes de l�action humaine. Pour reprendre une distinction de Raymond Aron, s�il n�y a pas � un sens � de l�histoire, il y a du sens dans l�histoire. Relier les �v�nements entre eux et probl�matiser davantage l�enseignement serait retrouver les fondements (et tout l�int�r�t) de la d�marche historique, mener une � enqu�te � pour r�pondre � des questions que se posent les hommes et confronter les interpr�tations pour comprendre les changements !
Alain Bergounioux
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