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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Serge et Orwell
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LES INDULGENCES DE SERGE ET LES LEÇONS D’ORWEL PAR SYLVAIN BOULOUQUE
Victor Serge Mémoires d’un révolutionnaire et autres écrits politiques 1908-1947 Robert Laffont 2001 1050 p 30,30 e
George Orwell Essais, articles, lettres volume IV (1945-1950) Ivréa/Encyclopédie des nuisances 2001 648 p 38,11 e
Victor Serge et George Orwell demeurent deux noms attachés à l’histoire du socialisme. Mais, leurs statuts divergent et les lectures rétrospectives des uns et des autres permettent d’interroger la validité de tels usages.
Victor Serge incarne la mythologie. Elle est construite au prisme de son opposition en URSS, de ses relations houleuses et épineuses avec Trotski puis de son éveil final – qui demeure partiel. Passons sur la préface de la présente édition, hagiographie plate qui n’apporte absolument rien à la connaissance du personnage et s’émerveille devant la « grande lueur à l’Est ». En outre, la présente édition est critiquable. Les textes les plus connus ont été repris (De L’An un de la révolution russe aux Mémoires d’un révolutionnaire), alors que d’autres moins connus auraient été dignes d’y figurer. Involontairement, cette édition souligne qu’avec Victor Serge on approche du domaine du sacré et du mythe. Il convient alors d’examiner comment s’est construite cette mythologie, entretenue en fait par la conjonction de plusieurs éléments. D’abord, du côté des trotskistes, qui ne retiennent de Serge que ses ouvrages sur la révolution, d’avant la rupture avec ce Staline manqué. Ensuite, de celui des libertaires qui ne veulent voir que le retour au bercail de l’enfant prodigue – il est d’ailleurs possible de se demander pourquoi. Enfin, par une mauvaise conscience à gauche, y compris chez certains socialistes, qui entretient cette prime au révolutionnaire – il conviendrait de se demander ce qu’il y a de vertueux dans le fait d’être ou d’avoir été révolutionnaire. Si Victor Serge rompt avec Trotski sur les questions de la morale et de Kronstadt, puis s’interroge après la guerre sur la nécessité d’un socialisme démocratique et libertaire, notons que ce temps a été long à venir et qu’il a savamment entretenu la « légende Lénine », en dépit de quelques interrogations. En 1947, Serge déplore la mort des vieux bolcheviks pour refuser la continuité entre Lénine et Staline. Il a longtemps défendu la dissolution de l’Assemblée constituante, la répression contre les paysans et les ouvriers de Petrograd ou d’ailleurs, au nom du tristement célèbre argument « qui n’est pas avec nous est contre nous ». Ses remises en cause du temps de Lénine sont en fin de compte timides. Elles sont certes suffisantes pour courroucer l’ancien chef de l’Armée rouge – « le péril est en nous », souligne la limite contenue.
LA « PANTHEONISATION » DE SERGE Ces remarques posées, il ne s’agit pas non plus de nier l’intérêt de ces textes, même si, par exemple, les Mémoires n’ont pas été soumis à l’examen de la critique historique. Il demeure des références de premier ordre dans la réflexion relative à la question de l’URSS. Et c’est la quatrième raison de la « panthéonisation » de Serge, qui, un peu comme Boris Souvarine ou Pierre Monatte, bénéficie d’une aura liée à ses écrits du temps de Staline. Ses écrits sont pénétrants, ont de la fougue, témoignent d’une soif de vérité et de justice et dénoncent ce qui se passe en URSS du temps de Staline : massacres de masse, famine volontaire déclenchée contre les paysans, système concentrationnaire… La liste est rouge et longue. En fait « l’aveuglement » de Serge tombe sous la critique de ce que George Orwell appelait « le gradualisme catastrophique », qui refusait, avec des nuances, la posture adoptée par son ami Kœstler dans le Yogi et le commissaire. Seuls les paléo-léninisites comme Éric J. Hobsbawm comme il l’expliquait il y a peu de temps encore dans son Âge des extrêmes (L’OURS n°294), pourront prétendre qu’Orwell est un auteur de guerre froide – et il faudra faire preuve en la matière de beaucoup de dialectique ou d’une ignorance voulue. Le quatrième volume de ses œuvres vient à chaque ligne prouver le contraire. De la signature d’une pétition pour obtenir la libération d’un communiste arrêté pour espionnage à cet avertissement, envoyé à la presse lors de la parution de 1984 : « le propos de mon dernier roman n’est PAS d’attaquer le socialisme ou le parti travailliste britannique (que je soutiens), mais de dénoncer les risques que comporte une économie centralisée et dont le communisme et le fascisme ont déjà en partie donné l’exemple. Je ne crois pas que le type de société que je décris doive nécessairement arriver, mais je crois (compte tenu, évidemment, du fait que ce livre est une satire que quelque chose de semblable pourrait arriver). Je crois aussi que les idées totalitaires ont pénétré partout la mentalité des intellectuels, et j’ai voulu pousser ces idées jusqu’à leurs conséquences logiques. J’ai situé ce livre en Grande-Bretagne pour bien montrer que les peuples anglophones ne sont pas par nature meilleurs que les autres, et que le totalitarisme, s’il n’est pas combattu, peut triompher n’importe où ».
ORWEL, UN SOCIALISTE LIBERAL ? Ceci n’est qu’un exemple, ils pourraient être démultipliés à l’infini. Ses critiques des ouvrages de James Burnham en rendent également compte. Sa dénonciation du communisme rejoint sa condamnation du fascisme au nom de la défense de la liberté comme principe intangible et comme horizon indépassable, comme un libéral du XIXe siècle égaré en plein XXe siècle comme écrivait son ami George Woodcook (L’Écrivain et la politique, Ecosociété, Montréal, 1996, p. 167). C’est au nom de ce principe libéral et socialisant qu’Orwell affiche son anticolonialisme. On savait que la condition et la misère des colonisés ont été un des éléments qui ont conduit le jeune policier Éric Blair a évoluer dans ses analyses politiques pour devenir l’écrivain George Orwell. Cette vision ne s’est pas démentie. Ainsi il critique avec virulence une histoire de la Birmanie écrite par une journaliste anglaise, au motif qu’elle était pleine de condescendance à l’égard du colonisateur. A l’heure des indépendances des colonies britanniques, il prend la défense de Gandhi, bien qu’il soit en désaccord avec lui sur la notion même de non-violence et sur sa philosophie générale : « on peut […] tenir par conséquent les préoccupations fondamentales de Gandhi pour antihumanistes et réactionnaires ; mais si on le considère comme homme politique, et qu’on le compare aux autres grandes figues politiques quelle bonne odeur a-t-il réussi à laisser derrière lui ! » Orwell a donc été libéral et socialiste, teinté d’anarchisme, anticolonialiste, et peut-être et surtout, un amoureux des lettres et de la littérature. C’est un des thèmes majeurs qui se dégagent du volume, à partir duquel il est possible de lire ses textes, qui recouvrent également un aspect biographique, sa tuberculose s’aggravant et finissant par l’emporter. On y voit un Orwell au quotidien, décrivant avec une certaine tendresse son cottage. Il affiche un refus caractérisé de la médiocrité et de la servitude volontaire comme principe premier. Des livres contre des cigarettes utilise le bon sens comme critère de réflexion. « Les ouvriers ne lisent pas nous dit-on car les livres sont trop chers » : Orwell prend alors sa bibliothèque, analyse les prix des ouvrages et conclut « si la consommation de livres reste aussi faible que par le passé, ayons au moins l’honnêteté d’admettre qu’il en est ainsi parce que la lecture est un passe-temps moins passionnant que les courses de lévriers ou le pub, et parce que les livres, achetés ou empruntés, coûtent trop cher ». Ce n’est pas au nom d’un mépris quelconque pour le monde du travail en général ou du monde ouvrier en particulier. Son long article « Comment meurent les pauvres » le place aux cotés de Simone Weil, de Dickens ou des frères Bonneff. Cette défense et illustration du monde ouvrier ne lui a jamais fait oublier la valeur cardinale de la liberté. C’est sous ce signe qu’il a placé son combat pour la littérature. Il est impossible d’évoquer ici l’ensemble des défenses et illustrations de la liberté qui couvre tous les aspects de son œuvre. Ainsi La Politique et la langue anglaise représente un appel à la simplicité de la langue qui « prémun[ira] contre les pires sottises de l’orthodoxie […] si bien que lorsque vous formulerez une idée stupide, sa stupidité sera évidente pour tous y compris pour vous même ». Son essai Où meurt la littérature en est une autre preuve. Ce texte a fait suite à une réunion du Pen club à laquelle il a assisté. Le thème était l’éloge de la liberté et elle a ressemblé à une manifestation en faveur de la censure. Orwell rappelle que cette notion première pour un écrivain doit être défendue au motif qu’il existe une unicité de la Liberté, les circonvolutions sur les libertés formelles et libertés réelles n’étant que des esquives et un refus de la liberté qu’il définit ainsi : « la liberté intellectuelle signifie la liberté de rendre compte de ce que l’on a vu, entendu et ressenti, sans être contraint d’inventer des faits ou des sentiments imaginaires. Toutes ces tirades rebattues contre l’escapisme, l’individualisme, le romantisme et ainsi de suite ne sont que des procédés rhétoriques visant à rendre respectables la falsification de l’histoire ».
LITTERATURE ET POLITIQUE C’est également le statut de l’écrivain qu’Orwell soumet à examen, dans ces rapports à la politique et à la chose publique : « c’est l’acceptation d’une discipline politique quelle qu’elle soit qui paraît incompatible avec l’intégrité littéraire. […] L’allégeance à une cause collective est pernicieuse pour la littérature ; dans la mesure où celle-ci est une activité purement individuelle. […] Faut-il en conclure qu’un écrivain ne doit surtout pas faire de politique ? En aucun cas ! Lorsque l’écrivain s’engage politiquement il doit le faire en tant que citoyen […] et non en tant qu’écrivain ». Attendue, la parution des Essais de George Orwell l’était, elle ne déçoit point, tant par sa présentation que par la qualité de l’édition et que par cet appel à l’intelligence quotidienne qu’offre Orwell. Il s’inscrit réellement dans la tradition d’un socialisme qui a refusé de séparer la fin des moyens. Sylvain Boulouque
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