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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
l'Implantation du socialisme en France
Introduction
Jacques GIRAULT


Vers 1997, trois historiens et spécialistes de science politique, Jean-William Dereymez, Jacques Girault, Frédéric Sawicki, après avoir confronté leurs résultats sur l'implantation du socialisme, ont pensé qu'il fallait rassembler d'autres expériences de recherches sur les composantes de cette implantation. La problématique de l'implantation du communisme semblait depuis une vingtaine d'années avoir donné des résultats, même s'il n'y eut pas de rencontre spécifique sur ces questions. En ce qui concerne le socialisme, aucune confrontation d'expériences à partir de cette problématique n'avait été tentée. Nous avons donc mobilisé nos forces pour confronter nos hypothèses, nos méthodes et nos résultats.
Il fallait pour réussir une journée d'études lui donner le caractère pluridisciplinaire qui se reflète dans le collectif d'organisation :
- trois centres universitaires d'histoire (le Centre de Recherches sur l'Espace, les Sociétés et les Cultures de l'Université de Paris-13, le Centre de recherches d'histoire des mouvements sociaux et du syndicalisme - URA 1738 du CNRS - de l'Université de Paris I - devenu depuis Centre d'Histoire sociale du XXe siècle -, le département d'Histoire de l'Université de Paris VIII),
- deux centres universitaires relevant de la science politique (le Centre de recherche sur le politique, l'administration et le territoire de l'Institut d'études politiques de Grenoble II, le Centre de recherches administratives, politiques et sociales - URA 982 du CNRS - de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Lille II),
- un centre, qui ne cache pas son engagement partisan et qui abrite depuis longtemps des recherches sur le socialisme dont personne ne récuse la volonté scientifique, l'Office universitaire de la recherche socialiste.
Il fallait aussi une méthode de travail appropriée pour que se réalise notre volonté commune d'en faire une journée de confrontations et d'échanges,
- la rédaction d'une problématique ouverte ;
- des communications prenant appui sur des traditions disciplinaires, des approches, des terrains et des périodes diverses, multipliant les éclairages, permettant le dialogue et l'échange ;
- des rapports de synthèse sur les quatre thèmes retenus, les lieux, les élus, les organisations, les discours, chacun des pré-rapporteurs puisant dans ses propres travaux et dans l'ensemble des communications des éléments à mettre en débat ; ;
- d'amples discussions par thèmes couvrant environ la moitié de la journée ;
- des conclusions tirées par le spécialiste du socialisme européen, le Britannique Donald Sassoon ;
- enfin, la préparation du manuscrit et l'édition des actes de cette journée.
Dans cette journée d'études sur l'implantation du socialisme au XXe siècle, nous ne voulions pas séparer les organisations partisanes de leur contexte social et culturel. Nous voulions faire le point sur son histoire sociale, la mobilisation des électeurs, les relations avec les organisations syndicales, mutualistes, coopératives ou associatives, les politiques municipales entre autres. Tous ces thèmes sont résumés dans le triptyque caractérisant la journée : partis, réseaux, mobilisations. Nous voulions donner à réfléchir sur les outils conceptuels qui permettent de saisir l'interdépendance des instances. Nous voulions surtout jeter les bases d'un dialogue entre historiens, politistes, sociologues s'intéressant au socialisme français et contribuer ainsi à encourager d'autres recherches.

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En effet, comparativement au communisme, le socialisme français, notamment après 1920, a beaucoup moins retenu l'attention des historiens et des politistes. Si les synthèses générales sur le socialisme ne manquent pas, les biographies individuelles ou collectives des dirigeants ou des militants, les monographies locales ou régionales, les études consacrées à la production programmatique ou idéologique ou encore les recherches portant sur les conflits affectant les organisations, sont beaucoup moins nombreuses que pour le communisme. Une sorte d'image inversée du mouvement social risque à terme de résulter d'une telle désaffection.
La meilleure manière d'amorcer cette entreprise pluridisciplinaire nous a semblé être de partir de la notion d'implantation définie pour l'étude du Parti communiste à la fin des années 1970. Il s'agissait d'envisager toutes les manifestations d'une force politique dans leur rapport à la société en ne séparant pas l'étude des organisations partisanes du contexte social et culturel dans lequel elles vivent, se développent, régressent ou disparaissent. Trop souvent l'histoire du socialisme français n'a été étudiée qu'à travers le prisme de l'histoire politique nationale. L'histoire sociale de ses membres, de ses dirigeants, les conditions concrètes de la mobilisation de ses électeurs, les relations entretenues entre les partis se réclamant du socialisme et les organisations du mouvement social (syndicats, mutuelles, coopératives, associations), les politiques menées dans les collectivités locales dominées par les socialistes n'apparaissent qu'au second plan.
Vouloir écrire une histoire sociale du socialisme français exige de confronter constamment deux démarches, conduites dans un même souffle. D'une part, il ne faut pas isoler la réflexion théorique et méthodologique sur les outils conceptuels pour appréhender l'interdépendance entre forces sociales, organisation et stratégie mobilisatrice dont le socialisme français, en ces multiples composantes, est le produit. D'autre part, cette réflexion doit être mise au service d'une recherche concrète sur une partie de ces aspects ou sur un ensemble plus vaste. Trois autres conditions nous paraissent indispensables. Il ne faut pas introduire de bornes chronologiques fermes. Il ne faut pas limiter l'étude du socialisme français à celle du Parti socialiste SFIO ou de l'actuel Parti socialiste. Pour ne pas se limiter à l'échantillon, il faut introduire une dimension diachronique et synchronique dans un but comparatiste.

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Dans nos réflexions préalables, des axes se sont imposés car ils correspondent aux points forts des résultats de travaux plus ou moins anciens et de recherches en cours. D'autres aspects ont moins retenu l'attention : les questions culturelles, les questions purement idéologiques dans leurs rapports avec les pratiques politiques, la pénétration dans des milieux sociaux marginalisés - les pauvres, les immigrés, les populations colonisées -, ou au contraire dans ceux qui détiennent des pouvoirs, les dirigeants de l'économie et plus largement les cadres, les intellectuels, les milieux religieux. Une question aussi, en liaison avec la démarche issue de la problématique choisie, n'a jamais été abordée et mériterait qu'on la travaille, la résistance à la pénétration socialiste qu'elle émane du mouvement ouvrier, du mouvement social ou des forces politiques antagoniques.
Premier axe, l'intervention politique dans un lieu donné signifie la rencontre entre une politique et un milieu social, milieu limité dans un espace, dans un territoire, créé ou imposé de dimension variable. Dans ce territoire politique correspondant aux possibilités rêvées ou réelles de pénétration et d'action, interviennent d'autres forces susceptibles d'imposer des espaces politiques concurrents. Une telle rencontre ne peut se traiter de manière mécanique à partir d'une simple approche de géographie électorale par exemple. Quelles forces composent ces territoires ? Quels alliés et quelles résistances se présentent ? Comment les socialistes abordent-ils ces questions ? Des matrices explicatives se révèlent, qu'elles soient imposées par les institutions (la mairie, le département, la région, la circonscription), qu'elles dépendent des origines et de la connaissance du milieu qu'ont les acteurs, qu'elles proviennent de la familiarité avec certains réseaux extérieurs aux mouvements directement socialistes.
Deuxième thème de réflexion, l'élu, l'élection, thème central dans la France républicaine du XXe siècle. Le rapport entre la base, une population et une équipe gouvernante passe par le désignation élective. Les différents types d'élections désignent des hommes et des femmes qui reçoivent en délégation un pouvoir légitimé. Comment en usent-ils ? Quels sont les fils plus ou moins ténus qui les rattachent entre eux ? Progressivement ou brutalement émergent des hommes et des femmes aux passés différents, parfois complexes, aux itinéraires plus ou moins rectilignes, qui établissent des différences avec les structures partisanes, que le parti, dans toutes ses instances, contrôle ou laisse libre. Des phénomènes de notabilités en découlent et le cumul des mandats assure des moyens d'actions supplémentaires. Certains mandats, certaines pratiques peuvent déboucher sur des théorisations, le socialisme municipal héritier du possibilisme. Parfois même ils apparaissent comme le seul lieu de formation militante, ainsi la municipalité.
Dans le rapport de l'organisation, de ses militants avec le milieu, se situe la place des autres concurrents ou d'éléments variés qui appartiennent au mouvement social. Les théories socialistes successives affectent souvent d'ignorer les autres formes de militantisme. Mais dans les faits, ces mouvements, parfois ces organisations, voire même ces institutions entretiennent des relations avec les socialistes qui peuvent les utiliser. Ces questions difficiles ont suscité peu de travaux tant les tabous, les secrets ou les évidences empêchent l'analyse et obscurcissent les réponses possibles. Là encore méfions-nous des réactions déterministes. Tout ne se résume pas à des explications politiques. Il peut y avoir adhésion, répulsion et souvent apparition de zones conflictuelles génératrices d'influences certaines ou de malentendus plus ou moins durables.
Reste la face émergée de l'analyse politique, voire même de la démarche politique profonde, le discours, façon de représenter une rencontre souhaitée avec un milieu. Les champs d'approches multiples peuvent se décliner sur un terrain doctrinal simple. Une propagande s'organise en fonction d'idéologies sous-jacentes et passe par la volonté d'aborder des thèmes nouveaux à forte connotation sociale comme l'aménagement des conditions de vie. En fait, les socialistes produisent des discours, des pratiques, font des choix médiatiques, utilisent des objets ou des supports. Se pose alors la question de situer ces manifestations par rapport aux programmes. Qui comptent le plus ? le poids des mots, le sens des symboles, les expressions identifiantes, parfois piégées, autant de composantes essentielles pour une implantation d'un mouvement politique.

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Nous avions regroupé plusieurs générations de chercheurs, depuis ceux consacrés dans le passé jusqu'à ceux qui viennent de terminer leurs travaux ou qui sont en en passe de le faire. Nous avions aussi le souci de faire profiter de ces expériences les plus jeunes, encore étudiants, qui parfois sont encore à la recherche d'un sujet de maîtrise ou de DEA. Et de nombreux étudiants notamment de l'Université de Paris 13 suivirent tout ou partie des échanges.
La journée d'études n'aurait pas été possible sans un travail collectif des autres membres, avec moi, du comité de pilotage : Jean-William Dereymez, Frank Georgi, Denis Lefebvre, Frédéric Sawicki, Danielle Tartakowsky . Caroline Bégaud assura l'indispensable responsabilité du secrétariat dans sa préparation et dans son déroulement. Organisée à l'Université de Paris 13, le 20 mai 1999, à Villetaneuse grâce à l'obtention d'un "budget qualité recherche". attribué par son conseil scientifique, au Centre de recherches sur l'Espace, les Sociétés et les Cultures, dirigé alors par Jacques Verger. Enfin elle se déroula dans le cadre de la convention de partenariat "Mémoires d'usines, mémoires ouvrières" qui associe Université, CRESC, conseil général et archives départementales de la Seine-Saint-Denis.
Nous reproduisons dans cet ouvrage le découpage de la journée. Danièle Tartakowsky s'est chargée de la délicate mission de synthétiser la richesse des quatre amples discussions qui ont suivi . Enfin, Donald Sassoon a bien voulu tirer les principales conclusions de cette journée de travail .
Pour la préparation de cet ouvrage, chaque intervenant, après avoir recueilli les remarques du sextuor qui pilota la journée, a pu remanier son texte et parfois l'actualiser . En l'absence d'un personnel technique spécialisé dans le CRESC, le manuscrit définitif a été établi par nos soins avec la collaboration de Virginie Gaillard et de Carine Noc-Le Foll, rédactrices multimédias, dans le cadre de l'association "Histoire et mémoire ouvrière en Seine-Saint-Denis".

TABLE DES MATIERES

Introduction par Jacques GIRAULT

Première partie : LIEUX
Territoires politiques et socialisme français par Jean-William DEREYMEZ
L’apport des monographies à l’étude du socialisme français par Frédéric SAWICKI
La reconstruction de la fédération de l'Yonne 1921-1927 par Thierry HOHL
Une technique de gestion d'un espace-temps local : Maurice Pic, élu de la Drôme par Philippe VEITL
Les luttes de courants au sein du Groupe parlementaire socialiste de 1924 à 1933. La part du facteur « implantation » dans leur explication par Eric NADAUD

Deuxième partie : ELUS
Jalons pour l'établissement d'une prosopographie des élus socialistes, 1905-1971 par G. MORIN
Les conseillers généraux socialistes de la Seine, 1945-1967 par Philippe NIVET
Elus et municipalités socialistes du bassin creillois 1919-1939. Forces et faiblesses d'un bastion par Jean-Pierre BESSE
Ce que le municipalisme fait au socialisme. Eléments de réponse à partir du cas de Roubaix par Rémi LEFEBVRE
La mairie, le parti et la carrière. Implantation municipale, cumul et notabilisation des élus socialistes (1892-1940) par Guillaume MARREL
Elites locales et représentation nationale. L'exemple des parlementaires-maires socialistes de la France du Sud-Est (1884-1940) par Bruno DUMONS et Gilles POLLET
Les conseillers généraux socialistes de la région Rhône-Alpes depuis 1945. Recrutement social et cumul des mandats par Fabienne GREFFET

Troisième partie : ORGANISATIONS
Le socialisme et le monde associatif par Denis LEFEBVRE
Syndicalisme et socialisme : jalons pour une étude de la place des relations avec le syndicalisme dans l’implantation du socialisme par Frank GEORGI et Jacques GIRAULT
Parti socialiste et syndicalisme à Marseille de la Libération au début des années 1950 par Robert MENCHERINI
L’Union des sociétés sportives et gymniques du travail (USSGT). Echec d’une implantation socialiste dans le mouvement sportif (1924-1934) par Nicolas KSSIS

Quatrième partie : DISCOURS
La propagande socialiste (1905-1999) par Frédéric CEPEDE
Programmes socialistes et stratégie par Pierre SERNE
De la Fédération des travailleurs socialistes de France de 1882 au Parti socialiste français de 1920. Fidélités et enracinement à travers le temps par Yves BILLARD
Littérature de campagne. Objets de propagande et élections
législatives par Eric TREILLE
Socialisme et urbanisme. L'exemple de Morizet par Pascal GUILLOT
Le groupe des étudiants socialistes de Toulouse et leur revue La Jeunesse Socialiste (1894-1895) par Christine BOUNEAU

Bilan de discussion par Danielle TARTAKOWSKY
Conclusions par Donald SASSOON
 

 
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