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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Greenspan/Dupont/382
GREENSPAN, AVANT L’ETAT DE CHOC
par Claude Dupont
L’OURS n°382, Novembre 2008

A propos du livre de Alan Greenspan , Le temps des turbulences, Hachette littératures, Pluriel, 2008, 685 p 13 €

En 2007 Alan Greenspan ne savait pas qu’il donnait à son autobiographie un titre prémonitoire : Le temps des turbulences. La retraite venait alors de clore – juste à temps – une carrière brillante qui l’avait conduit à la tête de la plus puissante
instance financière américaine, la FED – la Réserve fédérale.


Dans un livre d’une lecture agréable et même facile, malgré l’aspect technique de certains chapitres, on apprend d’abord que notre économiste faillit répondre à l’appel d’une vocation sportive – le base-ball – puis musicale, devenant dans les années quarante un saxophoniste quasi-professionnel, avant de s’inscrire à l’école de commerce de l’Université de New York. Journaliste, conseiller en investissement, Alan Greenspan rencontrera la politique en devenant l’un des animateurs de la campagne présidentielle de Richard Nixon en 1967, puis son conseiller après son élection, avant de travailler aux côtés de Gerald Ford puis de Ronald Reagan qui le nommera président de la FED en 1987. Un militant républicain certes. Mais dénué de sectarisme. Ainsi reconnaîtra-t-il que Nixon et Bill Clinton « ont été, de loin, les présidents les plus intelligents avec qui il m’a été donné de collaborer. »

Notre auteur se définit lui-même comme un technicien de la finance et non comme un théoricien. Keynes le fascine par ses innovations mathématiques et par ses analyses structurelles, mais non par ses idées sur la politique économique. Il laisse à d’autres les vues d’ensemble et aime rappeler sa méthode constante : « Plonger dans l’étude détaillée de fonctionnement d’une petite part de la réalité afin d’en déduire son comportement. »

La liberté du marché
Greenspan prétend donc s’en tenir aux enseignements de l’expérience et au credo du libéralisme : plus les marchés sont libres d’opérer, plus la concurrence interne et externe peut jouer, plus les hommes auront de chances d’être libres et fortunés : « Les marchés ne sont pas une fin en soi ; ils sont des constructions destinées à assurer aux populations une allocation optimale de ressources. » Une société qui ne protège pas le droit de posséder et d’aliéner des biens comptera des citoyens qui ne voudront pas prendre de risques, ce qui est pourtant la condition préalable à la création de richesses et à la croissance économique. C’est pourquoi les avancées actuelles de la Chine ou de la Russie ne se confirmeront que si la marche vers la démocratie est résolument amorcée.

Quand on évoque le libéralisme, on y associe les dégâts provoqués par une mondialisation accélérée. Pour Greenspan, ces dégâts sont la conséquence inévitable de cette « destruction créatrice », chère à Schumpeter. Une économie de marché se relance sans cesse de l’intérieur en se débarrassant des vieux secteurs sur le déclin et en réaffectant ses ressources dans d’autres, plus nouveaux et plus productifs – au prix, bien sûr, de disparitions de pans entiers du tissu industriel, de regroupements ou de délocalisations. Telle le veut la loi du progrès.

Mais Greenspan n’est pas un fanatique aveugle et sourd de la modernisation à tout prix. Il sait que « plus grande est la richesse matérielle produite, plus grand, malheureusement, est le degré de compétition frénétique, et plus intenses sont le stress et l’anxiété des acteurs du marché. » Il ne prétend pas que le modèle américain fixe des normes universelles : « Pour toute société, l’équilibre entre la richesse nationale et l’absence de stress est fondé sur son histoire et sa culture. »

Greenspan reconnaît aussi le creusement des inégalités sociales, qui a marqué ces dernières décennies, avec en particulier, l’apparition des nouvelles technologies. Mais, sur le long terme, ce creusement sera amorti et compensé par une élévation sensible du niveau de vie des couches salariées. Et il cite volontiers Bill Clinton qui assurait que « chaque fois que l’on change de paradigme économique, les inégalités augmentent. Il y en a eu encore plus quand on est passé de la ferme à l’usine. » Encore faut-il que le degré de qualification s’élève au niveau des exigences d’une économie de plus en plus sophistiquée, d’où le rôle essentiel qui revient à la politique de formation des jeunes.

La bulle financière increvable
En tout cas, ce livre permet d’appréhender la part de responsabilité des dirigeants de l’économie américaine dans la crise des subprimes. Pour Alan Greenspan, il est, d’abord, extrêmement difficile – voire impossible de crever une bulle financière. Ou l’on opère un resserrement léger et on risque, en définitive, de favoriser la hausse du prix des actions plutôt que leur baisse ; ou l’on procède à un relèvement important des taux et on risque d’étouffer la croissance. D’autre part, on voit, à plusieurs reprises, Greenspan chanter le mérite des hedge funds, ces fonds spéculatifs si décriés. « Le but des hedge funds est de gagner de l’argent, mais leur activité extirpe les inefficacités et les déséquilibres et réduit ainsi le gaspillage de la précieuse épargne. Ces institutions contribuent donc à de plus hauts niveaux de productivité et de bien-être. » Enfin ce libéral ne croit pas à l’efficacité de nouvelles réglementations gouvernementales – ni à leur pertinence, car la réglementation, par nature, « inhibe la liberté d’action des marchés ». C’est cette liberté même qui aura, seule, la vertu de rééquilibrer les marchés.

Toutefois, il serait injuste de faire porter le chapeau aux seuls techniciens fussent-ils de haut niveau. Alan Greenspan rappelle ce qu’est la mission de la FED : « Créer les conditions monétaires nécessaire à une croissance et à un emploi à long terme durables maximum, et à contenir les pressions inflationnistes ». Mission importante, mais qui ne recoupe pas l’ensemble d’une politique économique. Or, l’auteur a souvent l’occasion de souligner la responsabilité d’élus trop sensibles aux pressions conduisant à des choix à très court terme, au détriment d’objectifs fondamentaux. C’est ce qui s’est passé, par exemple, dans l’accroissement démesuré du déficit budgétaire depuis 2002.

Ce témoignage d’un homme qui a été aussi étroitement impliqué dans la marche des affaires aux Etats-Unis se lit avec intérêt. On pourra, en tout cas, y admirer la solidité d’un optimisme à toute épreuve : « Pris dans leur ensemble, les problèmes financiers qui se présenteront dans le prochain quart de siècle ne composent pas un paysage rose. Et pourtant nous avons vécu bien pire. Aucun de ces problèmes ne compromettra durablement nos institutions, aucun d’entre eux ne semble même capable d’abolir la suprématie mondiale de l’économie américaine. »
Claude Dupont
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