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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dupont/Rosanvallon 383
L’APPROPRIATION DE LA DEMOCRATIE

par Claude Dupnt, L’OURS n°383 décembre 2008

A propos du livre de Pierre Rosanvallon , La légitimité démocratique Impartialité, réflexion, proximité , Le Seuil 2008 368 p 21 e

Pierre Rosanvallon revient sur un thème qu’il avait déjà abordé, notamment dans La contre-démocratie parue en 2006, celui de la légitimité du pouvoir dans une démocratie.

Rosanvallon part de cette interrogation : les élections valident le mode de désignation des gouvernants. Mais qu’en est-il de la légitimation des politiques qui viennent après l’élection ? La société a connu une évolution profonde et le peuple n’est plus cette masse homogène évoquée par Michelet ou Hugo. La fragmentation a joué à tous les niveaux de l’activité économique et sociale et le peuple est désormais moins un ensemble compact qu’un « pluriel de minorités ».

Démocratie, conflit, consensus
En fait on constate une tension accrue entre deux principes : la reconnaissance dans une démocratie de la légitimité du conflit et, d’autre part, l’aspiration au consensus. Tension également entre le développement du sens de l’intérêt général et la demande accrue d’individualisation, de prise en compte de la particularité des individus.

Pierre Rosanvallon nous trace un historique bien intéressant de l’élection en Occident. Bien avant la Révolution, la notion de représentation présupposait un processus d’identification. L’élection des évêques était davantage la manifestation de la parfaite entente à l’intérieur de la communauté qu’un mode de choix entre plusieurs candidats, et c’est au XIIIe siècle que l’Église finit par reconnaître la validité formelle du principe majoritaire. Ni chez Locke ni chez Rousseau, on ne voit percer l’idée d’une confrontation entre une majorité et une minorité et les révolutionnaires continuent à rêver d’un idéal d’unanimité avec le recours à une fiction : la majorité une fois dégagée devient l’équivalent symbolique de l’unanimité populaire. Notons d’ailleurs qu’à l’époque, on ne parle pas de « majorité » mais de « pluralité des suffrages ». Les républicains seront longtemps hostiles au principe d’associations même syndicales, qui leur rappellent les corps d’Ancien régime et se présentent comme des obstacles à l’expression de cette volonté générale où venait se fondre la multiplicité des individus. L’Adresse de la Commune à la nation était claire : « Nous n’avons qu’un seul désir : nous perdre dans le grand Tout. »

À mesure que s’effritait la fiction de l’unanimité, qu’on se rendait compte que les droits politiques ne donnaient pas nécessairement du pain au peuple, le pouvoir se démystifiait, et les gouvernants furent perçus non comme une autorité surplombant la société, mais comme des gérants, représentant des groupes d’intérêts porteurs naturels de partialité et dont la longévité politique était précaire. D’où l’exigence d’organes incarnant l’intérêt général, dans la permanence et le refus des compromissions. Il est amusant de penser que c’est dans la très libérale Amérique qu’est née l’idée d’une administration neutre au-dessus des partis et capable d’en combattre les excès et les turpitudes. C’est en France que fleurira le mieux cette notion de service public, animée par ces « Jacobins d’excellence » dont le fameux statut qui marquait la reconnaissance de cette « vocation » de ce « sacerdoce » qui reflétait toute une mystique démocratique.

Mais à partir des années 1980, le pouvoir d’une administration identifiée à la généralité démocratique s’est estompé. Il y eut le contrecoup de la reprise en main par le gaullisme et puis l’évolution de la société remettait en cause la notion de généralité globale où l’administration se mouvait sur un terrain plus favorable que dans un contexte de décentralisation, de fragmentation dans le monde du travail et d’individualisation des comportements.
Dès lors, les citoyens recherchent des autorités, des organismes, qui assureraient le contrôle des gouvernements. C’est que le temps de l’élection et celui de l’exercice du pouvoir ne coïncident pas. C’est donc du triple côté de l’impartialité, de la réflexivité, et de la proximité que l’on va se tourner, pour développer des commissions comme la CNIL ou la Haute autorité de l’audiovisuel. C’est dans les domaines où se fait sentir le plus grand besoin de lien social que la demande est la plus forte comme en Allemagne où l’indépendance des autorités financières vis-à-vis du pouvoir reflète l’aspect central du problème de la stabilité des prix, élément constitutif du contrat social et qui doit être à l’abri des variations des majorités électorales. Et nul n’imaginerait une démocratie sans une cour constitutionnelle, garante suprême du respect de la loi.

Rosanvallon perçoit les difficultés rencontrées avec la multiplication de tels organismes. À chaque fois, c’est la crédibilité des gouvernants, dépossédés d’une partie de leurs compétences qui est atteinte, comme le soulignait Jean-Louis Debré en 2006 : « Le développement de ce qu’on appelle pudiquement les autorités administratives indépendantes participe au déclin de l’autorité des Assemblées. » Certes, il convient de ne pas substituer au gouvernement des élus un gouvernement des experts et l’auteur a raison de souhaiter que les jugements de ces commissions relèvent plus de l’auctoritas romaine que de la potestas, c’est-à-dire soient des avis fort incitatifs mais dépourvus du sceau de la décision elle-même. Et puis, qui va garantir le garant ? Ne s’engage-t-on pas dans un processus de poupées gigogne où la création de chaque commission en entraînerait une autre ?

En tout cas, la réflexion de Pierre Rosanvallon est d’une grande densité. À la démocratie d’identification, il préférerait substituer une « démocratie d’appropriation » qui donnerait « une forme démocratique à une distance reconnue (entre gouvernants et gouvernés) dans sa nécessité fonctionnelle. »

Le tempo de la démocratie
Certes. Mais à trop vouloir contrôle et surveillance, ne risque-t-on pas de provoquer une certaine paralysie dans la prise de décision ? L’acte politique a besoin de transparence. Il a aussi besoin d’énergie et de volonté. Il n’est pas toujours sûr qu’une bonne prise de décision soit immédiatement reconnue acceptable ou populaire. Elle peut apparaître judicieuse dans l’épaisseur et la cohérence d’une démarche globale. Il n’est certes pas facile de « mettre un terme à la succession de courtes phases d’espérance et de longues périodes de désillusion » qui scande la vie électorale d’une démocratie. La réponse est peut-être autant dans la démarche, le comportement et la « vertu » des gouvernants que dans le déploiement d’une nouvelle panoplie institutionnelle.
Claude Dupont
 

 
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