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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Nederhorst Europe 1967
Allocution de G. M. Nederhorst
Vice-président de la seconde Chambre
des États généraux des Pays-Bas

Nous célébrons, ce soir, le dixième anniversaire de la signature des traités de Rome. Transportons-nous donc un instant, en pensée, au 25 mars 1957. C’est, en effet, à cette date que furent posés les premiers jalons de l’intégration européenne. La Communauté européenne du charbon et de l’acier constituait une expérience intéressante. Elle fut d’ailleurs plus qu’une simple expérience ; ce fut la première fois que le principe du transfert de compétences à un pouvoir supranational, placé au-dessus des gouvernements, était mis en œuvre. Le temps où l’Europe était divisée en États nationaux semblait définitivement révolu.
Mais même pendant cette période de démarrage, les déceptions ne nous furent pas épargnées. Le plus décevant avait été l’échec de la Communauté Européenne de défense, qui eut pour effet de mettre provisoirement en veilleuse des plans visant à une intégration politique plus poussée.
La déception, le découragement même, qui suivirent l’échec de la Communauté de défense sont encore dans la mémoire de beaucoup. Mais rien ne pouvait plus arrêter l’évolution européenne. Sous la direction stimulante d’une personnalité comme Paul-Henri Spaak, les difficultés furent surmontées.
Les traités de Rome pouvaient être signés.
Il est bon de se rappeler que la CEE naquit au moment où l’idée européenne sortait de sa première crise sérieuse. En 1958, la crise a été surmontée. Aujourd’hui, en 1967, la question se pose à nouveau de savoir si l’Europe pourra réunir les forces politiques nécessaires pour s’engager sur la voie de l’intégration globale. Avant de répondre à cette question, voyons ce qui a été réalisé jusqu’à présent.
Il est indéniable que le Traité de Rome a ouvert la voie du progrès économique. Un marché communautaire de format continental a été réalisé à un rythme plus rapide qu’on ne pouvait le prévoir en 1957. La CEE est devenue la plus grande puissance commerciale du monde. Les industriels, les commerçants, les producteurs agricoles et les exportateurs de l’Europe des Six ont tout lieu de saluer avec satisfaction les réalisations des dix dernières années.
Mais que pense le travailleur européen de cette évolution de dix années au sein de la CEE ? Car lui non plus n’a pas été sans bénéficier de la croissance économique. L’emploi s’est maintenu longtemps à un niveau très élevé et les périodes pendant lesquelles il était question de récession ont été rapidement surmontées. Au cours de ces dix années le salaire réel a augmenté dans des proportions non négligeables. L’entrée en vigueur des dispositions du traité de la CECA et du Fonds social européen concernant la réadaptation a donné naissance à un régime de protection du travail inconnu auparavant. Des progrès rapides ont été enregistrés en matière de libre circulation à l’intérieur de la Communauté et les travailleurs migrants se sont vu appliquer le principe de l’égalité des droits par rapport aux travailleurs nationaux.
Néanmoins, lorsque nous considérons l’évolution dans son ensemble, lorsque nous constatons avec quelle énergie et quelle émulation les six gouvernements se sont efforcés de supprimer les entraves aux échanges, lorsque nous nous souvenons des sessions « marathons » qui furent nécessaires pour mettre en place une politique agricole commune, lorsque nous voyons les efforts qui ont été déployés pour donner vie aux dispositions économiques du traité et si nous comparons tout cela à la lenteur, à la passivité, on pourrait presque dire au mauvais vouloir que les six gouvernements mettent à exécuter les dispositions sociales du traité, la balance ne penche pas en faveur des travailleurs. Dans cet ordre d’idées, je pense également au fait que les ministres du travail des six pays membres ne se montrent pas prêts à se rencontrer pour discuter de la mise en œuvre de l’harmonisation sociale. Je pense au fait que les délais impartis pour réaliser l’égalité des salaires des hommes et des femmes n’aient pas été respectés, au fait que le Conseil des ministres se soit refusé à élargir le champ d’action du Fonds social européen. Je pense surtout au fait que l’on n’ait pas voulu apprécier à leur juste valeur les organisations syndicales européennes, ni établir avec elles des contacts suivis et que le Conseil des ministres n’ait jamais voulu tenir compte de leurs exigences.
Au cours des dix années qui viennent de s’écouler, on a souvent prononcé le mot de « crise ». Or il y a une « crise » sur laquelle je voudrais mettre l’accent. C’est de la crise de confiance que je veux parler qui a résulté de la politique peu rationnelle menée par les six gouvernements à l’égard du mouvement syndical européen. il serait inadmissible de la taire ici, en cette occasion, ou de faire comme si elle n’existait pas.
S’il était une chose dont les fondateurs de l’unité européenne – comme Robert Schuman et Jean Monnet – étaient profondément pénétrés, c’était la conviction que l’Europe unie ne pouvait être réalisée que si confiance était faite à l’œuvre syndicale. Il convient de rétablir cette confiance afin que soit menée une politique qui ouvre des perspectives à l’homme du peuple et qui renforce la position juridique des travailleurs.
Après dix années d’expérience au sein de la CEE, nous rappelons à nouveau et avec vigueur cette revendication. Gouvernements, vous qui avez signé le traité de Rome, ne procédez pas de façon discriminatoire, n’accordez pas seulement votre attention aux dispositions économiques du traité mais exécutez-en également les obligations sociales telles qu’elles sont définies dans les divers articles. Reconnaissez le rôle que le traité confère dans ce domaine à la Commission européenne, reconnaissez le mouvement syndical comme l’institution à laquelle il incombe de se faire le dépositaire de la politique de la CEE et de la justifier aux yeux de millions de travailleurs. Aussi longtemps que l’on refuse de s’engager dans cette voie, aussi longtemps que l’on se refuse d’écouter les organisations issues du peuple, la CEE risque de dépérir au point de devenir une simple organisation de technocrates. Dans ce même ordre d’idées, on constate le refus d’accorder au Parlement européen les pouvoirs dont il a besoin pour s’acquitter de sa mission de contrôle.
Les auteurs des traités de Rome avaient prévu une extension des pouvoirs du Parlement européen. Ils avaient envisagé l’élection au suffrage direct des membres de ce Parlement. Malheureusement, il nous faut bien constater en l’occurrence également, que les propositions relatives à l’extension des pouvoirs de contrôle du Parlement et à l’élection de ses membres ont été repoussées par le Conseil des ministres. C’est ainsi que la CEE tend à devenir une organisation gouvernementale qui ignore les aspirations les plus profondes des peuples de l’Europe, une organisation qui, en outre, n’est pas soumise à un contrôle démocratique. Le Bureau de liaison des partis socialistes a le devoir de mettre en garde contre une telle évolution. Nous savons que le groupe socialiste du Parlement européen a pris nettement position dans le débat. Qu’il se sache appuyé par les partis socialistes des six pays de la Communauté qui continueront à mener, chacun dans son pays, la lutte Pour la démocratisation de la Communauté.
C est ainsi qu’après dix années, nous nous trouvons à nouveau à la croisée des chemins. Devons-nous nous laisser emporter par un courant dont nous ne voulons pas mais auquel, nous ne pouvons pas nous opposer, ou bien existe-t-il encore des possibilités pour ramener la CEE aux principes fondamentaux de la démocratie et de l’intégration ? Je le crois, à condition que la solution du bon sens finisse par prévaloir.
À cet égard, l’adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté peut être décisive. Nous devons, en toute sincérité, montrer à nos amis anglais les énormes possibilités, mais aussi les lacunes de la Communauté européenne. Sans aucun doute, la tentative de la Grande-Bretagne en vue d’adhérer à la Communauté est inspirée en premier lieu par des considérations économiques. Toutefois, le renforcement de la démocratie en Europe, l’évolution sociale qui peut en résulter, sont certainement des facteurs qu’il convient aussi de prendre en considération. Et ce qui, à mes yeux, est l’essentiel c’est que seule une Europe dont feront partie la Grande-Bretagne et les pays scandinaves pourra constituer la force politique dont notre continent a besoin.
Il ne faut pas que la Communauté devienne une troisième force mais il faut qu’elle ait sa propre personnalité dans le monde occidental, qu’elle constitue une entité propre dans les relations avec l’Union soviétique et les pays d’Europe orientale. Dans le passé, nous avons constaté que les tensions en Europe et la crainte de la domination communiste favorisaient la coopération européenne. Actuellement c’est le contraire qui est vrai, c’est la détente en Europe qui réclame l’unification d’une Europe dont ferait partie la Grande-Bretagne et qui pourrait se poser en interlocuteur valable pour discuter, avec les États-Unis et les pays du Pacte de Varsovie, de problèmes comme le désarmement, les zones démilitarisées et la question allemande.
J’appartiens à une génération qui est marquée, je dirais même meurtrie par les malheurs causés en Europe par le nationalisme du XIXe siècle et par deux guerres mondiales. Nous ne voulons retourner sous aucun prétexte à une Europe intergouvernementale, à l’Europe des gouvernements nationaux, des systèmes nationaux de défense, des ambitions nationales, de l’orgueil national.
Pour nous, une seule tâche s’impose : vaincre un nationalisme périmé, du point de vue économique aussi bien que politique et, en tant que peuples conscients de leur valeur nationale propre, entreprendre la création de l’unité européenne dans un contexte mondial,
Voilà la voie, l’évolution, qui parlera également à l’imagination de la jeunesse européenne. Ce que nous opposons ce soir à l’Europe de papa, voire à l’Europe de grand-père, c’est l’Europe de la jeunesse.
C’est l’Europe démocratique et sociale, consciente de sa propre personnalité désirant vivre en étroite coopération avec les autres pays occidentaux, entretenir de bonnes relations avec l’Europe de l’Est et promouvoir la détente internationale. C’est une Europe qui n’est plus envenimée par les ambitions nationales, mais qui aspire au contraire à une liberté intense dans un monde de paix et de justice, une Europe enfin, où, pour un démocrate, il fait bon vivre.
 

 
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