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| Cépède/Dupin/L'OURS 410
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La France, visite guidée,
par Frédéric Cépède
à propos de Éric Dupin,Voyages en France. La fatigue de la modernité, Seuil, 2011, 377 p, 21 €)
Article paru dans L’OURS n°410, juillet-août 2011, p. 1
Le dernier livre d’Éric Dupin est le compte-rendu des dix-sept voyages qui l’ont emmené entre 2009 et 2010 aux quatre coins de l’hexagone, et en son centre. Une rencontre avec des Français qui expriment leur « fatigue de la modernité ».
Journaliste politique, éditorialiste à Libération et d’autres titres, essayiste, Éric Dupin est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche (L’après-Mitterrand, Calmann-Lévy, 1991 ; Sortir la gauche du coma. Comprendre les racines d’un désastre, Flammarion, 2002) et la société française (L’hystérie identitaire, Cherche Midi, 2004 ; À droite toute, Fayard, 2007). En voiture, à pied, en vélo, de la Bretagne à la Moselle, de l’axe Lille-Roubaix-Tourcoing au Béarn, de la banlieue niçoise à la Seine-et-Marne, dans le Jura, le Tarn, la Creuse, dans les Cévennes, il a rencontré et discuté avec des agriculteurs, des ouvriers, des cadres, des commerçant, bouchers, fleuristes, pipiers, coiffeurs, des élus, des chefs d’entreprises, des militants associatifs, des retraités, des Français de toutes sortes, ruraux, rurbains, banlieusards, de toutes origines, sociales, culturelles, géographiques, etc. « Que faites-vous ? Comment vivez » : sans arrière-pensée, il s’est mis à leur écoute et a recueilli et retranscrit des centaines de témoignages et récits qui fournissent la matière première de son livre.
Rendre compte fidèlement
Dès les premières pages, Eric Dupin ne retient pas l’attention du lecteur par le caractère spectaculaire des endroits visités, par la pertinence de ses analyses ou de celles de ses interlocuteurs mais plutôt par sa capacité à être aux aguets, attentif aux lieux et aux espaces, à décrire simplement ce qu’il voit et a sous les yeux, et à rapporter les propos qui lui sont tenus. S’il se transforme parfois en guide touristique il n’écarte de la visite aucun des bâtiments industriels, zones pavillonnaires, supermarchés qui se sont développés à peu de distance de bien des lieux d’histoire. L’analyste qu’il est revient en conclusion pour tirer rapidement des pistes de réflexion de ses voyages.
Ses reportages se construisent en phrases courtes, il n’a besoin que de quelques mots pour dresser un portrait, casser un stéréotype, attirer l’attention sur les mutations d’un centre ville, comme à Saintes. Une rencontre en appelle d’autres, ces voyages d’une dizaine de jours, entre visites à des élus ou des connaissances, et les hasards de « la route », sont autant de photographies d’une France dont on parle peu.
Ce qui fait le prix de ce livre, c’est bien le portrait très contrasté qu’il fait apparaître de la France et des Français. Bien mieux que des statistiques, des courbes, ou des graphiques, il donne à voir et à entendre une réalité sociale vécue. Éric Dupin nomme « fatigue de la modernité » ce fil qui relie les entretiens qu’il a menés : informés, appréciant les avantages des progrès dans de nombreux domaines, santé, confort matériel, de nombreux Français n’en expriment pas moins une lassitude face à un monde qui s’accélère, où les décisions semblent prises de loin, et dans lequel ils se sentent moins heureux qu’avant. Le lien social se distend, on se parle moins, l’individualisme se développe. La mondialisation, bien sûr, est mal vécue car elle met en concurrence des pays aux niveaux de développement trop différents et casse la concurrence, mais aussi parce qu’elle est illogique et parfois contreproductive.
Loin de faire écho à une longue plainte, Éric Dupin décrit bien des itinéraires atypiques, des résistances à cette modernité. Il révèle des potentialités – dans le domaine de l’économie sociale notamment – , un dynamisme dans ces provinces où s’expérimentent d’autres modes de production. Mais il s’inquiète de la véritable ségrégation géographique et sociale qui menace nos territoires. Homme de gauche, il constate que les Français ne semblent plus attendre grand chose de la politique et des élus, même si l’élu local est souvent épargné. Raison de plus pour entendre leurs paroles, essayer de traduire leurs attentes, d’accompagner leurs expériences et retrouver le sens de l’anticipation. Ce qui passe d’abord par l’écoute, et la discussion.
Frédéric Cépède
PS : Éric Dupin a pris beaucoup de photographies au cours de ces « voyages en France » (voir la une de ce numéro). Elles sont consultables sur le site :
|  | | Accéder au blog des photographies d'Éric Dupin, Voyages en France |
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