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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Castagnez / Lalouette / Jaurès / Mémoires
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Ils n’ont pas tué Jaurès
par NOELLINE CASTAGNEZ
à propos du livre de Jacqueline Lalouette, Jean Jaurès. L’assassinat, la gloire, le souvenir, Perrin, 2014, 466 p, 24 €
Article paru dans L’OURS n°439, juin 2014, page 6.
« Jaurès n’est pas mort », tel est le fil rouge de ce livre qui n’est pas une nouvelle biographie du tribun socialiste, mais qui analyse comment lui fut immédiatement donnée une seconde vie, dès son assassinat, le 31 juillet 1914, au café du Croissant.
Jacqueline Lalouette, historienne de la vie politique et religieuse, à qui l’on doit une somme sur La Libre pensée en France 1848-1940 (Albin Michel, 2001), attaque son sujet par l’angle inattendu de la personnalité de l’assassin, un nationaliste exalté, Raoul Villain. De sorte qu’elle écrit, en filigrane, sa biographie inédite. Incarcéré cinq ans, Villain fut déclaré non coupable par le jury de la cour d’assises de la Seine et acquitté, ce qui provoqua une immense émotion en 1919. À partir d’une documentation considérable et originale, telles que les lettres de Villain et les témoignages de ses médecins aliénistes, l’auteur ne prétend pas bouleverser notre connaissance de l’affaire, mais réévalue les thèses de l’assassin solitaire et de l’assassin manipulé dans ses quatre premiers chapitres. Puis, dans la seconde moitié de l’ouvrage, Jacqueline Lalouette déconstruit « le lieu de mémoire », pour reprendre le concept de Pierre Nora, qu’est devenu Jaurès et étudie le rôle de ses différents acteurs, tels que la Ligue des Droits de l’Homme, le Parlement ou les partis politiques, et vecteurs avec la toponymie et les monuments qui lui ont été dédiés. Puis, elle propose un panorama de la mémoire du grand homme dans le domaine culturel et la vie politique jusqu’à nos jours. Une double ambition, par conséquent, pour ce livre stimulant.
L’assassin En scrutant la personnalité de Raoul Villain, Jacqueline Lalouette a voulu affiné le diagnostic en faisant appel à l’expertise de psychiatres d’aujourd’hui. Faible, déséquilibré et mégalomane, Villain aurait voulu se poser en héros et passer ainsi à la postérité. L’auteur le suit jusqu’à sa fin misérable à Ibiza, où il fut assassiné à son tour en 1936. Dans sa biographie de Jaurès, Jean Rabaud défendait avec force la thèse d’un assassin solitaire. Pour autant, Jacqueline Lalouette n’écarte pas totalement celle d’un assassin manipulé, desservie par « la vision complotiste » brouillonne qui eut cours dès la guerre. En décortiquant le procès pour comprendre les motifs de l’acquittement, elle fait litière du « verdict de classe ». Le jury de la Seine fut longtemps qualifié de « bourgeois » ; or, les jurés étaient des artisans des quartiers populaires, peu sensibles, semble-t-il, à la stratégie adoptée par la partie civile qui voulut l’ériger en affaire politique. L’auteur replace ce verdict, jugé incongru jusqu’à nos jours, dans le contexte judiciaire de l’époque où ce type d’acquittement n’était pas rare, tel celui bien connu de Mme Caillaux. La glorification du tribun socialiste par les avocats Paul-Boncour et Ducos de la Haille, non seulement put irriter les jurés, mais fit de la publicité aux accusations portées contre Jaurès les années précédentes et aurait eu finalement un effet contre-productif. Quoiqu’il en soit, l’édification de la figure du grand homme se fit dès le prétoire.
Jaurès et ses usages Dans le second mouvement de son livre, Jacqueline Lalouette analyse comment l’acquittement de Villain fit naître, dès 1919, chez les partisans de Jaurès un intense besoin de réparation. La Ligue des Droits de l’Homme et Le Quotidien firent ainsi campagne pour son entrée au Panthéon, ce qui fut rendu possible par la victoire du Cartel des gauches en 1924. L’auteur retrace l’histoire de cette panthéonisation, y compris de celle de l’exhumation à Albi et des diverses manifestations qui eurent lieu à son occasion tant à Paris qu’en province, faisant écho à ces deuils politiques étudiés à l’âge romantique par Emmanuel Fureix dans La France des larmes (2009). Puis elle offre un état des lieux précis de la toponymie et de la mémoire de pierre jaurésiennes dans l’espace urbain, grâce à une remarquable analyse des délibérations municipales et de leur présentation sur internet. Les dénominations de rues, d’établissements scolaires, ou encore de foyers ou autres, et l’érection de monuments montrent – exceptée la période de Vichy qui voulut l’effacer – une permanence de sa mémoire, voire des pics lors des années commémoratives de sa vie. Enfin, l’auteur étudie comment la Société des Amis de Jean Jaurès, fondée par Lucien Lévy-Bruhl dès 1916, puis la Société d’études jaurésiennes, créée par Jean Rabaut et Ernest Labrousse en 1959, entreprirent de faire vivre son souvenir à travers diverses commémorations et l’édition critique de ses œuvres. Plus originale, l’esquisse – et l’on peut regretter que ce chapitre ne fût pas plus développé – que fait l’auteur de Jaurès comme figure littéraire dans le roman, la poésie, la chanson, le théâtre, le cinéma et la télévision. Le dernier chapitre, enfin, brosse à grands traits un panorama des récupérations politiques – déjà bien connues, y compris par Nicolas Sarkozy ou le Front national.
Sans se prétendre révolutionnaire, l’ouvrage invite, par conséquent, le lecteur à explorer un itinéraire qui lui est souvent familier, mais avec des angles de vue, et donc des perspectives, inédits. Ses qualités d’écriture, sans compter un appareil critique et un index soignés, assureront tant aux passionnés de Jaurès qu’à ceux qui s’intéressent à la construction de la mémoire, une agréable lecture.
Noëlline Castagnez
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