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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Mollet, discours 1946 1
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Jeudi 29 août : Camarades, c’est sur l’ordre du jour du congrès que j’ai demandé la parole. L’ordre du jour qui ressort du programme présenté par le secrétaire général est différent de deux ordres du jour que nous avons déjà connus. Dans le premier, nous trouvions les rapports statutaires ; ensuite le mode de scrutin pour les prochaines élections, etc. Nous nous étions étonnés, un certain nombre de camarades, que ne figurât pas dans l’ordre du jour le débat de politique générale. A la suite de cette observation, le secrétaire général du parti, se rendant à ces raisons évidentes, a envoyé le Bulletin intérieur n°15 du 1er août 1946, qui présente l’ordre du jour suivant : 1 : rapports statutaires, 2 : débat de politique générale. C’est-à-dire séparant et différenciant le rapport moral et le débat de politique générale ; permettant de prononcer un jugement sur une politique passée et d’aborder ensemble, dans une atmosphère plus sereine, le débat de politique générale. Or, le programme qui nous est maintenant distribué confond, dans son 8e paragraphe : examen du rapport moral et débat de politique générale. Ceci présente un gros inconvénient : c’est que les camarades vont être appelés à la fois à prononcer leur jugement sur la politique passée et leurs espoirs quant à la politique de demain, et rendre par là même vraisemblablement plus difficiles les travaux pour rapprocher les points de vue de la politique de demain puisqu’on sait que, quant à la politique du passé, un rapprochement n’est pas possible. Je demande donc au secrétaire du parti de bien vouloir s’en tenir à l’ordre du jour sur lequel nos sections, nos fédérations, ont discuté et dûment voté, à savoir l’ordre du jour du 1er août 1946 : 1) rapport moral ; 2) débat de politique générale (Applaudissements).
29 août, soirée : Camarades, Étant le dernier des orateurs qui veut se prononcer contre le rapport moral, j’ai conscience tout à la fois de la difficulté de ma tâche et des responsabilités qui m’incombent. Des responsabilités puisqu’il m’appartient maintenant de résumer l’ensemble des raisons qui nous ont amené à voter contre le rapport moral et de la difficulté puisque je sais qu’aussitôt après moi, vous entendrez successivement nos camarades Bracke, Daniel Mayer et Léon Blum. S’il leur est possible de réfuter les arguments que nous avons employés, il nous sera impossible de répondre à ceux par lesquels ils nous auront répondu. C’est pourquoi il m’appartient d’en avoir dit le plus possible dans le cours de l’intervention et dans le temps qui m’est imparti. Je voudrais d’abord répondre à deux des arguments essentiels qui nous ont été opposés. On nous a dit que si le Parti avait eu un succès électoral, le problème ne serait pas faussé. Nous étions un certain nombre à prendre des positions semblables ou sensiblement semblables. Nous pensons qu’en réalité, il s’agit de ceci : le Parti ne pouvait pas avoir de succès sur le plan électoral avec la politique qu’il suivait. Le deuxième argument, c’est que nous ne devrions juger les comités directeurs que sur le point précis qui consisterait à savoir s’ils ont tenu les engagements pris à l’égard du congrès lors du dernier congrès national. Nous accepterions volontiers que le débat soit placé sur ce terrain, il vous suffirait d’avoir en mains deux documents, le premier, rapport moral présenté au 37e congrès national où notre camarade Daniel Mayer lui-même disait ce qui devait être fait. Je me contenterai de prendre le dernier des documents, le numéro spécial en vue du 38e congrès national du Bulletin intérieur et que je voudrais voir écrit au conditionnel passé. Ce que le Parti doit fait, à mon sens, c’est améliorer l’organisation du secrétariat, en donnant à chaque membre du comité directeur des tâches précises, l’organisation des femmes, des hommes, des jeunes avec le monde du travail, sur le plan de la propagande, organiser les grands déplacements régionaux, rattacher tous les problèmes actuels à notre position doctrinale traditionnelle, sur le plan parlementaire, il nous faut en premier lieu avoir une attitude indépendante des autres partis, notamment du Parti communiste et du Mouvement républicain populaire. Je me permettrai une seconde une remarque de caractère grammatical et, comme je vous le disais tout à l’heure, on aurait dû écrire cela au conditionnel passé et non au présent. Ce qui nous importe, c’est de nous en tenir au programme du rapport moral même, c’est-à-dire de discuter ce qu’a été l’action du Parti au cours de cette année. Je voudrais tout de même répondre à un camarade qui est venu nous dire que nous n’avions pas le droit, parce que parlementaires, de venir ici apporter ces reproches. Je vous demande pardon camarade, nous n’avons pas attendu aujourd’hui pour le faire, c’est qu’à l’intérieur du groupe parlementaire, et même à l’intérieur du comité directeur, nous avons fait à l’intérieur les actions que nous faisons maintenant et si cela ne s’est pas senti dans le Parti, c’est que nous avons l’habitude, depuis de nombreuses années d’être minoritaires et d’être battus. Ce soir, comme l’an dernier, il faudra peut-être encore l’intervention personnelle de notre camarade Léon Blum pour empêcher le congrès de suivre son impulsion du moment. Lorsque j’avais dédaigné déjà le maintien de la participation des nôtres à l’équipe de Gaulle, alors que l’on sentait dans le pays que tout ce qui était possible, depuis la Libération, n’était pas fait, notre camarade Léon Blum disait ici à la tribune du congrès que nous avions raison moralement, nous avions raison parce que notre Parti sera toujours le Parti des occasions manquées, et, de nouveau, le lendemain des élections, reposant la question au Groupe parlementaire, désignant les erreurs de tactique qui nous faisaient endosser devant l’opinion publique la responsabilité de la formation d’un gouvernement - alors que je peux rendre très volontiers cette justice à tous les camarades qui ont participé à la Libération, ils avaient raison sur le plan moral. Les délégués communistes, à l’intérieur étaient, dès le premier jour, partisans de la formation de ce gouvernement avec de Gaulle à sa tête mais nous avons agi d’une façon maladroite qui a permis de laisser dire dans tout le pays que c’étaient nous qui avions pris la responsabilité. Un certain nombre des nôtres -7- à l’intérieur du groupe parlementaire, avaient déjà dit que cette formation ne pouvait être composée sans qu’il y ait un programme. On nous a répondu : vous risquez d’avoir raison trop tôt. On n’a jamais raison au moment où il faut. Nous avons eu ce gouvernement ainsi constitué et vous savez comment. Il faut dire que c’est parfois avec quelque surprise que l’on entend des camarades nous dire : vous parlez de redressement et vous ne rendez pas au gouvernement de notre camarade Félix Gouin l’hommage qu’il mérite, et ce redressement fut fait tout de même au cours d’une nuit du 31 décembre 1945 au 1er janvier 1946. Il faut que le congrès sache que des camarades se battaient depuis des mois pour le renversement de la vapeur. Il me serait pénible de rappeler qu’il y avait parmi ceux qui durent s’incliner des camarades qui eurent une attitude pour le moins originale. Ce que nous reprochons au Parti, à la politique suivie par le Parti, nous avons à le défendre nous-mêmes. Aucun des camarades présents n’a jamais tenu d’autre langage que celui de nous reprocher à la direction du Parti d’avoir bouleversé le MRP. Qu’il nous soit permis de dire que lorsque nous tenions ce langage, on ne trouvait pas derrière nous la même unanimité. Je voudrais en venir à ce que je crois être le plus sérieux de nos griefs : c’est qu’en fait, sur le plan parlementaire même, qui était je crois à peu près le seul plan sur lequel se concentrait toute l’activité du Parti, sur ce plan-là, il n’y avait pas d’organisation réelle du travail, c’était du travail à la petite semaine. Le groupe parlementaire était appelé à prendre des positions aujourd’hui pour demain, quand ce n’était pas aujourd’hui pour aujourd’hui. Ce manque d’organisation dans le Parti s’est traduit parfois par des résultats invraisemblables. Demain, nous aurons, je suppose, à parler du problème constitutionnel. Pour vous montrer à quel point notre parti sur ce problème n’avait aucune ligne suivie : eut lieu la semaine dernière un incident sur le problème constitutionnel, un certain nombre de camarades siégeant à la commission de la Constitution, pensèrent que l’on pouvait faire disparaître le texte de la Déclaration des Droits de l’Homme. A la suite de l’incident, le lendemain, la question revint devant le groupe parlementaire. Le groupe parlementaire s’en saisit et, à la demande d’un certain nombre d’entre nous, décidait qu’il faudrait mieux garder la Déclaration des Droits. Pendant ce temps, à la commission de la Constitution, les membres représentant le Parti socialiste, acceptaient qu’on renonce à la Déclaration des Droits. Il y a là une condamnation des méthodes. Il est nécessaire que des problèmes comme ceux-là soient étudiés, d’abord dans les sections, puis dans les fédérations, puis dans les congrès. Autre grief, aussi grave, aussi essentiel, c’est que trop souvent, au cours des délibérations, au cours des prises de position, notre Parti ou les représentants de notre Parti ont fait figure de médiateur alors que, dans la situation politique même, nous aurions pu faire figure d’arbitre et c’est totalement différent. Il nous faudra demain déterminer la position du Parti socialiste. Il nous faudra, dès aujourd’hui, demain et dans les jours qui vont suivre, faire réétudier tous les problèmes qui se posent actuellement aux socialistes avec une tactique commune sur ces problèmes. Nous ne voudrions pas que ce qui a été fait hier puisse être refait demain. A l’heure actuelle il n’y a pas de politique déterminée. Nous considérons que c’est une faute grave que d’avoir permis qu’une position commune n’ait pas été déterminée sur les problèmes économiques, problèmes des salaires et des prix. Cela nous a amené à "une prise de bec" avec une partie des classes ouvrières. Ce manque d’argent parfois, n’incombe pas toujours aux militants du comité directeur. Le manque de travail sur le plan syndical, le manque de positions énergiques dans la défense des revendications ouvrières ne sont pas toujours imputables au comité directeur. A ceux qui nous disent que nous risquons d’éloigner de nous une partie des classes moyennes, je réponds : si les classes moyennes sont en train de se prolétariser, c’est à elles qu’il appartient de venir au socialisme et nous ne devons permettre à aucun moment que ce soit le socialisme qui aille à elles. Des camarades ont fait avant moi la condamnation de l’organisation de l’appareil du Parti : le secrétariat insuffisant, l’organisation d’une propagande qui n’a pas répondu à son but essentiel car si cette propagande a été faite sur le plan électoral, elle n’a pas été faite sur un autre terrain. Avant guerre, nous étions 100 000 au Parti, aujourd’hui, nous sommes 400 000, supposons que les anciens y soient, il y a 300 000 camarades, hommes et femmes venus au Parti avec tout leur cœur et tout leur espoir et ne savent pas encore ce qu’est le socialisme, parce que rien n’a été fait dans le Parti pour le leur apprendre. Le travail d’éducation doit être fait à la base et doit être dirigé par le comité directeur. Je ne citerai pour mémoire que les insuffisances manifestes en ce qui concerne l’organisation des femmes, l’organisation des jeunes, l’organisation socialiste d’entreprise. Il faut que demain il soit répondu à tout cela. Il faut absolument réorganiser l’appareil directeur, refaire l’Internationale, élargir notre base ouvrière, mériter en un mot le titre de l’Internationale ouvrière. Un certain nombre de reproches sont manifestés en face de la position que nous avons prise. Quand, dans un congrès, on vient discuter du travail fait ou du travail à faire, nous n’avons pas le droit de nous placer sur le terrain sentimental. Il y aurait dit-on, un danger de fournir des arguments en dénonçant ce que nous croyons être les erreurs du Parti et notre camarade Augustin Laurent a dénoncé ce danger en disant qu’il y a des partis où l’on dit dans la propagande que le Parti a toujours raison. Je pense d’abord que ce qui cause le plus de torts à un parti, ce n’est pas le fait de dénoncer des erreurs, c’est de les accomplir. Un délégué : Il ne faut pas dire que le Parti a toujours tort. Guy Mollet : Nous ne disons pas que le Parti a toujours tort, mais nous avons le courage de dire, face à la presse, les points sur lesquels nous luttons contre nos adversaires. On n’a pas le droit de nous dire que nous menaçons l’unité du Parti. Tous saurons avec quelle réalité, nous avons répandu chaque fois les décisions prises par la majorité du Parti et du groupe parlementaire. On peut avoir quelque opinion que l’on veut sur les prises de positions en faveur du tripartisme. Même lorsque nous n’étions pas contents, nous en avons quand même été les meilleurs propagandistes à l’intérieur du pays et nous prenons ici l’engagement que, lorsque ce soir, après des appels que je sais avoir une influence sur le congrès - et nous courons le risque de ne pas encore aujourd’hui, avoir réussi à faire prévaloir ce que nous croyons être la vérité - avec la même fidélité, nous continuerons à défendre dans le pays les positions que nous croyons justes... Qu’on ne nous parle pas que nous menacerons l’unité. Un autre argument : la question des tendances. Il n’y a plus aujourd’hui une lutte des tendances, et ce ne sera pas la victoire d’une tendance, mais ce sera la victoire du Parti sur lui-même, si nous réussissons aujourd’hui à faire trouver ce que nous croyons être l’intérêt du Parti. Il suffit de lire la presse adverse, il suffit de lire la presse bourgeoise et de voir en quels termes elle a sali la position prise par nous, et si quelqu’un a été vraiment offensant pour les camarades du comité directeur, ce n’est pas nous, c’est la presse bourgeoise qui leur a fait ce soir l’honneur de sembler les défendre contre notre opposition. Si tel cas a été offensant, c’est le Parti communiste qui, dans sa presse depuis quelques jours, nous traîne solidairement et conjointement dans la boue les uns et les autres, essaie de tirer profit de ce qu’il croit être une division du Parti alors qu’en réalité, ce n’est dans le Parti qu’une recherche en commun de la vérité pour demain. Mais, quand on nous « engueule », et cela vient de la droite ou de ceux qui se prétendent indûment à notre gauche, je me rappelle le vieux mot que Bracke nous rappelait : « Quand ces gens-là nous attaquent, on est tranquille, c’est qu’on a raison ». Le drame, à nos yeux, c’est que nous avons eu cette sorte de conscience au lendemain de la Libération. Il y avait dans le pays une sorte d’immense appel vers le socialisme, on attendait le socialisme parfois sous une forme absolument simpliste d’une volonté de changement, volonté révolutionnaire, mais la SFIO n’a pas su répondre à cet appel. Puis on nous dit que, demain, l’attitude que nous avons prise va créer du trouble dans nos sections et dans le pays. Nous disons le contraire, elle va redonner à nos sections ce coup de fouet dont elles ont besoin pour retrouver leur enthousiasme. Et il n’est pas impossible que ce coup de fouet soit répercuté sur le plan national. Nous allons condamner les insuffisances de l’action passée après quoi, demain, nous espérons pouvoir ensemble, fidèles au passé, fidèles à tous nos grands anciens, aussi bien à Jaurès qu’à Jules Guesde, repartir et, d’un pas un peu raffermi, marcher à la fois vers la révolution et vers l’avenir (Applaudissements). |
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