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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Les socialistes indépendants avant 1914
LES SOCIALISTES INDEPENDANTS AVANT 1914 :
INDEPENDANTS DES PARTIS OU INDEPENDANTS DES MILITANTS ?

par Sylvie Rémy

La question des rapports au parti comporte de nombreux aspects. Liens entre les militants et les dirigeants ; entre les militants et les élus ; entre les élus et les dirigeants ; entre les militants et les citoyens, les élus et les citoyens... Bref, elle pose celle de la démocratie non seulement en terme de représentation formelle mais aussi en terme de prise de décision. Pour les militants, le problème n'est pas tant de parler — de voter — que de participer réellement et concrètement à la prise de décision. Il leur faut donc disposer des informations et des outils nécessaires à la compréhension et la possibilité de faire appliquer ces choix par les représentants.

I. Le(s) parti(s) : quels avantages ? Quelles contraintes ?

Si pour la défense de "la cause", l'utilité du parti a été mise en relief dès les premières années de l'AIT parce que l'organisation pérennisait le combat , l'individu qui s'engage, surtout lorsqu'il prétend à des responsabilités, peut considérer autrement le choix qui lui est offert, se demander quels avantages il peut retirer d'une adhésion partisane et quelles contraintes cela peut entraîner. Il peut également comparer ces avantages et ces inconvénients avec ceux que lui procuraient, par exemple, son appartenance à un ou plusieurs réseaux.
Or, la question de l'adhésion ou de la création d'un parti se pose avec une nouvelle acuité à la fin du XIXe siècle. Elle a pu apparaître comme une nécessité au regard des évolutions de la vie politique. En effet, la délégation des socialistes indépendants dans la réunion constitutive du premier comité de vigilance montre que ces derniers sont très largement sous estimés alors que des organisations disposent d'une représentation bien supérieure à leurs forces réelles . La structuration des réseaux indépendants en quelque chose qui puisse ressembler à un parti était donc une condition pour être reconnu à leur juste valeur au sein du mouvement ouvrier et socialiste. C'est d'ailleurs ce qu'annonce clairement le comité d'entente qui succède au comité de vigilance et dans lequel les socialistes indépendants sont comptés comme un groupe homogène disposant d'une représentation globale . Les relations codifiées entre les socialistes organisés et les indépendants ont donc contraint ces derniers à adopter les modes de structuration traditionnels du mouvement ouvrier. Les fédérations nationales indépendantes sont directement issues du premier congrès général de 1899. Ces ébauches de structuration copiées sur les modèles traditionnels du mouvement ouvrier permettaient aux socialistes indépendants d'être considérés d'une façon plus conforme à la réalité de leurs forces militantes et électorales.
Or, jusque là, l'évaluation des rapports de force pouvait se passer des organisations puisqu'elle n'avait qu'un seul objet : négocier quelques accords électoraux. Le travail de Millerand sur ce plan durant les années 1890 pouvait se satisfaire des réseaux informels.
Pour les socialistes indépendants, le choix de constituer un parti pouvait également reposer sur la volonté d'imposer les règles de la majorité. Le parti pouvait donc apparaître à un moment donné comme un moyen coercitif qui leur permettait de contrôler un groupe, une fédération ou des individus. Il est par exemple remarquable que certaines fédérations indépendantes aient quitté le Parti Socialiste Français parce que le comité national s'était permis une ingérence dans leurs affaires internes . Jaurès également cherche à utiliser les règles du PSF et les militants pour contraindre les élus à modifier leur stratégie vis-à-vis du Bloc . Même Alexandre Zévaès lorsqu'il fait le bilan en 1919 du Parti Républicain Socialiste appelle de ses voeux une certaine discipline "doctrinale" et pratique — à condition bien sûr que la doctrine et les actions prévues soient conformes à ce qu'il veut ! Ces exemples montrent que l'indépendance avait des limites qui reposaient sur l'efficacité de l'action politique nationale.
Les avantages matériels que pouvait retirer un militant ou un groupe d'une adhésion partisane n'étaient pas nécessairement plus importants que ceux que pouvaient leur procurer les divers réseaux dans lesquels ils évoluaient. Les orateurs, les articles de presse, les aides ponctuelles à tel ou tel militant, tout cela est au moins aussi présent au sein des réseaux indépendants qu'au sein des partis.

En tout état de cause, pour de nombreux socialistes indépendants, les inconvénients l'ont emporté sur les avantages lorsqu'il s'est agi en 1905 de choisir entre la SFIO et une indépendance nouvelle. Ce sont surtout les motivations des élus qui nous sont les plus familières. Deux séries d'arguments peuvent être cernées dans les lettres de rupture émanant des 13 parlementaires indépendants qui refusent la SFIO. La première a trait à la politique parlementaire et à la défense du Bloc. Nous la trouvons bien lisible chez Deville, chez Augagneur et Colliard et à un moindre degré chez Gérault-Richard. La seconde série d'arguments porte sur la conception de l'action militante et donc sur ce que doit être — ou ne doit pas être — un parti. Elle constitue l'axe majeur de la position développée par Clovis Hugues et Paschal Grousset. Elle refuse toute discipline issue de rangs militants en considérant que la légitimité d'un représentant n'a sa source que dans l'électeur. Le point commun de tous ces arguments, c'est bien le refus d'avoir une ligne de conduite dictée par des militants.

II. Des indépendants divers, des attitudes diverses face au(x) parti(s)

Pourtant, l'existence des socialistes indépendants depuis les années 1880 ne peut pas toujours s'expliquer par ce refus. Il y a une très grande diversité des socialistes indépendants, une diversité visible sur différents plans et qui peut expliquer en partie les choix différents qu'ils soient amenés à faire et notamment celui de 1905 — dans ou hors de la SFIO. Entre les années 1880 et les années 1900, les socialistes indépendants n'ont pas les mêmes types d'actions, ne présentent pas les mêmes personnalités, n'ont pas les mêmes raisons ou les mêmes motivations pour être indépendants. Ils ont également des profils différents : les intellectuels sont ainsi mieux représentés chez les élus que chez les candidats et les militants ; les élus sont plus âgés que l'ensemble des candidats. Enfin, ils présentent un profil professionnel qui diffère de ceux des autres écoles socialistes : les classes populaires sont par exemple moins bien représentées chez eux que chez les autres socialistes. Ces différences peuvent sans doute expliquer certaines tensions et certaines scissions.

Mais il y a ensuite une grande diversité des statuts et par là, des ambitions : les socialistes indépendants élus n'ont pas nécessairement les mêmes intérêts et donc les mêmes positions, que les militants indépendants qui n'exercent aucune responsabilité électorale. A de nombreuses reprises, nous avons pu ainsi constater une césure entre les élus parlementaires et les militants. Chez de nombreux élus indépendants, la principale motivation semble résider dans la volonté de se sentir libre de toute attache et de pouvoir mener sa carrière politique sans entrave, sans être gêné par la présence de militants qui revendiquent un droit de regard sur leur action politique. Entre les années 1880 et le début du siècle, c'est certainement la catégorie la plus importante numériquement. Elle ne doit pourtant pas faire oublier les unitaires, c'est-à-dire les militants qui restent indépendants parce qu'ils ont refusé de choisir entre telle ou telle organisation. Deux autres sortes de socialistes indépendants sont remarquables surtout en début de période : ceux qu'on pourrait qualifier de "vrais indépendants" et qui sont bien représentés par un homme comme Vallès et ceux qui ont été rejetés par les premières organisations.

1. Les rejetés des partis : de la volonté d'être reconnu à sa "juste" valeur.
Nous avons croisé chez les socialistes indépendants quelques personnalités qui semblaient considérer que leur histoire personnelle — notamment sous le second Empire ou sous la Commune —, leur position sociale ou encore leurs relations, leur conféraient une légitimité incontestable au sein des organisations partisanes. La désillusion fut grande pour des hommes comme Lissagaray ou encore Camélinat lorsqu'il s'aperçurent que la FTSF pouvait non seulement vivre sans eux, mais encore, le souhaitait vivement. Il est difficile de ne pas voir dans cette absence de considération pour ces deux vétérans des batailles impériales les raisons de leur indépendance. La FTSF les "snobait", ils lui rendirent la pareille ! D'une certaine façon, au début de son engagement socialiste, Jaurès leur ressemble. Il pensait que la sincérité de son engagement, le temps passé à la défense des ouvriers, son statut d'élu, lui conférait cette légitimité que d'autres avaient obtenu en représentant un groupe militant. Avec le temps cependant, la plupart de ces militants ont accepté les règles du jeu et rejoint les autres catégories d'indépendants.

2. Les jaloux de leur indépendance
Certains socialistes indépendants refusent d'adhérer à une des organisations socialistes puis à la SFIO en 1905 parce qu'ils craignent que l'organisation ne les contraigne à suivre des orientations votées par des militants, parce qu'ils risquent de ne pas être choisi à nouveau comme candidat pour l'échéance électorale suivante... Bref, ce qui gêne ces socialistes indépendants, c'est l'idée de devoir rendre des comptes. Ils considèrent donc que les inconvénients l'emportent sur les avantages que pourraient leur procurer un parti.
Le conflit entre certains élus ou certains dirigeants et l'ensemble des militants n'est pourtant pas une nouveauté dans le mouvement ouvrier. C'est pour y remédier qu'était inventé le mandat impératif. C'est déjà ce conflit qui sert de toile de fond aux scissions entre la FTSF et le POF en 1882, entre les broussistes et les allemanistes en 1890 et entre indépendants lors de la création de la SFIO. C'est lui encore qui a agité les débats du congrès de Bordeaux du PSF en 1903 — pour lequel, de façon symptomatique nous ne disposons pas du compte rendu mais seulement des principaux discours — parce que les militants estimaient que leurs représentants ne respectaient pas leurs engagements .
C'est pourquoi la coupure de 1905 est importante. Finalement, c'est elle qui pousse à sortir des ambiguïtés dans lesquelles le Parti Socialiste Français était englué. C'est elle qui montre le clivage réel. Les socialistes indépendants qui refusent l'unité et la SFIO sont des socialistes qui n'acceptent pas le contrôle des élus sur leur activité politique, qui rejettent l'idée d'être les représentants d'un parti et, donc des militants du parti. Bien sûr, l'argument utilisé consiste à opposer la volonté d'un nombre restreint de militants à celle d'un nombre bien plus conséquent d'électeurs. C'est un argument classique, utilisé à maintes reprises par les élus, dès lors que des militants contestaient leurs prises de positions ou leurs votes. On le trouve fréquemment chez les élus guesdistes qui deviendront indépendants ; mais on l'a également beaucoup rencontré dans la FTSF, notamment au moment de la scission allemaniste. Or, les comptes rendus des réunions de militants et ceux des réunions d'électeurs montrent que les élus avaient bien plus de facilités à convaincre un public d'électeurs qu'un public de militants, visiblement plus regardant et s'attachant à mettre en relation le programme de leur parti et de leur candidat avec les actions effectives.

Il s'agit là du débat fondamental de l'unification. Pendant longtemps, les textes importaient moins aux élus indépendants que la façon dont ils étaient appliqués. Une partie des indépendants pouvait accepter une discipline statutaire, si on lui garantissait, à côté, une liberté totale et la non application des textes. On peut rappeler, à titre d'exemple, les réserves émises par le fédération du Cher en 1905 qui semble pourtant s'être satisfaite de garanties orales qui contredisaient les textes votés.

3. Les unitaires
Les débats des années 1904 et 1905 permettent également de voir qu'une partie des socialistes indépendants oeuvre réellement à la réalisation de l'unité ce qui pourrait justifier a posteriori les discours qui expliquaient leur choix de l'indépendance par les divisions du mouvement socialiste. Il s'agit là d'une hypothèse qui repose sur le fait que certains hommes qui ont affirmé leur recherche de l'unité sont effectivement allés jusqu'au bout du processus. Certains, comme Fournière et Rouanet, tiennent ce discours depuis qu'ils ont quitté la FTSF au début des années 1880 ; d'autres, comme Jaurès, depuis qu'ils ont intégré un mouvement socialiste effectivement divisé ; d'autres enfin, comme Longuet, ont considéré rapidement que les anciennes organisations avaient fait leur temps .
Aux côtés des élus réticents face à un contrôle militant, il y a donc une frange de socialistes indépendants, y compris d'élus, qui, aux côtés de Francis de Pressensé et de Renaudel, s'attache à amener à la SFIO les troupes indépendantes. La Vie Socialiste qui sort 19 numéros entre novembre 1904 et août 1905 souhaite regrouper l'aile gauche du PSF et structurer une tendance favorable à l'unité.

A priori, les unitaires doivent être les chantres du compromis. Cette recherche permanente du texte susceptible de rallier deux positions opposées correspond bien à l'activité d’un homme comme Jaurès que ce soit au sein du PSF — voir notamment les discours de Bordeaux qui répondent à la fois à Sarraute et Millerand et à Hervé —, ou lors de réunions plurielles — lors des congrès de 1900 et de 1904 par exemple. Cette activité trouve pourtant ses limites dès lors que les positions deviennent résolument contradictoires. C'est que l'unité impose également d'accepter une certaine discipline et les règles des majorités. Sur ce plan les discutions qu'entretient Fournière avec les dissidents indépendants après 1905 sont fort instructives. Il ne peut évidemment pas leur reprocher leurs prises de position puisqu'il en partage l'essentiel. En revanche, il leur reproche de ne pas jouer le jeu du parti, de s'être tu lors du dernier congrès du PSF à Rouen en mars 1905 . La même discussion a lieu en 1907 et oppose au sein de la SFIO Breton à Varenne, le second reprochant au premier de ne pas respecter les règles de la SFIO et de vouloir faire modifier l'orientation du parti non pas en cherchant à convaincre les militants mais en faisant pression de l'extérieur . Les unitaires ont donc accepté les règles du jeu y compris lorsque celles-ci avaient défini des positions politiques différentes de celles qu'ils défendaient.

4. Y a-t-il eu de vrais indépendants ?
On pourrait se demander s'il a existé de vrais indépendants, c'est-à-dire des hommes qui auraient choisi volontairement de ne pas se retrouver dans une organisation constituée, qui auraient été heureux de cette situation et qui ne l'auraient pas choisie dans le seul but de contourner des règles démocratiques. En d'autres termes, de "vrais indépendants" ont-ils existé ? Il semble que oui même s'ils ne sont certainement pas très nombreux. Ces "vrais indépendants" semblent avoir en commun une idée très large et finalement très peu précise de ce que pouvait être un parti. On trouve chez eux l'image du "parti-mouvement" défini par Raymond Huard . Il en va ainsi de Vallès, ce "soldat libre" , pour qui le Parti est à la fois la somme des organisations du mouvement ouvrier et la classe ouvrière dans son ensemble. Il en va également de même pour des hommes comme Millerand pour qui le Parti est l'équivalent d'un camp, lequel se définit uniquement à ses yeux dans une alliance conclue dans les couloirs de la Chambre. Pour le premier, l'indépendance découle logiquement d'un statut extérieur à la classe ouvrière. Il est indépendant des structures du mouvement ouvrier parce que n'étant pas ouvrier lui-même, il ne se sent pas à sa place parmi les "blouses". En ce sens, son indépendance respecte les premières décisions de la section française de l'AIT qui refusait à un intellectuel, la possibilité de faire partie de sa direction . Quant à Millerand, la politique de concentration socialiste qu'il développe à partir des élections législatives de 1893 semble s'appuyer plus sur les habitudes radicales et parlementaires que sur une conception organisationnelle du parti.

Il y a un paradoxe entre les conceptions ouvrières du parti qui nous montrent finalement dès la mise en place de la FTSF en 1879 une structure aisément reconnaissable avec ses règles de fonctionnement bien définies et la conception du parti qui prévaut toujours dans la classe politique de structures informelles constituées essentiellement autour des élus parlementaires. Or, si certains hommes, pour avoir fréquenté les organisations socialistes ne peuvent ignorer un certain nombre de principes forts et ancrés depuis longtemps dans le mouvement ouvrier, d'autres, en revanche, doivent les découvrir. Quelles que furent les relations qu'entretenait le radical-socialiste Millerand avec des militants socialistes, ces relations ne se sont jamais situées sur un plan interne. Millerand, n'a jamais vu fonctionner une organisation socialiste de l'intérieur ; il n'a jamais eu à prendre part à une prise de décision d'une organisation. Les seules structures qu'il connaisse sont celles, bien plus informelles des radicaux, justement, ces structures lâches créées à partir des groupes parlementaires. Ceci est d'autant plus fort que les premières relations officielles qu'il entretient avec les militants socialistes, sont celles qu'il noue avec les députés d'extrême gauche lors de la législature de 1885-1889. Il est donc probable qu'un homme comme lui n'a pas d'autres projets en 1896 que ceux qu'il construisait jusqu'alors. Une structure lâche qui regrouperait tous les socialistes ; pas un parti organique.
Pourtant, avec une histoire qui n'est pas plus socialiste que celle de Millerand, Jaurès évolue différemment. Probablement parce que le point d'ancrage des deux hommes est différent. Le comité électoral du XIIe arrondissement qui soutient l'action de Millerand n'a pas de lien avec le mouvement ouvrier ; les comités de Carmaux en ont eux depuis longtemps. C'est certainement ce qui explique les efforts de Jaurès pour comprendre puis se plier aux règles des structures du mouvement ouvrier, aux règles des partis. Son incompréhension semble pourtant totale en 1896 lorsqu'il envisageait de participer au congrès international de Londres avec comme seul mandat son siège de député. Contraint d'obtenir à la dernière minute et par télégramme un mandat en bonne et due forme de la part du groupe de Carmaux, il semble avoir appris à respecter au moins ces formes.

III. Quel parti pour les indépendants (!) ?

La conception du parti qu'ont pu développer les socialistes indépendants à partir des premiers congrès unitaires a profondément évolué sous le double impact des discussions nationales et internationales et des expériences de participation au pouvoir, participation directe avec Millerand ou indirecte avec la délégation des gauches. Ce qui frappe surtout lorsqu'on compare les statuts du PSF de 1901, ceux de la SFIO et ceux du Parti Républicain Socialiste, c'est bien sûr la place différente que peuvent prendre dans ces trois partis, les parlementaires. Dirigeants du Parti, autonomes et simplement soumis à un contrôle fédéral dans le PSF, les parlementaires sont exclus de l'exécutif de la SFIO et doivent se soumettre aux décisions du parti dans leur activité parlementaire. A l'inverse, ils bénéficient d'un rôle encore plus important qu'au sein du PSF dans le Parti Républicain Socialiste puisqu'ils sont membres de droit de l'exécutif du parti et y détiennent une majorité absolue.

Au sein du PSF, les discussions sur le projet d'unification qui aboutissent à la création de la SFIO mettent l'accent sur deux questions : le contrôle des élus et la reconnaissance d'un "droit de tendance". Si la seconde question semble faire l'unanimité chez les indépendants, en revanche, la première voit se confirmer les clivages internes déjà constatés à maintes reprises entre une partie des élus et une partie des militants.
Dès le congrès d'Amsterdam, Jaurès demandait à ce que soient reconnus les droits de la majorité et de la minorité . Sur cette question, les socialistes indépendants obtiennent gain de cause puisque l'article 25 des statuts de la SFIO stipule qu'"à défaut d'entente préalable, la minorité a droit s'il y a lieu à une représentation proportionnelle". Certes, il faut attendre 1907 et le congrès de Nancy pour que cet article soit invoqué et se traduise par une représentation effectivement proportionnelle dans les instances.
Les autres questions relatives au statut des élus dans le Parti sont bien plus épineuses. Entre le PSF et la SFIO, les parlementaires ont perdu le droit de siéger à la Commission administrative du Parti (article 28). Les nouveaux statuts ne comptent pas moins de 14 articles relatifs au "contrôle" et à "l'arbitrage" (articles 43 à 57). Les parlementaires relèvent du contrôle du Conseil National (art. 66) qui ne peut comprendre plus de 10% de députés (art. 23). Cette restriction n'existait pas au sein du PSF. En outre, les candidats doivent s'engager par écrit à respecter les principes du parti (art. 45). Des dispositions similaires concernent d'autres catégories d'élus. Enfin, les socialistes indépendants qui entretenaient des réseaux militants propres au moyen d'une presse variée ont pu lire avec inquiétude le titre VIII des statuts de la SFIO qui prétendait également contrôler la presse.

Le bilan qu'Alexandre Zévaès et Jacques Prolo peuvent tirer de l'expérience du PSF d'après 1907 et du PRS montre bien les contradictions qui existaient chez les indépendants. Sans contrainte aucune, ils se condamnaient à des prises de position aussi diverses que le nombre de leurs adhérents ; en réglementant leur action politique, ils s'éloignaient de l'indépendance, créaient un système aussi coercitif que celui de la SFIO et finalement, se rebellaient. Les socialistes indépendants ne sont pas parvenus à concilier mieux que les partis traditionnels qu'ils combattaient, la nécessité de l'action collective et la liberté individuelle.
Sylvie Rémy
 

 
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