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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Auriol/L'OURS 336
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L’OURS n° 336 mars 2004
Auriol, de l’Élysée au Cédérom
Vincent Auriol Journal du septennat 1950 édition établie par Pierre Nora et Jacques Ozouf, livre avec CD Tallandier 2003 796 p 39 €
La parution du volume 1950, " dernier " tome du Journal du septennat de Vincent Auriol, accompagné d’un Cédérom contenant l’ensemble du journal 1947-1954, est un véritable événement.
Il aura en fait fallu attendre trente-quatre ans, depuis la date de parution du premier volume consacré à l’année 1947, pour disposer du Journal du septennat de Vincent Auriol dans son intégralité. Du côté des archives Auriol, le travail était achevé avec l’inventaire complet des archives de sa présidence de la République et de son très riche fonds privé paru en 2001, sous la direction de Françoise Adnès1, formidable volume qui aide à se repérer à travers quelque 600 cartons. Mais surtout, la parution du journal de 1950 clôt une aventure éditoriale divulguée aujourd’hui par Pierre Nora. Ici, les enjeux de mémoire le disputent aux règlements de compte à distance, sur fond de disparitions, de découragement et de manque chronique de moyens financiers pour de telles éditions scientifiques.
L’aventure d’un incroyable journal Il faut avouer que la nature même du journal d’Auriol ne pouvait laisser indifférent. Car, dès son arrivée au palais de l’Élysée, dans l’idée qu’il se faisait de sa fonction, le président entendait rendre des comptes de son action aux citoyens. Alors, non content de conserver rapports et avis, correspondances et télégrammes, notes des renseignements généraux et autres documents couverts par le " secret défense " ou le " diffusion restreinte ", de dicter chaque soir à sa secrétaire ses propres notes et comptes rendus, impressions des audiences et réunions du jour, les progrès techniques aidant, le président Auriol avait eu l’idée, à partir de 1949, d’enregistrer à leur insu ses visiteurs en se servant d’un magnétophone encastré dans son bureau. Procédé que la morale réprouve sans doute, mais dont le but n’était que de servir l’histoire… Belle aubaine pour l’historien et les curieux. Auriol, en " retraite " en 1954, hésitant devant la forme à donner à la montagne de documents rassemblés, n’eut finalement pas le temps de sculpter lui-même " son " journal. La mort l’a surpris alors qu’il reprenait pour la deuxième fois le manuscrit de l’année 1947. En 1967, Mme Auriol eut la clairvoyance de faire appel à des historiens pour reprendre le projet. On imagine leur surprise et leur enthousiasme. Rien d’intime ou de personnel à la première lecture – quoique…–, mais de la politique presque à toute les pages. Le travail avançant, et l’édition se précisant dans une double direction, un journal " intégral " en édition critique (éditée par Armand Colin et le CNRS), et un volume grand public2 publié chez Gallimard, synthétisant les temps forts du septennat, le problème s’est posé aux maîtres d’œuvre de faire face à une censure éventuelle. Pompidou, choqué par l’entreprise et les sources dévoilées (autant que par la manière dont certaines avait été obtenues), hésita à en interdire la parution mais de Gaulle faisant paraître ses Mémoires dans le même temps, il laissa faire : il n’y eut pas de vrai scandale, mais des interrogations et un réel intérêt de la communauté scientifique. Six volumes, confiés pour l’établissement des notes à de jeunes historiens, parurent entre 1970 et 1980. Le volume 1950, lancé dans le même mouvement, fut victime d’une série de contretemps, pertes et incidents, dont l’un des moindres – nous apprend Pierre Nora – ne fut pas le peu d’empressement montré par François Mitterrand, devenu président de la République entre-temps, à prolonger les subventions à une édition qui ne pouvait aboutir sans soutien. En effet, l’homme du 10 mai aurait peu goûté les appréciations notées à son endroit par son prédécesseur à l’Élysée. Vengeance à distance ? Ces péripéties nous replongent dans l’histoire des relations tumultueuses du monde politique avec la IVe République, cette " mal-aimée ", et avec son président, figure attachante, à la rondeur méridionale… et à la formule assassine. Source indispensable, ce dernier volume, qui ne contient plus de révélations fracassantes, projette, sur fond de guerre de Corée et d’avancées européennes, le film d’une année 1950 fertile en crises ministérielles. Attaqué violemment par les gaullistes et les communistes, le régime trouve en son président un arbitre obstiné qui ne ménage pas les partenaires d’une Troisième force à la recherche d’un… quatrième souffle. " Premier anticommuniste " de France, Auriol n’est ni primaire ni secondaire, il connaît trop bien, depuis Tours, ses frères ennemis pour ne pas se nourrir d’illusions sur la nature des attaques dont il est lui-même l’objet. Quant au RPF, la réforme électorale devrait le contenir.
Auriol, président… et socialiste Le recours aux enregistrements des conversations est très fréquent et place le lecteur au cœur des discusions qui agitent le sommet de l’État. Au-delà des débats économiques et commerciaux (Schuman, en conseil des ministres, le 17 mars, réclame " une enquête rapide sur le point de savoir si cette boisson [le Coca-Cola] est ou non nocive "), les mœurs politiques, entre convivialité, méfiance, animosité sont décryptées par un orfèvre. Entre le tutoiement avec les " vieux " camarades, Moch, Ramadier, Lussy,… et le vouvoiement aux nouveaux, notamment le secrétaire général de la SFIO, Guy Mollet, on sent bouillir le président, professeur de République, sévère avec " ses " élèves dissipés. Et, notamment, avec ses camarades. À la grande fureur d’Auriol qui y voit un mauvais prétexte, les ministres socialistes ont démissionné le 4 février du gouvernement Bidault (MRP) qui refuse une augmentation des bas salaires : c’est la première fois depuis la Libération qu’ils ne participent pas à un gouvernement. À la chute de Bidault fin juin, le radical Queuille, appelé pour dénouer la crise, échoue et une mission d’information est confiée à Guy Mollet début juillet, qui aboutit à l’investiture de Pleven (UDSR). Les socialistes acceptent alors de participer, Guy Mollet est ministre d’État chargé de l’Europe. En cette année 1950, marquée par le décès de Léon Blum, la question du leadership sur la SFIO est posée. Le 13 juillet, Auriol note : " Il y a un drame Moch Guy Mollet. C’est la succession de Léon Blum, et même pour la présidence du gouvernement. Jules Moch m’en veut d’avoir chargé Guy Mollet d’une mission d’information, mais de sa part cela ne se justifiait pas, pour Guy Mollet il s’agissait au fond d’engager le parti socialiste dans la participation, lui seul pouvait le faire comme secrétaire général du parti. Ce parti paraît être pénétré du virus radical. On me reproche d’être trop mêlé au parti socialiste, alors qu’en réalité, j’ai, [de la part] des socialistes, des reproches de ne pas assez m’en occuper. " Cette question sera en fait réglée rapidement. Dès la fin de l’année, Mollet a " gagné " face à son rival, son retour à un poste ministériel lui ayant donné une nouvelle autorité. Auriol en prend acte même s’il estime le 13 décembre qu’" il faudrait essayer de pacifier l’âme tendue de Guy Mollet. Il travaille beaucoup et il se bagarre avec tous, Philip d’un côté, les Anglais de l’autre, l’Assemblée en outre ". À propos de documents de son ami Léon Blum que sa veuve Janot lui a montrés, il consigne le 16 juillet : " Il y a un grand idéalisme, peut-être trop, qui se fonde sur la probité intellectuelle du parti, sur le jeu de noblesse des idées, mais malheureusement il ne tient pas compte de la dégradation des mœurs politiques, même dans le parti socialiste, qui n’est plus soutenu par le grand idéal qu’on ne défend plus, par la description de ce que sera le socialisme de demain ; la vie quotidienne projette son ombre sur cette belle lumière que constitue l’idéal socialiste. " Ce pessimisme contraste avec le dynamisme dont il fait preuve pour soutenir le régime. Mais, avant même la mort de Blum, Auriol se sent seul, et ce sentiment ira en s’accentuant. Il s’éloigne de son parti, mobilisé par d’autres préoccupations, coupé trop longtemps de ses bases pour retrouver ses repères. Il appartient aussi à une autre génération. Tout est donc en place désormais pour prolonger les recherches engagées sur un homme qui a joué un rôle si important dans une République qui, malgré des échecs, permit le redressement du pays et trouva la voie de la paix en Europe, par la réconciliation franco-allemande et la marche à l’Europe. Auriol, qui dût aussi forcer ses réticences, y fut pour beaucoup. On lira avec intérêt dans son Journal les débats sur la naissance de l’Europe en se rappelant que les socialistes mirent tout leur poids dans ce combat.
Frédéric Cépède
(1) Archives de la présidence de la République, IVe République : Vincent Auriol, René Coty, Inventaire par Françoise Adnès, Archives nationales Documentation française, 2001, 402 p, Cf. L’OURS 319. (2) Vincent Auriol, Mon Septennat 1947-1954, Pierre Nora et Jacques Ozouf dir.,Gallimard, 1970, 590 p. |
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