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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Daniel Mayer par Martine Pradoux
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DANIEL MAYER (1909-1996) par Martine Pradoux
Daniel Mayer dont les yeux tristes démentaient l’humour affiché en permanence a conservé jusqu’à la fin de sa vie une passion intacte pour la politique et le socialisme. Le temps n’a pas eu de prise sur sa perception des événements, des hommes et de lui-même. Pour lui, seule comptait «l’unité de vie», la fidélité à soi-même. Il a incarné une conception exigeante de la politique fondée sur le respect de la parole donnée, le refus des compromissions, le mépris de l’argent.
Avec sa disparition, le 29 décembre 1996, se tourne une page de l’histoire de la SFIO et du socialisme français. Le militant socialiste, construit par le parti d’avant-guerre, secrétaire du PS clandestin pendant l’Occupation et secrétaire général de la SFIO à la Libération, a entretenu avec la SFIO des relations passionnées d’adhésion, d’identification puis d’opposition jusqu’à la rupture en 1958. Né en 1909 dans une famille juive pauvre, ce Parisien autodidacte aux allures de Gavroche travaille, dès l’âge de 14 ans, comme grouillot à la Bourse, chineur, représentant de commerce. A 18 ans, en 1927, il découvre sa seule passion, la politique. Bouleversé par l’affaire Sacco et Vanzetti, il adhère à la Ligue des droits de l’homme puis, trois mois plus tard, à la SFIO et aux Jeunesses socialistes qui répondent mieux à sa soif d’action. Le militantisme lui apporte une culture, un métier (journaliste au Populaire) et une famille (il épouse une militante socialiste d’origine roumaine, Cletta Livian qui exercera une grande influence sur lui). Son intégration à la SFIO semble totale. Pourtant les premiers signes d’’une fracture avec la direction du parti se manifestent en 1938. Farouchement antimunichois, Daniel Mayer s’éloigne de la direction paulfauriste et s’engage définitivement aux côtés des «bellicistes», derrière Léon Blum, son patron au Populaire, pour lequel il nourrit une admiration sans bornes.
l’épopée de la résistance Alors que le Parti socialiste s’est effondré, discrédité par le vote de la majorité de ses parlementaires, le 10 juillet 1940, et par l’attitude défaitiste d’une partie de ses dirigeants, Daniel Mayer fait partie des socialistes résistants de la première heure. En juillet 1940, Léon Blum lui déconseille de partir pour l’Angleterre et trace sa mission en France : reconstruire le parti, orienter la lutte à la fois contre l’occupant et contre Vichy. Daniel Mayer se consacre à la reconstitution du Parti socialiste clandestin en zone sud et devient, le 21 juin 1941, secrétaire général du Comité d’action socialiste (CAS) pour la zone sud. Son rôle est exclusivement politique. Messager et interprète de Léon Blum, il s’efforce, avec d’autres militants, d’apporter au PS clandestin une organisation, un programme et surtout une légitimité. Il prend en charge la rédaction du Populaire clandestin pour l’édition en zone sud. En avril 1943, il accomplit avec succès une mission à Londres. Il obtient, auprès du général de Gaulle et des socialistes du groupe Jean-Jaurès, la reconnaissance politique du Parti socialiste clandestin et une légitimation personnelle. Il associe les socialistes «gaullistes» et «antigaullistes» de Londres à la rédaction d’un texte qui deviendra le programme du Parti socialiste, proposé à l’ensemble des partis et des mouvements de résistance. Il devient, en juin 1943, secrétaire général du PS clandestin unifié et représente le PS à l’assemblée plénière du Conseil national de la Résistance après le départ d’André Le Troquer pour Alger.
le rendez-vous manqué A 35 ans, il est élu secrétaire général de la SFIO, au congrès national extraordinaire de novembre 1944. Cette ascension fulgurante s’achève moins de deux ans plus tard par une défaite cinglante. Au congrès d’août 1946, pour la première fois dans l’histoire de la SFIO, le rapport moral est rejeté par les deux-tiers des délégués, l’équipe issue du PS clandestin est désavouée par la base et les cadres du parti. Daniel Mayer démissionne. Cet échec collectif qui résulte de multiples facteurs est aussi un échec personnel. Croyant incarner le monopole de la résistance socialiste, Daniel Mayer impose l’image d’un secrétaire général autoritaire et maladroit. Guy Mollet est élu Secrétaire général de la SFIO. Le congrès d’août 1946 ouvre chez Daniel Mayer une blessure définitive. Ses relations personnelles avec Guy Mollet, marquées par l’hostilité et la défiance, se figent très vite. Dès l’automne 1946, Daniel Mayer multiplie les motifs de contestation au Comité directeur et les indisciplines au groupe parlementaire. En juillet 1948, il tente de renverser Guy Mollet lors de l’élection du Secrétaire général. Ne pouvant invoquer aucun désaccord politique sérieux avec Guy Mollet depuis la chute du gouvernement Ramadier et le ralliement du secrétaire général à la Troisième Force, Daniel Mayer, alors ministre du Travail et de la Sécurité sociale (1), accrédite l’image de l’opposant systématique, du mauvais perdant en quête de revanche personnelle, bien avant les conflits politiques qui l’opposeront à la direction du parti. l’opposant Adversaire acharné de la Communauté européenne de défense - il redoute la résurrection d’un militarisme allemand incontrôlable - il multiplie les indisciplines parlementaires et accumule blâmes et sanctions. Le 30 août 1954, il est exclu du parti avec Jules Moch et Max Lejeune. Ils sont réintégrés en 1955. A partir de 1956, il s’oppose à la politique socialiste en Algérie. Il dénonce l’utilisation de la torture, le détournement de l’avion marocain transportant des dirigeants du FLN et surtout l’opération de Suez. En juillet et en novembre 1957, il refuse de voter les pouvoirs spéciaux demandés par les gouvernements Bourgès-Maunoury et Félix Gaillard. Élu en mars 1958 président de la Ligue des droits de l’homme (2) et se sachant menacé d’exclusion à la prochaine indiscipline, il démissionne de son mandat de député, invoquant «une antinomie de fait entre l’indispensable rigueur de la ligue et l’inévitable compromis dû à l’arithmétique parlementaire.» En septembre 1958, c’est la rupture avec la SFIO. Plus encore que la guerre d’Algérie, le ralliement de Guy Mollet au général de Gaulle, sa participation au gouvernement et à l’élaboration du projet constitutionnel, enfin, l’échec des minoritaires rendent, à ses yeux, la scission inévitable.
Le «retour» au PS S’étant lui-même condamné à un isolement progressif, Daniel Mayer ne figure pas dans les instances dirigeantes du PSA dont il est pourtant l’un des fondateurs avec ses amis Edouard Depreux et Robert Verdier. Il joue un rôle effacé au PSU qu’il quitte discrètement en 1967. En 1969, la rénovation du PS se fait sans lui et en dehors de lui. Il annonce son adhésion au nouveau PS en mars 1970 et ne participe pas au congrès d’Epinay. Il défend, à chaque élection, une stratégie d’union de la gauche et apporte son appui à ses deux leaders, Pierre Mendès France et François Mitterrand qu’il soutient en 1965, en 1974 et en 1981. Nommé président du Conseil constitutionnel par François Mitterrand en février 1983, Daniel Mayer démissionne, en février 1986, de la présidence (il reste membre du Conseil jusqu’en 1992), s’effaçant derrière Robert Badinter. Ultime geste du militant socialiste, satisfait «d’avoir fait gagner trois ans de présidence à la gauche.» Pendant plus de 60 ans, le militant socialiste a témoigné, par ses engagements, ses refus, de la dignité de la politique et de la permanence des valeurs du socialisme républicain, dans le sillage de Jean Jaurès et de Léon Blum.
Martine Pradoux (article paru dans l’OURS n°270, janvier février 1997)
(1) Ministre du Travail et de la Sécurité sociale dans le gouvernement Blum en décembre 1946 puis, de mai 1947 à octobre 1949. (2) Il démissionnera de la présidence de la LDH en 1975 et présidera la FIDH de 1977 à 1983.
Martine Pradoux vient de publier Daniel Mayer, Un socialiste dans la Résistance, Éditions de l'Atelier, 2002, 268 p |
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