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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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G Morin / Expo Collaboration / L'OURS 444
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p. 8 : EXPOSITION
LA COLLABORATION REGARDEE EN FACE
par GILLES MORIN à propos de l’exposition La Collaboration, 1940-1945 aux Archives nationales, 90 rue des Francs-Bourgeois, 75004 Paris, du 26 novembre 2014 au 2 mars 2015
Article paru dans L’OURS n°444 (janvier 2015), page 8.
Présentée à l’Hôtel de Soubise dans le quadrilatère historique des Archives nationales (AN), cet exposition est le fruit d’un travail collectif. Aux côtés des deux historiens maîtres d’œuvres, Thomas Fontaine et Denis Peschanski, il faut citer la compétence des trois autres commissaires appartenant au département de la Justice et de l’Intérieur des AN : Violaine Challéat-Fonck, conservateur du patrimoine, Pascal Raimbaut, secrétaire de documentation, enfin Marion Veyssière, conservateur en chef. Cette coopération historiens-archivistes nous permet de découvrir une exposition vivante, avec une masse de nouveaux et riches documents.
La Collaboration est une obsession nationale, rappelait Henri Rousso dans une récente table ronde. Elle n’est certainement pas, comme le répètent trop de commentateurs, un sujet tabou. Vichy, ce « passé qui ne passe pas », est au centre de débats historiques et d’une injonction mémorielle depuis plus de 40 ans. Pourtant, la Collaboration, phénomène qui n’est pas spécifique à la France, a souvent été réduite dans des travaux et les médias à la collaboration d’État et plus encore à la complicité de Vichy dans la « solution finale ». Dans le même registre, certains, comme Jacques Attali, proclament que les Français étaient « tous collabos ». Enfin, à l’encontre de cette vision noire, la vieille thèse de Pétain « bouclier » ressort régulièrement, illustrée récemment par Éric Zemmour, et tous ceux qui prétendent que Vichy a protégé les Juifs français.
Cette exposition tombe à pic pour faire le point des avancées de la recherche et remettre quelques pendules à l’heure. La présentation au public du projet de statut des Juifs annotés de la main du vieux maréchal – qui, en durcit le contenu, n’en déplaise à Zemmour… – rappelle l’antisémitisme fondamental du chef de l’État. D’autres documents montrent la complicité du régime dans la mise en œuvre de la solution finale. Mais l’intérêt de cette exposition ne se limite certainement pas à cette démonstration bien relevée par la presse.
Les espaces de la Collaboration Chrono-thématique, l’exposition met en scène la diversité de la Collaboration, en fractionnant l’espace en diverses pièces ou passages. Murs et couloirs, semblables à des rues, permettent de figurer des décors d’époque, avec des reconstitutions d’affichages publics ou graffitis du temps, ou un décor de bibliothèque pour le monde intellectuel… L’espace est ainsi utilisé au maximum, mais avec une recherche de diversité afin de ne pas lasser le visiteur. Une certaine sensation d’oppression s’en dégage, conforme au thème traité.
S’ouvrant sur la rencontre de Montoire (24 octobre 1940), elle se développe progressivement en passant du gouvernement aux autres acteurs et aux différentes formes prises : collaboration d’État dans la lutte contre la Résistance, les Juifs, les francs-maçons et les communistes, collaborationnisme des ultras parisiens, collaboration militaire – avec la Légion des volontaires contre le bolchevisme (LVF) bien sûr mais aussi d’autres unités spécialisées moins connues du public –, collaboration économique, intellectuelle et artistique enfin. Il faut saluer ici le souci d’équilibre, et noter l’attention permanente à la chronologie dans un univers marqué par le poids de l’Occupation allemande. En effet, la logique de guerre s’impose à tous et influe sur chaque composante et sur leurs relations. Si les rivalités, les divergences et les luttes d’influences entre les différents acteurs sont permanentes – au sein des autorités d’Occupation, au sein de Vichy ou entre Vichy et les collaborationnistes parisiens, par exemple –, les passerelles entre ces composantes ne sont pas moins réelles. Le choix des documents, pour la plupart inédits, est ici essentiel. Ils proviennent des AN bien sûr, notamment de la masse des documents saisis figurant dans les scellés de Justice, mais aussi des archives de l’Armée et de la Préfecture de Police (SMAC), enfin de très riches collections privées. On retrouve la diversité classique des supports des expositions contemporaines, avec le souci propre aux AN de faire figurer des documents patrimoniaux, tel un manuscrit de Céline ou la malle de Doriot, lorsqu’il était engagé dans la LVF. On peut naturellement discuter chaque choix. Par exemple, celui d’une affiche du mouvement Le Feu, groupuscule très éphémère et de peu d’importance, pour trôner au centre de la pièce sur les partis collaborationnistes. S’il est discutable au niveau de la représentativité, son style et son graphisme sont conformes à l’esprit du temps et à cette mouvance extrémiste. Les documents s’inscrivent en effet, jusque dans leurs formats, dans un univers esthétique qui dépasse la période et renvoie aux formes de propagande en œuvre depuis les années trente, avec dépliants, papillons, affiches, brochures, etc. Le contenu lui varie, avec la brutalité propre aux mouvements fascistes et racistes.
Des enregistrements audios de Thomas Fontaine et Denis Peschanski permettent à ceux qui le souhaitent d’approfondir certains sujets au fil de l’exposition. On citera notamment le dialogue entre les deux historiens récusant la thèse « tous collabos ». En filigrane court en effet cette question obsédante : quelle a été l’attitude des Français et leur degré d’implication, depuis l’engagement absolu aux côtés de l’occupant jusqu’à l’accommodation plus ou moins franche aux circonstances ?
Les hommes de la Collaboration Les spécialistes noteront le reflet des progrès faits dans la connaissance de la période, par exemple sur la collaboration économique, sans pour autant négliger les aspects encore peu travaillés, comme les partis collaborationnistes. Au-delà de Pétain, Laval, René Bousquet, Darnand et les chefs des partis collaborationnistes (Déat et Doriot), le choix pédagogique est d’insister sur les acteurs trop méconnus du grand public, en commençant par les Allemands, et notamment l’ambassadeur Otto Abetz, mais aussi de Brinon et bien d’autres, jusqu’au militant de base de la collaboration.
Cette exposition s’inscrit dans le cadre des commémorations du 70e anniversaire de la Libération de la France et de la victoire contre le nazisme, largement éclipsée par la déferlante mémorielle sur le centenaire de la Grande guerre. Sans opposer l’une à l’autre, cette réalisation montre qu’il est possible à propos de ce moment douloureux de l’histoire nationale de faire œuvre utile en terme de connaissances historiques et d’éducation civique. C’est même probablement nécessaire actuellement.
Gilles Morin
Thomas Fontaine, Denis Peschanki, La Collaboration, Vichy, Paris, Berlin, 1940-1945, Tallandier, 2014, 320 p, 39,90 €)
Un beau livre accompagne l’exposition, produit par les deux historiens qui l’ont imaginée. Les documents présentés à l’Hôtel de Soubise sont mis en contexte et présentés avec beaucoup d’autres tous aussi originaux. Il rassemble près de 600 reproductions de documents de toute nature – photographies, affiches, archives, rapports, lettres, journaux intimes, insignes, tracts, procès-verbaux, mains courantes, pièces à conviction, registres d’écrou, albums photographiques, objets, etc. Les auteurs ont choisi cette fois une trame chronologique, allant de juin 1940 (« les services allemands s’installent à Paris ») au 25 février 1945 (les obsèques de Jacques Doriot), qui offre une autre lecture de la période. G. M.
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