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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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L'OURS n°417 page CULTURE
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 | La page CULTURE de L�OURS 417, avril 2012, page 2
L�Actu des bulles, par Vincent Duclert: Camp de Harkis
Daniel Blancou, Retour � Saint-Laurent-des-Arabes, Delcourt, 2012, 143 p, 14,95 �
Petit format pour une histoire oubli�e, celle des harkis rapatri�s au lendemain de la guerre d�Alg�rie (tous ne l�ont pas �t� comme on le rappelle en ce temps de comm�moration ; beaucoup ont �t� abandonn�s sur injonction du pouvoir politique).
Une famille se souvient, rare famille fran�aise � avoir v�cu dans les camps militaires o� la France internait les harkis, celle des instituteurs envoy�s par l��ducation nationale comme � Saint-Laurent-des-Arbres au camp de Saint-Maurice-l�Ardoise. C�est le cas des parents de Blancou qui y ont exerc� leur m�tier durant neuf ans. � C�est l� qu�ils se sont rencontr�s, se sont mari�s. Quelques mois apr�s sa fermeture, je naissais �. Outre un dessin pr�cis aux couleurs p�les, l�album est passionnant par la mani�re dont Blancou restitue l�apprentissage de ses parents confront�s � des �l�ves et des familles si �loign�s de leurs univers, remettant en cause toutes les certitudes tant p�dagogiques que civiques. Les instituteurs doivent s�int�grer � leur milieu comme les Arabes doivent apprendre � conna�tre cette France-l�, exigeante mais finalement attachante car au service de leurs enfants, solidaires de leur mis�re et refusant, comme ils le peuvent, avec leurs pauvres moyens, les conditions qui sont faites aux harkis, pauvret�, privation de libert�, humiliations fr�quentes, avenir impossible. Beaucoup d�humanit� et de dignit� surnage pourtant au gr� de situations quotidiennes, dans ces camps qui finiront par dispara�tre apr�s les r�voltes de harkis dont les parents de Blancou sont les t�moins � et un peu les responsables aussi, les jeunes ayant �t� leurs �l�ves pour beaucoup.
� l�heure des interrogations sur le devenir des communaut�s dans la R�publique, ce livre est une le�on de tol�rance et la preuve qu�il n�y a aucune fatalit� dans l�exclusion � � condition de donner leur chance aux instituteurs comme � leurs �l�ves et leurs familles. Vincent Duclert
CINEMA : Elena, une femme entre deux mondes par Jean-Louis Coy
Elena de Andre� Zviaguintsev (Russie, 2011, 1 h 49)
Elena est troisi�me film d�Andre� Zviaguintsev, cin�aste russe d�j� appr�ci� pour Le Retour (2003) et Le bannissement (2007) justement prim�s en leur temps.
� nouveau se pose ici le probl�me de la transmission morale et sp�ciale mais aussi du n�ant des relations humaines, celles de la famille, de la responsabilit� en bien des lieux d�faillantes. Une histoire simple qu�aurait pu �crire L�on Bloy ou, bien s�r, Dosto�evski et pourtant aussi proche de notre soci�t� que celle si d�routante de la Russie moderne avec sa division entre deux mondes, r�p�tition sinistre de la lutte des classes de jadis.
Elena, femme du peuple, ancienne infirmi�re, s�est remari�e avec un ancien malade, riche aujourd�hui. Au luxe de sa nouvelle situation correspond la mis�re d�une banlieue pourrie o� v�g�tent son fils, un ch�meur buveur de bi�re, sa femme enceinte et deux enfants, un adolescent mal barr� qui doit entrer � l�arm�e ou en fac selon un apport financier obligatoire, enfin un b�b� de quelques mois.
Passons sur le climat qui oppose ces deux univers, mais notons tout de suite la qualit� de l��criture filmique, les contrastes entre les plans s�quences et fixes, la pr�cision du d�coupage de ce sc�nario toujours � l�abri du convenu, la bande son envo�tante de Phil Glass, l�utilisation de la lenteur comme symbolique de la pens�e et, constamment, cet art de filmer les comportements et non les sentiments, de ne pas expliquer ou justifier, de laisser au spectateur avis� le soin de d�couvrir le d�tail, le mot comme dans un r�cit o� il doit demeurer actif.
L�argent Elena, femme d�vou�e, n�a pas quitt� son statut de servante, m�me devenue �pouse son clan ce sont les � zonards � ; son mari et sa fille � d�jant�e � (elle aussi�) ce sont les nantis, les friqu�s. Le concept d�argent domine, ici parce qu�il manque, l� parce qu�il abonde, mais n�est-il pas une fois encore le d�clic de toute relation de classe, moteur d�ambition, jalousie, violence, r�volte, et donc le frein habituel de l�insertion comme de l�acc�s aux savoirs ?
Nous observons Elena et ses nombreux aspects, son miroir � trois faces dans lequel elle se contemple en se coiffant lui d�voile son angoisse de vieillir, sa crainte de ne pas obtenir l�argent de son �poux, sa volont� de prot�ger les siens, son honn�tet�. Dans cet appartement vaste et froid, deux �tres silencieux vivent selon un contresens existentiel : ce qui les rapproche en dehors de toute trace d�amour c�est le ratage de leur prog�niture, mais qu�y faire ?
L��poux raisonne, il ne sert � rien d�entretenir la paresse, son argent reviendra � sa fille, bref, il ne veut plus s�occuper de la famille d�Elena. Il le dit sans animosit�. Elena r�agit avec innocence, r�fl�chit-elle ou ne pr�f�re-t-elle pas s�aveugler et donner sans cesse (le p�lican) jusqu�au point de franchir les limites : le drame est obligatoire, c�est ici qu�un rappel � Dosto�evski s�impose.
Est-ce que la r�demption se paie ? Est-ce que l�offrande pardonne le crime ? Plac�e au milieu des deux mondes inconciliables, Elena devient l�ultime possibilit� d�un lien. Nous la voyons sans cesse effectuer des allers retours � pied, en train, acheter des vivres, quittant son quartier prot�g� pour se rendre dans la zone des taudis o� loge son fils et sa famille. Que faut-il en attendre dans la Russie d�aujourd�hui ? L�adolescent Sacha s�en sortira-t-il ou est-il d�j� mort comme la belle-fille d�Elena ? Plus tard, l�argent suffira-t-il aux envahisseurs pour survivre dans ce nouveau monde qui n�est pas le leur ?
Sur le balcon de la r�sidence luxueuse annex�e, le petit-fils domine, regarde de haut plus loin les ouvriers jouant au football, mais crache dans le vide pour se distraire comme le faisait son p�re depuis l�autre balcon de la cit� d�labr�e o� il logeait auparavant.
Nous sommes dans la r�p�tition, ceux qui nous succ�dent risquent d��tre pires, seul le b�b�, sur le lit du riche d�funt se r�veille, se tourne et retourne avant de s�asseoir comme un futur chef.
Film superbe, difficile car exigeant, Elena est aussi le portrait admirable d�une femme qui pourrait bien ressembler � cette Russie o� quelques vitrines s�duisent, attisent la convoitise, engendrent la col�re sans pour autant dissiper l��nergie vitale, la g�n�rosit� et � l��tat d��me � que tant de g�nies ont su exalter.
Seulement invit� � la section � Un certain regard � de Cannes 2011, Elena a remport� le grand prix du Jury. Il m�ritait certainement plus.
Jean-Louis Coy
L�actu des sons : Le monde selon SLuG
SLuG est n� de la rencontre au sein du groupe Magma de la chanteuse Himiko Paganotti et du pianiste/clavier Emmanuel Borghi, et de leur d�part pour cette aventure en 2008. Bient�t rejoints par le guitariste �clectique John Trap, le trio enregistre un premier dique de ses compositions qui s�duit le directeur artistique du label Signature de Radio France. Ce deuxi�me CD, � Nimekuji �, enregistr� en 2011, b�n�ficie d�une production remarquable. Et du renfort d�une section rythmique d�une subtile efficacit�, Antoine Paganotti, fr�re d�Himiko � la batterie, et Bernard Paganotti, leur p�re, bassiste multicarte, ancien de Magma, pointure recherch�e.
Un disque de 14 chansons originales � �couter, peu propices � la danse, si ce n�est � se laisser envahir et � se balancer lentement, l�esprit ouvert. Courtes chansons dont on sent tout le potentiel d�espace pour des improvisations en concert� La voix d�Himiko Paganotti aux accents graves, entre r�citatif et chant susurr�, fragile et en r�serve de puissance, mastique les mots, en extrait la substance sonore. Au jeu des influences, des connivences, revendiqu�es, insinu�es, dig�r�es, l��lectro pop, le rock progressif, de Kate Bush � Bjork, de Pink Floyd � Radiohead, en passant par David Bowie, la folk, le jazz. Bref, inclassable.
On p�n�tre dans leur territoire avec Frame by Frame � qui �voque aussi un autre Frame by Frame de King Krimson �poque Adrian Belew. Boucles � la guitare �lectrique, pulsion au tambour, nappes sonores, orgues, synth�s, voix pos�e, piano, mont�e en tension avec l�entr�e de la basse, d�un ch�ur : Willis se fabrique un monde � lui et se pose de dr�les de questions. On plonge dans un univers dense. Sur un beat electro, Fourteen entame un dialogue de sourds entre une m�re et son teenager. Are you ready to jump with me : injonction instante comme un d�fi lanc�, un SOS, qui se poursuit en balade folk nostalgique� et inqui�tante. I wanna watch the sea : basse sourde, court solo de piano jazz, avec boucles, collages, chant et ch�urs (remarquable travail des voix) obs�dants.
Chaque titre cr�e un univers, un chemin, avec des ruptures, des flux sonores, ses bruitages, des phrases courtes qui se chevauchent, se t�lescopent, tiennent l�attention en �veil. Leurs paroles (reproduites dans l��l�gant petit livret d�une pochette au format DVD) effleurent avec une �conomie de mots des sc�nes de vie, des instantan�s ancr�s dans une r�alit� sombre, entre nostalgie, spleen existentiel, cin�ma, jeux vid�os, fantasmes, magie. � �couter et � suivre. Fr�d�ric C�p�de
SLuG, � Namekuji �, 2012, Label : Signature. Distribution par Harmonia Mundi. En concert le 6 avril 2012 au Triton (Les Lilas).
L�OURS au th��tre par Andr� Robert : Danton � Bobigny
La mort de Danton de Georg B�chner, mise en sc�ne par Georges Lavaudant, MC 93 de Bobigny
Georg B�chner (par ailleurs auteur de Woyzeck, devenu mondialement c�l�bre, transpos� � l�op�ra par Alban Berg) a vingt-deux ans lorsqu�il �crit La mort de Danton, sa premi�re pi�ce. Il lui reste deux ans � vivre (il meurt du typhus en 1837). � son propos, il n�est pas inconvenant de parler de fulgurance du g�nie, comme on le fait de Rimbaud, sans m�me pouvoir imaginer ce qu�il serait advenu de ce g�nie dans une vie prolong�e. Ce qui fait la force de ce morceau th��tral �manant d�un tout jeune homme, remis en sc�ne par Georges Lavaudant � la MC 93 de Bobigny dix ans apr�s une premi�re version donn�e � l�Od�on, c�est l�alliance d�une intention fonci�rement po�tique et de la r�flexion historique, d�une profondeur impressionnante � si grande proximit� temporelle de l��v�nement r�volutionnaire. Que d�s 1828 B�chner, adolescent passionn� de politique, ait aussi rejoint un cercle d�admirateurs de Shakespeare n�est pas pour nous �tonner, car c�est bien � la hauteur de la cr�ativit� et de la puissance du g�nie �lisab�thain que vise � s��lever La mort de Danton.
Le combat mettant aux prises Danton et Robespierre, entour�s d�autres protagonistes de la Convention et du Comit� de Salut public (Saint-Just, Collot d�Herbois, Camille Desmoulins, H�rault de S�chelles) se trouve restitu� dans une esp�ce de brutale nudit�, accentu�e par une sc�nographie nette et efficace, sans superflu (Jean-Pierre Vergier), remarquablement �clair�e (par Lavaudant lui-m�me). � Robespierre (Gilles Arbona) qui consid�re la terreur comme � une �manation de la vertu � et affirme que � l�innocence ne tremble pas devant la surveillance publique �, Danton (Patrick Pineau) oppose sa conviction qu�il pr�f�re � �tre guillotin� que guillotineur � (sans que � fid�le � l�histoire � B�chner dissimule son implication dans les massacres de septembre qui l�obs�dent). L�ensemble se hausse, par le medium d�un souffle po�tique hors norme (dans la traduction de Jourdheuil et Besson, et dans une mise en sc�ne que caract�risent sa pr�cision, sa lisibilit� et sa modernit� au service de l�auteur), au rang d�un v�ritable dialogue avec l�absolu.
La dimension m�taphysique se d�ploie dans toute son ampleur lors de la sc�ne de la prison o� un condamn� (Philippe Morier-Genoud) entreprend tr�s sereinement de d�montrer � ses compagnons d�infortune l�inexistence de Dieu. Danton se d�fend avec vigueur devant ses accusateurs, tout en ne refusant pas une fin pr�matur�e, pour des raisons philosophiques fondamentales qu�il argumente (� je suis en coquetterie avec la mort �). Particuli�rement puissante et r�ussie, la sc�ne finale de l�ex�cution fait passer un frisson. Ayant vu il y a dix ans cette production (qui se veut approfondie, mais peu modifi�e sur le fond, avec la m�me distribution, au moins pour les r�les masculins), il nous semble cependant avoir �t� moins �mu qu�alors (force des premi�res fois, pouvoir magnifiant de la m�moire, diff�rence de taille des plateaux au b�n�fice de celui de l�Od�on, o� les voix se perdaient moins ?), mais il va sans dire que cette r�serve est limit�e, eu �gard au tr�s haut niveau o� se situe ce spectacle. Andr� Robert
Il en a �crit 4 : La mort de Danton, L�once et L�na, Lenz, Woyzeck, publi�es en fran�ais aux �ditions th��trales. |
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© L'OURS - 12 cit� Malesherbes 75009 Paris
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