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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Duclert/Hartog 339
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No future ! par VINCENT DUCLERT
A/s de François Hartog, Régimes d’historicité, Présentisme et expériences du temps, Seuil, 2003, 303 p)
Comme le titre et le sous-titre le suggèrent, comme l’architecture du récit le propose, cet ouvrage réunit deux essais, qui plus est de grande valeur sur le rapport au temps, au passé et au futur.
Le premier aborde, dans le sillage des travaux de l’historien Reinhart Koselleck, la question des régimes d’historicité, de leur nature et de leur succession. Le rapport au temps est constitutif des civilisations et des sociétés, mais aussi de leur distinction. Ainsi, la coupure entre passé et présent, fondatrice de l’histoire moderne occidentale, n’est-elle pas reconnue par les sociétés primitives comme les Maori qu’étudia Marshall Sahlins aux îles Fidji. La notion d’histoire héroïque développée par l’anthropologue sert à l’historien, François Hartog, directeur d’études à l’EHESS, pour comprendre les deux régimes d’historicité qui définissent le rapport au temps du monde occidental. Pour schématiser, le passé a longtemps permis de penser l’avenir, jusqu’à l’avènement des Lumières et de la Révolution française, qui ont projeté l’avenir dans le futur. Le deuxième essai découle du premier en considérant qu’aujourd’hui, ce n’est plus à un changement de régime d’historicité qu’on assiste, mais bien à une disparition de cette notion même qui rendait possible un ordre du temps.
Prisonniers du temps Le problème contemporain consiste en effet en ce que les sociétés occidentales ont perdu aussi bien le rapport au passé que le rapport au futur. Chateaubriand, au moment de conclure les Mémoires d’outre-tombe en 1841, avait eu conscience de cette brèche qui n’a fait que s’élargir : " Le monde actuel est placé, jugera-t-il, entre deux impossibilités, celle du passé, comme celle de l’avenir ", écrit François Hartog. Cette impossibilité est désormais celle de notre présent, prisonnier de lui-même et de ses représentations. Une idéologie du présent, le présentisme, domine les sociétés, comme le démontrent le culte de la mémoire et la centralité du patrimoine. Ni l’un ni l’autre, analyse François Hartog, n’établissent un lien avec le passé. Celui-ci n’est pas le temps ancien, mais la relation que nous construisons avec lui et qui nous permet de construire le monde. Rien de cela avec le présentisme : le présent se referme sur lui-même et sur son impossibilité de créer un ordre du temps. L’extension du présent vers le passé comme vers le futur accroît même cette domination du présentisme : ni la culpabilisation pour des événements imprescriptibles, ni le catastrophisme ou l’incertitude comme pensée d’avenir ne constituent l’ordre du temps nécessaire à la vie des sociétés et à leur progrès. On pourrait imaginer que la démonstration, très argumentée et élégamment illustrée, conduise à proposer un livre d’une noire désespérance. Mais le fait même qu’il existe restaure déjà la possibilité du temps, du passé, de l’avenir, puisque l’historien nous montre bien que c’est la pensée qui construit le temps. Et la crise du temps ne provient-elle pas aussi de la crise du discours et de l’intelligibilité ? Le livre, qui est précisément discours et intelligibilité, qui étudie précisément la disparition du temps dans le présent, redonne du sens au passé et au futur. Ce n’est pas seulement le livre qui permet cette conscience et ce possible. C’est aussi l’histoire des historiens. On se demande parfois à quoi servent les historiens. François Hartog leur confie une tâche à la fois écrasante et à leur portée. Il s’agit pour eux de maintenir le lien des sociétés avec le temps. Peut-être aussi que les anciens régimes d’historicité avaient créé de telles surdéterminations entre passé, présent et futur qu’aujourd’hui il n’est pas inutile de travailler en dehors de ces systèmes de nécessité, tout en assumant la mission de donner du sens, c’est-à-dire de l’historicité. Les aficionados de la mémoire et du patrimoine sont invités quant à eux à se remettre en question. Ce qui n’est pas non plus pour nous déplaire. C’est donc le meilleur livre d’histoire qu’on ait lu depuis longtemps. Très riche pour la communauté des historiens, il s’ouvre à toute la société par la réflexion qu’il propose sur le présent. Vincent Duclert L’OURS 339 (juin 2004) | Revenir au sommaire du n° 339 |
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