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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dreyfus/Draperi Coopération L'OURS 426
LA VOIE DU MOUVEMENT COOPERATIF

par MICHEL DREYFUS

A propos de Jean-François Draperi, La république coopérative. Théorie et pratiques coopératives aux XIXe et XXe siècles, Bruxelles, Larcier, 2012, 328 p,30 €

Article paru dans L’OURS n°426 mars 2013, page 6

Le mouvement coopératif et la mutualité souffrent d’un étrange paradoxe. Ces deux mouvements sociaux français sont les plus anciens, les plus puissants. Ils sont pourtant les moins connus et sont trop souvent négligés dans l’historiographie des mouvements sociaux. Le syndicalisme apparaît en France vers les années 1880, soit près d’un siècle après les premières sociétés de secours mutuels et un demi-siècle après les premières coopératives. Coopérateurs et mutualistes ont été toujours plus nombreux que les syndicalistes. Il n’empêche : mutualité et coopération ont été longtemps délaissées par les historiens. Les choses ont commencé à changer sur ce plan pour la mutualité depuis deux décennies, mais elles évoluent plus lentement en ce qui concerne la coopération.

L'ouvrage de Jean-François Draperi contribue à combler cette lacune. Il nous apprend en effet beaucoup sur l'histoire du mouvement coopératif depuis le milieu du XIXe siècle. Il est organisé en cinq grands chapitres.

République des travailleurs,
puis des consommateurs

Dans le premier, « La République des travailleurs », Jean-François Draperi montre que la révolution industrielle qui donne naissance au socialisme engendre également le mouvement coopératif organisé à travers deux branches : d'abord, celle de la consommation puis, mais dans une bien moindre mesure, celle de la production. Les débats nourris au sein de ces deux branches rejoignent dans une certaine mesure ceux existant au sein de la Première Internationale entre marxistes et proudhoniens. Après les espoirs suscités par la Seconde République mais rapidement déçus, la branche de la consommation l'emporte désormais largement sur celle de la production. Cette hégémonie va durer un siècle en France. On assiste alors dans une seconde phase au triomphe de la « république des consommateurs » dont le principal théoricien est Charles Gide et à l'essor du mouvement coopératif de consommation qui arrive à s'unifier en 1911. Ce dernier s'affirme alors comme une des composantes du mouvement socialiste, comme le montre le titre du célèbre ouvrage dirigé alors par Compère-Morel, L'Encyclopédie, socialiste, syndicale et coopérative. Les rapports entre parti, syndicat et coopérative sont cependant assez différents en France et dans les autres pays, à commencer par la Belgique.

Dans une troisième période, qui débute à partir de l'entre-deux guerres et qui se poursuit après 1945, la « république coopérative », d'abord celle des consommateurs à travers la Fédération nationale des coopératives de consommation (FNCC), se confronte à la société. Elle gagne en puissance et s'institutionnalise en France comme à l'étranger, mais selon des modalités très différentes, minutieusement décrites par Jean-François Draperi. En effet les rapports du mouvement coopératif avec les autres composantes du mouvement social ne sont pas de même nature selon les pays, et il en est de même pour le tissu bancaire, qu'il soit coopératif, mutualiste ou populaire. Toutefois une première brèche à l'hégémonie de la coopération de consommation est ouverte à partir de 1935 par Georges Fauquet. Dans une quatrième phase qui correspond en gros au « second XXe siècle », le centre de gravité du mouvement coopératif se déplace vers les pays du Nord de l'Europe. Il s'est peu à peu internationalisé à travers l'Alliance coopérative internationale fondée en 1895 et il continue de se développer dans de nombreux pays. On assiste alors à la transformation des coopératives, particulièrement dans le Nord de l'Europe. Favorisées par l'essor économique de l'après-guerre, elles poursuivent leur progression et connaissent de nombreux changements dans leurs principes, leurs pratiques et leur organisation à l'échelle internationale.

Coopérative et troisième voie
Dans une cinquième phase, la république coopérative devient un des acteurs du développement. En d'autres termes, les coopératives s'intègrent de façon croissante dans l'économie dominante à l'heure où des pratiques coopératives économiquement mineures mais socialement importantes se développent dans les coopératives du Nord. Jean François Draperi décrit deux expériences qui se situent en France : le mouvement des communautés de travail (1943-1954) puis celui des communautés rurales (1970-1976). Il examine également l'élan coopératif suscité dans l'hémisphère Sud par la décolonisation et montre en quoi l'idée d'une république coopérative et donc d'une « troisième voie » a été importante pour de nombreux États qui, dans le contexte de la guerre froide, venaient d'accéder à l'indépendance. Il explique enfin comment, sous l'influence de théoriciens comme Henri Desroche, Albert Meister, Claude Vienney ainsi que de Jacques Moreau, président du Crédit coopératif de 1975 à 1992, le mouvement coopératif s'est modifié depuis trois décennies. Les changements ont été considérables. L'hégémonie de la coopération de consommation a été remise en cause et a été accélérée par la faillite de la FNCC en 1985/1986. Cette évolution est allée de pair avec l'essor de la branche de la production. De plus on a assisté à l'essor de l'économie sociale à partir de la fin des années 1970 ; on sait toute l'importance prise par cette forme d'économie depuis cette période. Il n'est pas possible d'entrer ici dans le débat sur les rapports complexes existants entre cette dernière et l'économie sociale et solidaire. Disons seulement que cette dernière prend en charge un certain nombre de besoins sociaux que l'État ne veut plus ou n'a plus la capacité d'assurer à lui seul.

Quel modèle de société ?
L'histoire des mouvements coopératifs est indispensable pour comprendre les enjeux auxquels ils sont aujourd'hui confrontés. Ces débats concernent au premier chef les socialistes car ils visent à penser un modèle de société autre et dégagé de la dictature de l'économie. C'est dire combien ceux qui s'interrogent sur les perspectives du socialisme doivent réfléchir à ces questions ; ce livre les aidera en ce sens. Il faut donc remercier Jean-François Draperi grâce à qui nous connaissons mieux aujourd'hui la longue histoire du mouvement coopératif.

Michel Dreyfus
 

 
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