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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Jean-Pierre Biondi Droit d'inventaire
Vu de la gauche d’en bas

Je remercie l’OURS de fournir une occasion de s’exprimer grâce à sa rubrique « droits d’inventaires ». Mon parcours personnel n’aurait aucun intérêt s’il n’était également celui de tant de militants qui ont constitué, au fil des ans, le peuple de gauche des désabusés.

Exclu de la SFIO en 1957 pour opposition publique à la guerre d’Algérie, passé par le PSA, puis le PSU, puis, pour quelques années, par le parti monarchique d’Épinay, tel est mon bilan. Bien entendu, je ne saurais parler ici au nom d’un ego frustré. J’ai fait ma vie ailleurs et autrement qu’au Parti socialiste. Je m’estime néanmoins politiquement en compte avec une organisation qui, après la triste fin de la SFIO, a nourri l’illusion d’un socialisme rénové.

Une affiche, rappelez-vous, nous avait un moment présenté la « génération Mitterrand » sous l’aspect d’une série de bébé appelés à conduire notre société vers les lendemains qui fredonnent. Eh bien, cette génération, nous l’avons. On avait simplement omis de nous préciser à quoi elle conduisait.

Où se situe en effet l’actuel PS sinon d’abord dans un opportunisme verbal plus ou moins heureusement entretenu ? Socialisme, social-démocratie, travaillisme à la française, économie sociale de marché, réformisme démocratique, mots et formules s’entrecroisent au grès des circonstances et des chefs.

Suis-je vieux jeu ? J’ai la faiblesse de considérer que le socialisme, tel du moins que je l’ai appris, n’est pas tout entier contenu dans les régimes d’Europe du nord qui nous sont communément servis comme référence indiscutable, que les lois d’un marché même « régulé » ne constituent pas l’alpha et l’oméga d’une démocratie économique véritable.

Pour autant, les choses viennent de loin, c’est vrai. En abandonnant, depuis des décennies, toute optique de classe, rangée au musée d’une vulgate marxiste hors de saison, le PS s’est progressivement coupé des masses populaires, comme le confirme chaque scrutin. En s’enfermant dans un discours « citoyen » que ne désavouerait aucun notable radical de la IIIe République, les prometteurs héritiers de la force tranquille évacuent le débat. Avec eux, le mouvement social, qui tendait à orienter la République vers le socialisme, semble ne plus aspirer qu’à opposer une République strictement droit-de-l’hommiste au changement concret induit par le socialisme même. Pour la droite, qu’elle aubaine ! Un inoffensif et permanent commentaire sur les « valeurs » châtre en réalité la lutte qui se donne pour objectif d’assurer politiquement la victoire des dites valeurs.

On a, direz-vous, un peu l’habitude. En leur temps, les appels à la paix n’ont pas empêché l’acceptation implicite de la boucherie de 14-18, ni les professions de foi anticolonialistes d’aboutir à la torture en Algérie. Ces rappels sont certes déplaisants, mais les faits ont la vie dure.

Des dérapages aussi récurrents sont-ils le produit de la composition sociologique du PS, parti d’élus professionnels, de technocrates issus de l’aristocratie administrative, de seigneurs régionaux et de cadres municipaux ? On ne peut en esquiver le sentiment, qui n’a rien de scandaleux, dans la mesure où l’élite et les bobos régnants ne sauraient à eux seuls représenter l’ensemble d’une population et de ses aspirations. Le sociétal, en vogue à ce jour, ne gomme pas le social. Tout au plus peut-il, par instants, le masquer.

Un autre handicap dont, à mon sens, souffre la social-démocratie française demeure, en dépit du temps, la difficile symbiose de ses éléments d’origine. Increvables rescapés de la « vieille maison » et rejetons spirituels du syndicalisme chrétiens n’arrivent décidément pas à se comprendre. Trop de préjugés, trop de soupçons et, finalement, trop de contentieux. Le vocabulaire évolue, le clivage perdure, parfois anecdotique, souvent anachronique, à travers des affrontements de courants et des conflits de tendance décryptables par une minorité d’initiés. Ces tournois d’une autre époque, ces interminables querelles de mots n’illustrent pas la démocratie. Ils bloquent l’apport de sang neuf. Le parti socialiste est un parti de gens âgés invoquant contradictoirement le renouveau.

Je ferai grâce au lecteur de l’habituel couplet sur le clientélisme et l’obsessionnelle recherche des places et des honneurs caractérisant bien des fois les hérauts du « changer la vie ». C’est une litanie qui glisse depuis des lustres comme l’eau sur les ailes d’une volaille ayant toujours évité d’être plumée. L’idée socialiste garde son prestige. Le carriérisme sa vigueur.

De ce point de vue, la « réprimande » de Lionel Jospin à Duclert, publiée dans l’OURS de mai 2009, est éclairante. L’homme de la gauche plurielle se plaint d’une « gauche qui s’était irresponsablement divisée », pour justifier la claque historique du 21 avril 2002.

Que ne se demande-t-il pourquoi et comment cette gauche s’est divisée, et comment Le Pen a pu arriver avant lui ? Et Lionel Jospin d’égrener en guise d’analyse, les noms d’« intellectuels » rencontrés par lui quand il était « en responsabilité », d’évoquer avec ravissement « mes comités de soutien » ou « mon gouvernement […] dont le bilan n’est pas si inférieur à celui du gouvernement Rocard». C’est pathétique : ils sont à peu près tous ainsi… Comment, après cela, s’étonner de la crise de confiance et du manque de crédibilité qui frappent le socialisme officiel et envoient l’électeur voter autre chose ou pêcher à la ligne ?

Jean-Pierre Biondi
 

 
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