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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Alix Cornille et la Libération de Paris
« Heure par heure », 16-27 août 1944
La Libération de Paris : récit du résistant socialiste Alix Cornille


Présentation
Martine Pradoux, dans sa biographie de Daniel Mayer (Daniel Mayer, Un socialiste dans la Résistance, Les éditions de l’Atelier, La part des hommes, 2002, 272 p.), cite plusieurs extraits de ce document intitulé « Heure par heure » provenant des archives de ce dernier. Il s’agit du récit de la Libération de Paris – à partir du mercredi 16 août et au moins jusqu’au dimanche 27 août 1944 –, par un membre de l’équipe de rédaction du Populaire.

Ce document – une « lettre » dactylographiée par son auteur (?), et dont le tapuscrit a été communiqué à Daniel Mayer, puis photocopié – se trouve dans les archives de Robert Verdier déposées et consultables à l’OURS, Martine Pradoux lui en ayant communiqué une copie afin d’en identifier l’auteur. Comme elle le signale dans son livre, Daniel Mayer a porté dans la marge des mentions manuscrites pour dévoiler les noms de certains acteurs qui apparaissent dans ce courrier sous leur pseudonyme. Il porte la mention de la main de Robert Verdier : « Origine ? » La photocopie de ce document est incomplète (elle l’était déjà quand Martine Pradoux l’a communiquée à Robert Verdier). Il manque la page 9, et la ou les pages suivant la page 11.

Ce document nous plonge au cœur de l’état major socialiste parisien au moment de la reparution à Paris du Populaire le 20 août 1944, quand l’équipe s’installe dans les locaux du Matin. Mais il nous donne aussi un éclairage à chaud sur ces journées d’affrontements dans la Capitale.

Afin de mieux éclairer ce récit (dont l’auteur, comme vous allez le lire, a été identifié par Robert Verdier comme étant vraisemblablement Alix Cornille) et la période, nous publions ici un passage de la biographie de Daniel Mayer par Martine Pradoux.


< B>Rédacteur en chef du Populaire
Daniel Mayer vit à un rythme effréné les journées qui précèdent la libération de Paris car il est à la fois secrétaire du parti socialiste, membre du CNR et rédacteur en chef du Populaire.

Dimanche 20 août 1944 : la situation est particulièrement confuse dans Paris. Alors que l'on se bat sur les grands boulevards, Daniel prend possession du local qui a été attribué au
Populaire par un administrateur provisoire désigné par le ministère de l'Information. Il s'agit de l'immeuble de l'ex-Matin, situé à l'angle du boulevard et du faubourg Poissonnière. Daniel est accompagné de Paul Favier, l'administrateur, de Marcel Bidoux, le rédacteur en chef, de Robert Verdier, le secrétaire général adjoint du parti et de son beau-frère Marc Ringenbach. Ils arrivent, protégés par quelques jeunes gens armés, envoyés par la fédération socialiste de la Seine et s'installent avec leurs vêtements défraîchis dans des locaux luxueux. Alors que le directeur Bunau-Varilla et les principaux responsables du journal collaborationniste ont déjà quitté les lieux, l'ancien personnel du Matin regarde en chien de faïence l'équipe réduite du Populaire. Marcel Bidoux obtient de « mauvais » bureaux et un matériel médiocre, comme l'écrit à chaud un ancien rédacteur de faits divers du Populaire qui décrit « heure par heure » la libération de Paris vue du faubourg Poissonnière. D'après les souvenirs de Robert Verdier, il s'agirait d'Alix Cornille qui rédigeait avant la guerre des faits divers dans le quotidien de la SFIO. Les militants accueillent fraîchement la fille d'un ex-député socialiste qui travaille au Matin et qui s'adapte rapidement au changement d'occupants...

Daniel Mayer, qui n'a peur de rien, s'empresse d'accrocher sur la façade de l'immeuble une grande banderole : «
Le Populaire, quotidien du PS. Directeur politique : Léon Blum, déporté en Allemagne. » La petite équipe, à la demande de Mayer, prépare, dans la fièvre, le premier numéro légal pour le 21 août. Un numéro 0 a déjà été tiré à 100 000 exemplaires. Il est distribué par des résistants en camionnettes, armés de mitraillettes. Comme l'écrit Alix Cornille dans son journal de bord :

« On ne [le] vend pas encore, on ne sait même pas si on vendra demain ni celui-là ni le n° 1 que l'on va composer. Avec Adrien [Daniel Mayer], étant donnée la situation, on a même décidé de ne pas vendre le n° 0 [qui parle de "Paris libéré"... ce qui semble prématuré !] et de refaire un 0'. "

Le n° 0, malgré les consignes, est aussitôt mis en vente sur les grands boulevards et dans les quartiers populaires. il porte « Paris libéré » en lettres énormes sur toute la largeur de la première page, avec une photographie de Blum à Bourrassol et un montage des titres socialistes clandestins, réalisé par Daniel en deuxième page. La riposte des communistes est immédiate. Si
Le Populaire annonce faussement que Paris est libéré alors que les combats se poursuivent, c'est que le PS veut saboter l'insurrection. ..

Lundi 21 août 1944 : Daniel Mayer, Renée Blum et Robert Verdier arrivent au journal et constatent que le service d'ordre devant l'immeuble a disparu. La trêve des combats a cessé à midi mais ils l'ignorent encore. La rédaction affiche les dernières dépêches sur un panneau aux fenêtres du rez-de-chaussée, comme
Le Matin avait l'habitude de le faire. Elle annonce que « Les Alliés sont à six kilomètres de Paris ». Les passants s'attroupent puis se dispersent rapidement à l'arrivée d'une patrouille allemande. Daniel Mayer se précipite dans la rue pour éviter que les Allemands ne pénètrent dans les locaux. Daniel, juif, résistant, socialiste... Robert Verdier, son adjoint qui deviendra un ami fidèle, s'approche. Les deux militants imaginent que l'officier est ulcéré par la banderole. En réalité il leur demande de rectifier l'information : « Les Alliés ne sont pas à 6 kilomètres mais à 60 » et il les prévient qu'il repassera pour vérifier l'exécution de son ordre. Ils ont tous peur : les Allemands, de plus en plus nerveux, pointent leurs mitraillettes sur les résistants, épuisés et joyeux, aussi imprudents qu'impatients. Puis les combats reprennent sur les boulevards. Les journaux, dit-on, vont reparaître. On vend l'Humanité sous les fenêtres du Populaire. La foule se l'arrache. Le soir, une panne d'électricité, pendant deux heures, pénalise « quelques » journaux. À la suite d'un coup de fil énergique de Marcel Bidoux au ministère de l’Information en plein bouleversement, l'électricité est aussitôt rétablie dans les bureaux du Populaire. Par un temps lourd et orageux sortent de la clandestinité l'Humanité et de nouvelles feuilles, Combat, Libération-Sud, Le Franc-Tireur, suivies, le lendemain, par Le Populaire, Défense de la France et Le Front national.

Le même jour, Daniel Mayer participe à la première séance plénière du CNR depuis huit mois. La réunion se déroule à 17 heures, 75, rue du Parc-de-Montsouris dans un appartement minuscule où s'entassent une vingtaine de participants, en présence d'Alexandre Parodi, le délégué général du gouvernement provisoire et des membres du Comité d'action militaire (COMAC). La séance est houleuse. Bidault défend la trêve des combats alors que les communistes Villon et Gillot dénoncent l'appel à cesser le combat placardé, la veille, sur des lieux publics. Alexandre Parodi exige que le nouvel appel au combat de la population parisienne ne soit pas lancé avant le lendemain 16 heures et que la déclaration du Front national dénonçant violemment la trêve ne soit pas affichée. Il réussit à imposer ses conditions, même à Villon.

Jeudi 24 août 1944 : à 17 h 30, le bureau du CNR, réuni pour sa dernière séance clandestine dans un local de la fédération du bois76, près du cimetière du Père-Lachaise, décide d'accueillir le général de Gaulle à l'Hôtel de Ville, à l'invitation du Comité parisien de libération (CPL). Dans la soirée, Daniel Mayer se rend avec les membres du CNR et du CPL à l'Hôtel de Ville. En accord avec Louis Saillant, le représentant de la CGT, Daniel Mayer propose de remettre solennellement le programme du CNR, la « charte de la Résistance », au général de Gaulle. La suggestion est adoptée.

La Résistance intérieure face à de Gaulle
Le vendredi 25 août 1944, Daniel Mayer, les membres du CNR et du Comité parisien de libération attendent, pendant de longues heures, la visite du général de Gaulle à l'Hôtel de Ville. Ce dernier après s'être installé au ministère de la Guerre et après s'être rendu à la Préfecture de police finit par arriver, à pied, à l'Hôtel de Ville. Il est environ 19 heures et sous les acclamations de la foule massée à l'extérieur, il prononce un discours qui entre dans la légende (« Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré... »). Mais le chef du gouvernement provisoire, qui a déjà symboliquement voulu marquer la restauration de l'État en se rendant d'abord au ministère de la Guerre, refuse de proclamer la République comme Georges Bidault le lui a demandé, au nom du CNR et du Comité parisien de Libération. Il repart aussitôt sans s'être fait présenter les membres du CNR. Ces derniers se réunissent après son départ avec le bureau du Comité parisien de libération. Pour une fois d'accord avec Gillot, Daniel Mayer, terriblement déçu, insiste pour que l’on convoque le lendemain le peuple de Paris devant l'Hôtel de Ville et que l'on proclame la République. De Gaulle pense d'abord à l'État et Mayer d'abord à la République...
Le militant se rend ensuite au siège du
Populaire. Il est épuisé par la semaine qu'il vient de vivre et très inquiet car l'attitude du général de Gaulle l'a glacé.

Sur les Champs-Élysées
Le samedi 26 août 1944, Daniel Mayer participe à la marche triomphale sur les Champs-Élysées, au premier rang, à l'extrême droite. La photographie de Robert Doisneau a fixé cet instant et donné un visage et une identité à ces hommes dont la plupart étaient jusqu'alors inconnus. Il n'y a aucune femme aux premiers rangs du cortège. Comme les autres membres du CNR, Mayer n'a pas été officiellement invité ni même prévenu et il doit jouer des coudes « pour que la Résistance intérieure ait la place qui lui revient : la première », comme il l'écrira plus tard (
Les socialistes dans la Résistance) »

(extrait du livre de Martine Pradoux, Daniel Mayer, Un socialiste dans la Résistance, Les éditions de l’Atelier, La part des hommes, 2002, p. 226-231.)


DOCUMENT : « HEURE PAR HEURE »

POUR FACILITER LA LECTURE, NOUS AVONS INDIQUE ENTRE [CROCHETS] LES NOMS DES PERSONNES QUI APPARAISSENT DANS CE TEXTE SOUS LEUR PSEUDONYME OU LEUR PRENOM.


Mercredi 16 août 1944, 23 h 45. L’avenue Neuilly était assez animée et me faisait un peu penser aux routes Romescamps, vers le 15 mai…

17 août , 21 h 15. Cette fois, c’est le grand départ. On brûle des papiers sur le trottoir, boulevard Raspail, la Milice est partie, Déat et quelques autres aussi, la France socialiste ( !) a fait paraître son dernier numéro, la Gestapo est en train de partir…

Vendredi 18 août , 8 h 45. Pas un journal aujourd’hui, les rats ont quitté le navire. Fort peu d’Allemands. Les g[ars] ont un regard !… Vu une petite affiche imprimée, appel à la grève générale au nom du gouvernement provisoire, signée du comité de la Métallurgie ; groupe muet devant.

Les explosions de cette nuit étaient des coups de re[volver], grenades et mitrailleuse, rue de Rennes, entre civils et Allemands, l’a-t-il dit.

15 h . A midi, les Américains étaient au Chesnay, Lec[lert] à Étrechy (tuyau SNCF). Ils laissent écouler le flot (ce n’[est] par l’armée, coincée en Normandie) pour éviter les bagarres dans Paris ; c’est Leclerc qui y entrera le premier…

Laval et le gouvernement ont été embarqués par les Allemands à 1 h du matin. Toute la journée, les canards le pl[us] saugrenus courent, sur des combinaisons Laval, Herriot, Chautemps ( !). Aucune importance.

21 h. Dans la rue, de petits groupes de gens autour des placards : les Cahiers du Témoignage chrétien (n° sur Oradour) une affiche du CNR. Ce soir, couvre feu à 21 h.

Roger m’a dit que les Allemands ont fait sauter des [ins]tallations toute la nuit dans leur région (on m’a parlé des souffleries de Chalais, et d’Orly) ; on entend de nouveau des explosions dans le lointain.

19 août , 10 h 30. La préfecture de police est occupée par la Résistance ; il y flotte un immense drapeau français.

11 h 15. Ca pétarade ferme quai d’Orsay et rue de Solferino (mitrailleuse et mitraillette). Une femme blessée à la tête est arrivée dans l’immeuble voisin (cour contiguë).

16 h. On s’est bagarré à la Madeleine (d’où vient Adrien [Daniel Mayer] ), on se bagarre à la République, ailleurs encore. Le drapeau français flotte sur l’Hôtel de ville, sur Notre-Dame. Des g[os]ses arborent déjà le brassard. On a annoncé le couvre-feu pour 14 h ; mais finalement, le commissariat nous le donne à 21 h, mais conseille de ne pas sortir. La police française, avec brassard, a repris le service à 14 h 30, on commence à arrêter des collaborateurs.

Dimanche 20 août . 4 h 30. Paris. Du QG des Foyers, à 18 h 30, pour aller à un rendez-vous place Maubert, où je n’ai naturellement trouvé personne. Ca pétaradait ferme, et j’ai assisté à un vrai combat de rues qui s’entendait du boulevard Saint-Germain à Notre-Dame. Mené par des gosses (15 à 20 ans), avec revolver, ou fusil pris aux Allemands, parfois mitraillette. Au coin du boulevard St Michel, trois d’entre eux emmènent un Allemand prisonnier, dont l’un porte le fusil ; puis, une voiture allemande descend le boulevard pleine de résistants dont l’un, sur le capot, brandit un grand drapeau américain dont son bras fait la hampe ; à distance, les passants (il y en a pas mal) croient que ce sont les premiers Américains, et applaudissent ; ils continuent, de près, quand ils voient que c’est une voiture prise aux Allemands.

Je n’ai pas atteint la place Maubert qu’un grand camion débarque des Allemands au même coin : mitraillettes, coups de revolver. Je me réfugie un moment sous une porte. Plus tard, un passant nous dira qu’ils ont tiré jusqu’à épuisement de leurs munitions, puis se sont rendus, et que 8 ont été tués, 5 dit un autre ; et, en revenant, je verrai 2 cadavres, plusieurs traces et une traînée de sang.

J’attends place Maubert de 19 h à 19 h 45, tantôt sur la place, tantôt devant une porte, et, quand cela devient plus mauvais, me réfugiant dans l’allée. Il n’y a plus guère de passants ; mais de petits groupes – hommes, femmes, jeunes filles – se livrent au même jeu que moi devant toutes les portes. Quand une auto allemande approche, même s’il n’y a pas de coups de feu, on voit de loin les badauds disséminés se précipiter chacun vers sa porte – et on sait d’où cela vient. À tout instant, des camions où sont hissés ou agités de grands drapeaux de la Croix rouge, ou des voitures de pompiers, montent chercher des blessés. Une voiture allemande remonte tout le boulevard St Germain et passe devant nous, en tirant dans les fenêtres. Plus tard, un résistant d’une vingtaine d’année, grand, maigre, arrive par la rue Monge, courbé en deux, un fusil allemand à la main ; il s’appuie contre un arbre, au bord du trottoir du boulevard, nous fait signe de nous garer, et attend que passe une voiture. Les femmes s’écrient : « Voilà ce qui est dangereux ! On va lui tirer dessus, et c’est nous qui écoperons ! » Mais elles n’ont pas l’idée de rentrer chez elles. Rien ne passe et le résistant descend vers Notre-Dame, toujours plié en deux. Ça fait très opéra-comique ; n’empêche qu’on tire du côté où il va. A chaque instant, une femme restée sur le pas de sa porte interpelle son mari ou sa fille avancés jusqu’à la chaussée : « Veux-tu revenir ! T’avances trop, tu y tiens, à te faire tuer ! » Quolibets des voisins.

On dit que la police républicaine a repris son service dans l’après-midi, en civil ? et qu’elle se bat avec la résistance ? J’ai vu passer plusieurs petits cars de police, remplis de civils (policiers ?), et, place Maubert, un lieutenant de gendarmerie, tiré à quatre épingles, avec porte-cartes lui battant la cuisse, sans arme apparente, se dirigeant vers Notre-Dame.

10 h. C’est assez calme ; quelques coups de temps à autre ; mais on nous dit que la Préfecture de police (où le nouveau préfet est depuis le début) est dans une situation critique.

11 h . Une convention serait signée entre les FFI et les Allemands ; effectivement, le feu aurait cessé place de la République, où flottaient des drapeaux de la Croix Rouge.

Mlle Henriette arrive, cela continue plus que jamais à la préfecture qui aurait au contraire tout ce qu’il faut pour tenir. Beaucoup de camions Allemands coincés, on aurait pris deux tanks à la Préfecture. Les Américains seraient à St-Rémy-les-Chevreuses ; d’après la radio, au Faubourg de Paris. Mais d’après un délégué militaires, ils n’entreraient que mardi ou mercredi.

Il n’y aurait plus que 5000 Allemands ici ; les FFI sont bien plus nombreux, mais ils manquent d’armes. On nous disait hier soir qu’il y avait 15 000 SS dans la vallée de Chevreuse.

Col[liette]. va ce matin occuper la mairie…

20 août, 18 h 30. Je reprends cette lettre… dans le grand hall du Matin ! Tout arrive…

Fini le programme. Puis, rédigé, à la demande d’Adrien [Daniel Mayer], un papier pour le n° 1 (le n° 0 est déjà tiré à 100 000). Téléphone à Marcel [Bidoux ], sur l’indication d’Adrien, qui pense que je serai utile avec lui ; entendu, je dois aller le retrouver dans un café, vers la fin de journée.

J’avais rendez-vous avec Delille [Robert Verdier] place Maubert à 16 h. Mis en route par les quais jusqu’à la rue Mazarine, vers 15 h 40 (le boulevard St Germain est barré jusqu’à la rue des Saints-Pères, me dit-on, par les Allemands qui vous fouillent). Sur la Seine, une péniche allemande tire à la mitrailleuse. Deux minutes plus tard, sur le quai, une voiture avec haut parleur, trop loin pour que je puisse l’entendre ; le public me dit qu’elle annonce le cessez-le-feu. Rue de l’Ancienne Comédie, au moment d’arriver boulevard Saint-Germain, pétarade ; les brancardiers se précipitent relever des blessés sur le boulevard. Il faudra du temps pour faire respecter le cessez-le-feu…

Place Maubert, pas de Delille [Verdier], naturellement ; j’attends une heure, bientôt en compagnie de Mlle Claude [Villomme], puis de Dupuis [Achiari] et répète le mot d’ordre ; accord, ne plus tirer. Quelques minutes plus tard, passe une voiture allemande, pleine de soldats, le doigt sur la gâchette, mais qui ne tirent pas. La voiture, après un instant, répond. Naturellement, au coin du boulevard Saint-Michel, les FFI bien organisés, qui viennent de déblayer la chaussée du camion qui la barrait, voyant arriver une voiture allemande qui tire, tirent – et ça recommence. J’interpelle l’excité, qui m’envoie paître. Avec l’autorité de ma barbe, et de mon brassard, j’arrive à le calmer et à le convaincre, au point qu’il entreprend ses camarades (de Libération, comme lui) ; mais un excité sans brassard, reste à l’affût avec un fusil allemand…

A 17 h, j’y renoncer, j’enlève mon brassard, et je file. Forte pétarade, vers la place Saint-Michel, puis vers le Pont-Neuf. Je vois de loin passer au bout de la rue Dauphine des fantassins allemands et tirailleurs, suivis de petits tanks et guettés, de la rue Dauphine, par de résistants avec mitraillettes. Un moment après, je m’engage sur le Pont-Neuf ; rien en vue ; n’empêche qu’on recommence à tirer. Il faut se planquer dans un des refuges du pont ; finalement, impossible de passer, je reviens et vais au Pont-des-Arts ; je croise sur le quai un camion plein de soldats à l’affût, le doigt sur la gâchette ; il valait peut-être mieux en effet, avoir enlevé le brassard.

Du Pont-des-Arts, je vois passer successivement une camionnette française, qui répète : « les troupes allemandes ayant déclarées qu’elle n’attaqueraient pas les monuments publics occupés par les troupes françaises, et traiteraient suivant les lois de la guerre les prisonniers français, cesser le combat jusqu’à l’évacuation – et s’abstenir de stationner dans la rue. » Peu après un tank allemand passe et repasse sans incident. La fusillade se calme vers le Châtelet, je traverse la rue de Rivoli sans difficulté, et remets mon brassard rue du Louvre ; une jeune fille, me voyant plutôt empêtré pour fixer les épingles traverse la rue pour me le mettre. Il y en a peu de ce côté, et ça se repère.

J’arrive au café où Marcel [Bidoux] m’a donné rendez-vous ; il est déjà parti occuper … Le Matin ! J’y vais… et je croise avec mon brassard un camion allemand à l’affût, le doigt sur la gâchette ; curieux.

Atmosphère curieuse, au Matin, gardé par des camarades de Libération (… dont le général est M …(Maubert)) de la 5ème, et on se retrouve avec joie – comme j’avais téléphoné hier soir, avec joie, à M. Delaplace), où reste une partie de l’ancien personnel, qui regarde le nouveau de travers ; cependant que le nouveau se montre assez timide ; les instructions du ministre (…le nouveau !) ne sont pas encore parvenu et Marcel se contente d’obtenir, par transaction provisoire, de mauvais bureaux où l’on ne nous donne que partiellement du matériel, et du plus médiocre.

Gérard [Vée], dans le hall d’entrée, me confie qu’il ne digère pas le regard d’une dame blonde, assise non loin. Un instant plus tard, elle vient nous rejoindre et s’adresse à nous, assez excitée : « C’est inimaginable ! je suis depuis 3 ans et ½ à la rédaction, et moi qui leur disais que ça viendrait un jour, etc. » Gérard bout ; moi, très froid : « Oui. Nous en avons vu beaucoup d’autre que nous n’aurions pas imaginées. » Etc… Tout à coup : « Mais j’ai oublié de me présenter ; la fille de L[aville], député socialiste de *** !!! Tableau !!!

Je vais dîner avec Marcel – toute l’équipe du Foyer est venue nous rejoindre pour passer la nuit ; je les laisse choir à regret. Au retour, un petit camarade nerveux, et breton oh combien ! nous annonce d’un air assez ému : « Les Allemands viennent d’arrêter M. X*** » C’est Adrien [Daniel Mayer] qui vient de le téléphoner. Il y a encore trois divisions blindées qui ont à traverser Paris… Par ailleurs, Adrien, sortant du CNR, nous avait dit avant dîner que celui-ci paraissait vouloir rejeter l’armistice (conclu par la Délégation, par l’entremise de l’ambassade de Suède). Situation tendue !…

Le n° 0 a été distribué par des camionnettes armées de mitraillettes ; mais on ne vend pas encore, on ne sait même pas encore si on vendra demain, ni celui-là, ni le n° 1 que l’on va composer. Avec Adrien, étant donné la situation, on a même décidé de ne pas vendre le n°0 (qui parle de « Paris libéré » ce qui semble prématuré !) et de refaire un n° 0.

Cependant, j’apprends le métier (il est 22 h 30) et inutile de te dire que j’ai été interrompu un certain nombre de fois depuis 17 h. !!) À la demande de Marcel [Bidoux], j’ai composé un nouveau papier qui servira de placard manifeste au n°1, en cours de route du dîner, nous avons composé par approximations successives le titre sur 7 colonnes. Et maintenant, je viens de titrer et d’intertitrer des dépêches – ce qui m’a permis d’apprendre comment a fini Vichy .Ce n’est pas de l’eau de Vichy, mais de l’eau de boudin ; ces gens auront trouvé moyen d’être piteux et méprisables jusqu’au bout – ce qui n’avait d’ailleurs jamais été douteux ; ce serait risible, si l’on ne songeait à ce qu’ils ont pu prétendre représenter, et au mal qu’ils ont pu faire…

Entre temps, on apprend que M. X*** et ses amis ont été relâchés (soulagement !) – et que les gars ayant le canard en mains n’ont pu y tenir : ils l’ont vendu, et avec quel succès.

Lundi 21 août 16 h 30 ! Dormi environ 2 heures sur un fauteuil ; matinée fort occupée. Je serais bien embarrassé de dire à quoi, par exemple ! Adrien et Louise [Renée Blum ] sont venus, Delille aussi. On a beaucoup parlé ; Adrien énergique, très bien. Lillet [Bidoux] pris surtout par ses occupations techniques (il est d’ailleurs fort gentil, et plus qu’aimable : il me pressait hier soir de changer de métier, avec abondance de compliments à la clé). Finalement on doit se résigner à une cohabitation en chiens de faïence, non pour des raisons juridiques, mais parce que le rapport des forces est provisoirement plutôt indéterminé. Cela fait une situation doublement curieuse…

Accessoirement, le service d’ordre s’est évanoui, après 27 heures de service ; la relève, qu’on a demandée renforcée, tarde à arriver. Dans l’interrègne, incident : gros attroupement devant les fenêtres où sont affichées les dernières nouvelles. Au moment où l’on venait de s’en apercevoir, et de décider de les retirer, débarque un officier allemand qui invite énergiquement à les faire enlever en vitesse, et annonce qu’il patrouillera. C’est Adrien qui parlemente avec lui. Curieux !

On parle de reprise et recrudescence des bagarres ; ici, l’on entend rien. L’armistice, disait-on ce matin, a […] et, dit-on maintenant, a été dénoncé à midi. Aux dernières nouvelles, il y aurait au Luxembourg une grosse bagarre entre […] et SS de la division d’Oradour.

On nous annonce : 1° que les journaux vont pouvoir reparaître ; 2° que les typos viennent de recevoir l’ordre de grève ; 3° que la revue Camping reparaît… !

Pour le moment, les trois seuls éléments certains de la situation paraissent être : 1° que nous avons arrivé à déjeuner, ou à peu près ; 2° que j’ai ensuite dormi comme un loir dans un fauteuil ; 3° que j’ai perdu mon stylo – et un camarade rudement obligeant m’en a prêté un autre ; 4) (comme les 3 mousquetaires) qu’il fait plus orageux que jamais.

Passé ce matin pas mal de temps à travailler avec le service d’ordre la question des issues ; étions pilotés par un sympathique garçon de nettoyage de la maison. Adrien a fait […] emploi à tout le petit personnel ; excellent.

Les Américains seraient toujours à 7 km de Paris, couchés dans l’herbe, attendant les ordres – et dit-on, sa[gement] Il y a dans tout cela un de ces entrecroisement d’épées de Damoclès !…

En revenant de déjeuner, au coin du boulevard et de la rue du faubourg Montmartre, une auto allemande en dépanne une autre, protégée par un soldat prêt à tirer, et qui avait l’air de s’attendre à recevoir un coup de revolver à chaque instant ; ceux qui opéraient aussi, d’ailleurs. On comprend, on se met très bien à leur place.

Au milieu du paragraphe précédent, je m’aperçois que mon style était suspendu par l’agrafe à la poignée d’un tiroir d’une table de dactylo voisine. Étrange !

18 h 15. Il me semble décidément que l’on va vendre le n°0 ce soir (en tout cas, on le fait tourner en masses), et le […] demain matin. En tout cas, le fait que ces autorisations viennent d’être données officiellement semble indiquer que les choses se tassent. Encore une des curiosité de la situation, ces relations téléphoniques constantes avec les ministères, les vrais !…

Je vais commencer une nouvelle série, sur un bloc à lettres magnifique, que j’ai… emprunté dans le bureau de feu M B. –V [Maurice Bunau-Varilla ] . soi-même.

On vend L’Humanité sous nos fenêtres. La foule se l’arrache. Le n°0 se vend depuis hier soir, en fait.


Mardi 22 août , 17 h 20. Longue interruption, pour cause de travail, d’abrutissement, et de peu d’événements. Ce soir, panne d’électricité de deux heures ; courant coupé à « quelques » journaux, sur l’ordre de je ne sais quel directeur du secteur électrique. Longue recherche de la cause, puis coup de téléphone de Marcel à l’Information, coup de téléphone énergique de celle-ci, et nous avons l’électricité dans les cinq minutes. J’espère que la leçon ne sera pas perdue, quand on aura les mains libres ; en tout cas, elle me fournit un exemple d’actualité d’une histoire vieille comme le monde – et je l’utilise !

Le seul autre événement de la nuit, c’est un coup de téléphone du ministère, nous avisant que les Allemands sont furieux d’avoir vu paraître les journaux ; on s’attend à une opération sur les imprimeries ; ouvrir l’œil. On l’ouvre – et on en garde un sur la porte d’entrée, et l’autre sur l’issue de secours ! Mais je suis assez sceptique et l’expérience prouve que je n’ai pas tort, au moins pour la [nuit].

Grâce à la panne, on a fini vers 3 heures seulement. Dormi dans un fauteuil jusque vers 5 heures ; puis rentré chez moi à travers des rues totalement silencieuses et sans vestige de combat (sauf les restes d’un barrage en sacs de sable, à l’entrée de la rue Bonaparte). Pourtant, ça a flambé ferme hier soir à Saint-Germain-des-Prés, où un tank lance-flamme est entré en action.

Retourné au bureau vers 16 h, dans un silence quasi général. Passé sur le pont du Carrousel ; assez grosse bagarre rue de Dauphine. Beaucoup de monde accoudé au parapet du pont, peu au pont des Arts, personne au Pont-Neuf. Et sur la berge, quantité de gosses et de jeunes gens, en maillot, prennent des bains en pleine eau (Deligny est fermée, et il fait chaud) !

Quant à la situation, elle est toujours aussi limpide. On nous apprend d’abord qu’on va évacuer les Ministères, car on redoute un coup pour ce soir. Et nous ? Paraître ou ne pas paraître ? (je ne parle pas seulement pour notre canard). On téléphone à Versailles ; pas question que les Américains y soient, contrairement à ce qu’on nous a dit depuis deux jours. Cependant, des autos de la police parcourent la ville, et invitent à dresser partout des barricades ? Deux chars Tigre défilent sous nos fenêtres.

20 h. Je viens de tomber sur Revel [Henri Ribière ], dans le bureau de Marcel. Une division démoralisée a encore à traverser Paris, mais il s’y trouve 56 chars Tigre, contre lesquels on ne peut rien ; peut-être, quand ils seront passés… Et tout cas, on paraît, c’est l’essentiel !

Depuis un moment, on entend constamment le canon très lointain.

Mercredi 23 août , 14 h. Travail terminé sans incident, mais à 3 h du matin seulement. On s’installe dans les fauteuils, on commence à s’endormir, quand on est alerté par le service de garde : il entend frapper à coups de crosse dans la porte du 7, et l’électricité vient de s’éteindre. Tout le monde file, non sans pagaye dans l’obscurité, vers l’immeuble voisin, par itinéraire détourné. Mais le calme qui ne cesse de régner me paraît bizarre, et je reste derrière avec quelques camarades pour essayer de tirer l’affaire au clair (si je puis dore). Finalement, les « coups de crosse » étaient tout simplement produits par le souffle d’explosions lointaines, mais très violentes – souffle qui avait suffi précédemment à ouvrir brutalement les portes battantes extérieures de notre bureau. Quant à l’électricité, elle avait été coupée… par l’électricien de garde, appliquant une consigne de la maison ! On a changé la consigne, et on revient dormir ; mais il est déjà 4 h.

À la radio, Koenig nous annonce entre deux Marseillaise que Paris est libéré. Nous sommes heureux de l’apprendre.

Vers 6 h 15, je me mets en route pour rentrer. Paris totalement calme, dans une aurore douce, mais lourde et chaude. Il y a des barricades dans le centre ; une, rue de Rohan, porte en fronton, par morceaux, la grande enseigne du « Parti populaire français ».
Au bout du pont du Carrousel, trois sentinelles allemandes, en armes, devant deux portes de maisons dans l’axe du pont pour les maisons, ou pour le pont ? Un side-car de la police française débouche de la rue des Saint-Pères, tourne sur le quai, dé[gage] devant les sentinelles et file par le pont. Curieux !

18 h 15. Rien de nouveau ; on commence à s’installer. Je m’établis dans le bureau réservé à Adrien – qui fut jadis celui de Stéphane Lauzanne !…

En allant au bureau et traversant la rue de Rivoli, voit d’un côté les barricades FFI qui défendent le Châtelet et l’Hôtel de Ville, de l’autre les barbelés qui défendent la Concorde, où flottent toujours les grands étendards nazis. Un barrage empêche de rejoindre la place N. D. des Victoires : un tank moy[…] vient de démolir une maison ; ni tués ni blessés. Des explosions lointaines : on dirait des chapelets de bombes. La propriétaire de mon hôtel a vu cycliste qui arrivait de Clermont-Ferrand. Les Américains sont à Ris-Orangis – à preuve qu’il avait des cigarettes américaines plein les poches, le veinard !

Jeudi 24 août , 10 h 30. Ça fait du bien, une bonne [nuit]. Tout semble calme dans Paris ; est-ce l’approche des Alliés ? Est-ce la pluie d’orage continue ? Les grands étendards nazis pendent toujours à la Concorde. Dans le centre, les barricades sont renforcées.

16 h. C’était calme jusqu’ici ; depuis une heure, çà […] pas mal du côté de la République ; il paraît qu’il y font sauter le blockhaus. À part çà, absolument rien. Au point que je n’arrive pas à trouver une idée pour le leader !

Les gardiens de la paix du XVIe viennent de téléphoner, ils se préparent à aller en cérémonie faire sauter les plaques « Avenue Philippe Henriot » et rétablir « Avenue Wilson » et demandent si l’on veut venir prendre un cliché.

17 h 15. « Ils » sont à la Croix de Berny. C’est pour ce soir…

17 h 50. On fait fermer les volets et les portes porte d’Orléans – sans doute pour laisser passer sans incidents les Allemands en déroute. Les Américains sont au rond-point de la Défense.

[manque page 9]
25 août ??

encadré de Marocains en kaki, avec bourguignotte , débouchent de la rue du Temple. Des FFI sont dans son appartement, avec des bouteilles incendiaires, pour le cas où des tanks allemands s’avanceraient ; mais ils ne bougent pas. Les Marocains s’engagent en rampant vers la République… C’est le chahut qu’on entend d’ici.

12 h 15. Les Allemands attaquent encore l’Hôtel de Ville, d’où Schumann les repousse. Ça continue à la République. Mais nous attaquons le Luxembourg, nous avons repris la Tour Maubourg, l’École militaire est cernée.

20 h 10. Été prendre l’air. Vers la République, d’abord ; impossible d’approcher ; ils tirent encore des toits voisins. Rabattu sur l’Hôtel de Ville : foule, chants, chenillettes françaises, drapeaux, hauts parleurs… Si j’y étais resté une heure plus, j’aurais vu l’arrivée de de Gaulle.

Été voir le coin où Frerson, rencontré par hasard, s’est battu hier sur une barricade, près de la gare du Nord.

La veille, il y avait vu des Allemands tirer sur les passants, et des femmes – françaises – leur désigner les portes sous lesquelles ils se réfugiaient. Ce matin, il a vu saisir ces femmes, les sortir nues, leur raser la tête, et mes emmener en camion.

Après dîner, au journal, visite de Daniel, qui nous donne sa première impression du contact… fugitif, avec de Gaulle. Il (Daniel) est épuisé par la vie des jours précédents, et par les 27 heures d’attente à l’Hôtel de Ville.

Samedi 26 août, 14 h 15. Journal fini à 3 h. Sur un fauteuil jusqu’à 7 h. Vers 8 h 30 arrivent Daniel et Le Trocquer – celui-ci assez inquiétant. Il y a évidemment un coefficient personnel, mais Daniel, qui a vu les choses sur place jadis, estime qu’il y a un grand fond exact. Cela promet des jours difficiles.

Rentré vers 10 h 30. Dormi jusqu’à midi. Réveillé par un coup de téléphone de Marcelle ; tout va bien – après des journées dures ; leur maison a reçu un obus, ils sont restés dans la cave de 10 h à 21 h.

17 h 30. Été à l’Hôtel de Ville. Foule que tu imagines. Avec brassard et coupe-file, je passe et m’installe au milieu de la place, à30 m de la porte, à côté d’une auto de presse américaine, entre les blindés marocains du colonel *** . Je prends un premier rouleau ; juste au moment où je change la bobine, arrive de Gaulle à 20 m de moi. Je précipite le mouvement, et j’arrive à le prendre. On ne voit que des généraux ; et le CNR ? Et Le Trocquer ? De Gaulle monte au micro ; tout le monde attend la proclamation de la République. Il crie : « Vive la France ! » – C’est tout ? Oui, il s’e va, à pied d’abord ; voici Le Trocquer qui paraît lui demander de faire demi-tour. Les autos arrivent, de Gaulle et toute la suite filent vers Notre-Dame.

À peine a-t-il atteint le pont, que des coups de feu crépitent : on tire – revolver et mitraillette – du 3e étage, juste en face de la porte de l’Hôtel de Ville la plus rapprochées de la Seine, sur la façade. Panique. On court, on se couche, on se cache derrière les chars – dans la foule d’agents et de FFI, revolvers et mitraillettes partent tout seuls. On finit même par tirer un cou de canon antichar ; la façade est criblée. Au beau milieu, mon appareil se coince, et il faut que j’aille chercher une chambre noire dans l’Hôtel de Ville. À peine est-ce fini de ce côté et la place est-elle évacuée (mais le brassard sert !), que ça reprend rue du Renard. On en ramène bientôt un homme blessé que le police a beaucoup de peine à protéger contre la foule accourue de la rue de Rivoli ; son crime ? Il porte un pantalon de la Milice (ou qui y ressemble)…

Je remonte vers le Popu ; ça tire un peu de tous les côtés : de la tour St Jacques, rue Brise-Miche, rue aux Ours, boulevard Sébastopol près des Arts et Métiers ; sur le boulevard près du Popu… Et quelle foule !

J’ai pris trois rouleaux de photos ; si elles ne sont pas ratées, quel souvenir !

21 h 30. À Bagneux, un de nos camarades a vu des scènes. 8 Allemands se sont retranchés dans une maison. On les mitraille ; un lieutenant de l’armée Leclerc, avec un drapeau blanc, vient leur demander de se rendre ; ils le tuent d’une grenade, puis filent sur les toits en se faisant couvrir par des civils (dont un gosse de 14 ans). Les civils arrivent à se sauver. On blesse les Allemands, on en rejoint trois ; un des blessés demande de l’eau – on le jette dans la rue, puis les deux autres ; la foule les dépouille, les piétine, etc…

Des femmes sont rasées et promenées dans les rues, avec une ronde de fillettes autour d’elles : on arrête des soldats américains pour qu’ils les giflent…

22 h 50. Canon assez rapproché ?? Les bobards les plus invraisemblables couraient, tout à l’heure, sur un retour offensif des Allemands par le Nord ; les gens de St Denis rappliquaient en disant d’enlever les drapeaux !!!

23 h. Avions. DCA.

Dimanche 27 août. 0 h. Bombardement, cave. Gros incendie vers l’Hôtel de Ville. Des voitures patrouillent sur le boulevard ; chaque fois qu’il en passe une à 100 mètres de nous, vers la République, elle essuie un coup de feu.

0 h 45. Le barman vient de recevoir un coup de téléphone de sa femme, à la limite de Bagnolet : à 100 m de chez lui, tout est en feu, les rues sont jonchées de cadavres. – À chaque instant, coup de revolver dans le voisinage.

1 h 30. Montreuil : les blindés allemands arrivent ? À St Mandé, on invite les hommes à filer vers le centre de Paris. Je pense qu’on va bientôt assister au défilé des canards motorisés………
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