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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
L'OURS n°311 (septembre-octobre 2001)
L’OURS n° 311
septembre-octobre 2001
sommaire


NOTES DE LECTURE
p. 2 LIVRES EN BREF
Le coup de cœur de PIERRE YSMAL (a/s de Dominique Schneidre, Fortune de mère, Fayard, 2001, 362 p, 138 F, 21,04 € )
DENIS LEFEBVRE a/s de « Cher Charles… », Charles Ronsac éditeur (collectif), Robert Laffont, 2001, 119 p, plaquette hors commerce.

p. 3 SYNDICALISME
Le syndicalisme des fonctionnaires par GUY PUTFIN (a/s de Jeanne Siwek-Pouydesseau, Les syndicats des fonctions publiques au XXe siècle, Berger-Levrault, 2001, 312 p, 320 F, 48,78 €)

p. 3 DÉFENSE
La défense de l’Union européenne par DANIEL MITRANI ET JEAN-NOËL SORRET (a/s de Martin Ortega, L’intervention militaire et l’Union européenne, Cahiers de Chaillot n° 45, mars 2001, 147 p)

p. 4 SOCIÉTÉ
Peut-on encore changer le monde ? par JEAN-MICHEL REYNAUD (a/s de René Passet, Eloge du Mondialisme, Par un « anti-présumé », Fayard, 2001, 172 p, 89 F, 13,57 € et Alain Touraine, Comment sortir du libéralisme, Biblio Poche, 2001 192 p, 36 F, 5,49 €)
Les hommes dans leurs sociétés par NOËL DELOMEL (a/s de Pierre Aurégan, Des récits et des hommes, Terre humaine : un autre regard sur les sciences de l’homme, Nathan/Plon, 2001, 482 p, 149 F, 22,71 € et Anne-Marie Marchetti, Perpétuités, Le temps infini des longues peines, Plon, 2001, 526 p, 149 F, 22,71 €)
Pour l’école Républicaine (a/s de Yves Durand, Oui, on peut sauver l’école, L’Harmattan, 2001, 111 p, 70 F, 10,70 €)

p. 5 STALINISME
Staline, l’irrésistible ascension par GILLES VERGNON (a/s de Jean-Jacques Marie, Staline, Fayard, 2001, 994 p, 196,80 F, 30 €)

p. 5 RÉVOLUTION RUSSE
Regards d’anars sur la Révolution de 1917, par JEAN-LOUIS PANNE (a/s de Alexandre Skirda, Les Anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917, Les Éditions de Paris-Max Chaleil, 2000, 350 p, 125 F, 19,06 €)
Un siècle d’anticommunisme (a/s de “Aspects de l’anticommnisme” Communisme, l’Age d’homme, n°62-63 2000, 270 p, 135 F, 20,58 €)

p 6 FIGURES
L’égalité selon Gracchus Babeuf par GUY BORDES (a/s de Jean Soublin, Je t’écris au sujet de Gracchus Babeuf , Atelier du Gué, 2001 100 F 15,24 € et Philippe Riviale, L’impatience du bonheur. Apologie de Gracchus Babeuf, Payot, 2001, 145 f, 22,11e)
Séverine ou les cris de la plume par PIERRE YSMAL (a/s de Paul Couturiau, Séverine, l’insurgée, Editions du Rocher 2001, 398 p, 134,47 F, 20,50 €)

p. 7 CULTURE
Radiguet, diablement jeune par DENIS LEFEBVRE (a/s de Raymond Radiguet, Oeuvres, La Pochothèque, Livre de Poche, 2001, 688 p, 120 F, 18,29 €)
Pinard, l’esprit de l’intolérance par JEAN-FRANÇOIS FLAMANT (a/s de Alexandre Najjar, Le procureur de l’Empire. Ernest Pinard (1822-1909), Balland, 2001, 364 p, 139F, 21,19 €)
Les Blanche, docteurs es lettres par JEAN-FRANÇOIS FLAMANT (a/s de Laure Murat, La Maison du docteur Blanche, Histoire d’un asile et de ses pensionnaires de Nerval à Maupassant, J C Lattès, 2001, 424 p, 149 F, 22,71 €)

p. 8 SOCIALISME
Les sillons des militants socialistes par ROBERT LINDET (a/s de Jacques Girault (sous la direction de), avec la collaboration de Jean-William Dereymez, Frank Georgi, Denis Lefebvre, Frédéric Sawicki, Danielle Tartakowsky, L’Implantation du socialisme en France au XXe siècle, Partis, réseaux, mobilisation, Publications de la Sorbonne, 2001, 370 p, 180 F, 27,44 €)
Pour ne pas oublier Defferre par RAYMOND KRAKOVITCH (a/s de Edmonde Charles-Roux, L’homme de Marseille, Grasset, 2001, 224 p, 246 F, 37,50 €)

p. 7 CRITIQUE DE FILM
Le jeu des tentations vpar JEAN-LOUIS COY (a/s de, Loin de André Téchiné France, 1 h 33, avec Stéphanie Rideau, Lubna Azabal, Yasmina Reza, Mohamed Hamaïdi

 
L'article du mois
LES SILLONS DES MILITANTS SOCIALISTES
par ROBERT LINDET
a/s de Jacques Girault (sous la direction de)
avec la collaboration de Jean-William Dereymez, Frank Georgi, Denis Lefebvre, Frédéric Sawicki, Danielle Tartakowsky
L’Implantation du socialisme en France au XXe siècle.
Partis, réseaux, mobilisation

Publications de la Sorbonne, 2001, 370 p, 180 F, 27,44 €

Issu d’un colloque organisé, en 1999, par Jacques Girault avec la collaboration de politistes et d’historiens - Jean-William Dereymez, Frank Georgi, Denis Lefebvre, Frédéric Sawicki, Danielle Tartakowsky… - ce fort volume offre, par ses multiples angles d’approche, une première réflexion sur l’implantation du socialisme en France.

Pour savoir comment le socialisme s’est implanté en France, l’histoire politique ne suffit pas. Elle ne peut prendre sens en effet qu’appuyée sur une histoire sociale, qui étudie les milieux réceptifs ou rétifs, qui cherche à dégager les évolutions et les espaces sensibles à cette implantation. Si l’historien est, comme le disait Marc Bloch, l’ogre à la recherche de la chair humaine, il doit connaître parfaitement son territoire de chasse et ne pas oublier que la connaissance des phénomènes historiques s’inscrit toujours dans des cadres spatio-temporels. Comment se construisent ou se déconstruisent les « fiefs » ? Pourquoi par exemple le guesdisme « réussit » dans le Nord ? Pourquoi les ouvriers de Mazamet, militants et capables de mener de longues grèves, votent à droite, etc ?
Ces questions sont toujours reliées au destin actuel de la gauche. Sans doute, pour y répondre, faudrait-il retrouver le goût des grandes recherches collectives et pluridisciplinaires, si vivace dans les années 1960 et 1970, mais bien retombé aujourd’hui. Peut-on encore espérer une « grande thèse » comme celle à laquelle rêvait Ernest Labrousse, professeur à la Sorbonne et ancien directeur de La Revue socialiste, sur l’implantation du socialisme au début du siècle qui aurait expliqué la progression électorale et militante de la SFIO entre 1905 et 1914 ?

Une entreprise collective
Le défi ne serait pas commode à relever, et tant de choses ont changé depuis Labrousse, ne serait-ce que dans l’organisation du travail universitaire... L’histoire du mouvement ouvrier a certes connu ses cathédrales : le « Maitron », dictionnaire biographique en 44 volumes pour la France, de grandes synthèses et des publications de textes, d’innombrables articles, mémoires, livres et colloques, mais pas cette vaste enquête sur l’implantation du socialisme qu’on aurait pu attendre au pays de Jaurès, de Blum et de Mitterrand. Le travail est resté morcelé, épars, inachevé... Peut-on le reprendre, l’organiser, le continuer et lui donner sens ? Nous verrons bien, mais, de toute façon, il faut saluer le sympathique essai d’une nouvelle génération relayée par quelques sagaces anciens... et demi-anciens.
Parmi ces derniers, il n’est pas étonnant de retrouver l’infatigable et persévérant Jacques Girault, professeur à Paris XIII-Villetaneuse, auteur et promoteur d’importantes études sur l’implantation du communisme français. Il s’est utilement associé à l’OURS, conservateur des archives de la SFIO et actif centre de recherche sur son histoire, et à une équipe d’historiens et de politistes de différents centres universitaires, parmi lesquels Frédéric Sawicki, qui s’est fait connaître depuis quelques années par ses travaux sur les réseaux du Parti socialiste (Belin, 1997, L’OURS n°274).
Le premier résultat fructueux de cette rencontre est la parution de ce livre collectif, solidement structuré, rapide sur le socialisme d’avant Tours, qui privilégie nettement les structures : l’organisation, la propagande et l’élection. Les quelques personnalités étudiées (Morizet, Maurice Pic, voire Lagardelle) ne sont pas des hommes de premier plan, mais plutôt des personnages représentatifs, des figures exemplaires, qui permettent, comme le recommandait encore Marc Bloch, de mieux comprendre leurs milieux d’origine et d’action. Les animateurs de la recherche prennent soin d’ailleurs d’encadrer ces études partielles en les faisant précéder de suggestives analyses des apports et limites de l’analyse monographique pour la compréhension du phénomène global de l’implantation socialiste. Frédéric Sawicki évite ainsi à l’ouvrage les reproches faciles sur le caractère arbitraire des thèmes retenus, forcément tributaires du hasard des recherches actuelles : un chercheur travaille sur l’Yonne, un autre sur les conseillers généraux de la Seine des années 1950 et 1960, un troisième sur les campagnes électorales récentes dans la circonscription de La Flèche, et il faut bien se poser la question du sens du regroupement de leurs travaux. D’où la présence, après l’introduction méthodologique de Jacques Girault, de quelques fortes synthèses pour chaque partie : l’intérêt donc des monographies et d’une recherche ancrée sur la notion de territoire (Sawicki, Dereymez), l’appel à une prosopographie des élus socialistes (Gilles Morin) et, par les deux animateurs intellectuels de l’OURS (Denis Lefebvre et Frédéric Cépède), deux approches, différemment conçues d’ailleurs, de ces deux mamelles du mouvement socialiste que sont l’organisation et la propagande. Évidemment, tout n’est pas dit, et chacun pourra s’amuser à imaginer les recherches qu’il aurait souhaité lire : soit qu’elles existent ailleurs, soit qu’elles seraient attendues, mais en suspens faute de chercheurs disponibles ou volontaires. Mais, ours ou pas, beaucoup de miel est apporté, souvent nouveau, et du meilleur ! L’interaction entre élus, élections, base militante et corps électoral notamment, est posée de manière à la fois plus fine, riche et complexe, grâce à des études de cas précis, comme dans le cadre de la municipalité de Roubaix. L’ouvrage sait d’ailleurs se donner un éclairage « décalé » avec une conclusion due à un historien britannique (Donald Sassoon) et mener à bon port l’association parfois malaisée d’historiens et de politistes.

Pour une histoire d’en bas
Le vieux rêve de Labrousse a peut-être commencé à se réaliser, certes centré sur une période et des problématiques différentes, mais le chantier est ouvert, et il faut faire en sorte qu’il ne se referme pas. Peut-être sa poursuite et le succès final de l’entreprise seraient davantage assurés si le point de vue « d’en bas » était mieux pris en compte ? Cette première étude reste malgré tout fondamentalement écrite du côté des « militants virils » comme dirait Marc Angenot, bref d’une histoire politique, qui assure la suprématie à l’appareil du Parti. Or, il n’est pas évident que cette focalisation sur le Parti aille sans inconvénient pour l’histoire du socialisme démocratique, précisément caractérisé par la faiblesse de son appareil politique et sur des liens avec les forces sociales, syndicats, associations, électeurs, etc., si différents de ceux qui existent dans la mouvance communiste. La notion d’élu socialiste est bien plus large que celle d’élu du Parti socialiste, la sphère sociale influencée par les socialistes se saisit difficilement puisque les relais de cette influence se caractérisent souvent par le refus de ce qui pourrait sembler structuré, organisé, contrôlé... Les analystes préfèrent parler de galaxie, et, par exemple, le cas des syndicats montre bien la complexité d’une influence susceptible de concerner tous les syndicats de salariés, voire certains pans de l’organisation patronale, sans avoir la relation privilégiée qui unit le PCF et la CGT.
Bref, le Parti socialiste en France n’est pas un parti « de type social-démocrate », ou seulement de façon marginale, et cette spécificité nationale aurait pu être davantage explorée. Ce n’est pas seulement un peu plus d’histoire sociale qu’on souhaiterait insuffler à l’entreprise initiée par Jacques Girault et ses collègues, mais aussi de l’histoire culturelle, et de la plus large, qui aiderait d’ailleurs à comprendre comment certains reflux sévères (1993) peuvent être suivis de résurrections rapides (1997) sans que l’organisation politique concernée (le Parti socialiste de Fabius, Rocard, Emmanuelli puis Jospin) ait semblé pour autant accomplir des prodiges d’action militante sur le terrain. Mais soyons de bons et fiers réformistes et ne boudons pas notre plaisir : ce livre collectif apporte déjà beaucoup à la connaissance des conditions concrètes d’implantation, c’est-à-dire notamment du travail d’organisation, de propagande et de campagne électorale des socialistes en France depuis près d’un siècle.
Robert Lindet
 

 
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