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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Pennetier/100 socialistes
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100 SOCIALISTES POUR UN CENTENAIRE
Le centenaire du Parti socialiste a fort heureusement provoqué toute une série d’initiatives éditoriales s’adressant le plus souvent à un public large, sous la forme de synthèses nationales ou régionales. La dimension de biographie collective, si présente dans l’historiographie française, ne pouvait pas être absence. Heureuse idée que celle d’associer les 100 ans au même chiffre de socialistes et de présenter ces cent portraits sous une forme plaisante, fortement illustrée, dans une typographie lisible, y compris pour les yeux de quasi centenaires.
Jean-Marc Binot, Denis Lefebvre, Pierre Serne 100 ans, 100 socialistes Bruno Leprince 2005 460 p 22 e
Les trois auteurs ont fait le choix d’une écriture vive, utilisant le présent de narration, le style récit et en évitant les informations qui alourdissent le texte. Il ne faut donc pas compter sur ces 460 pages pour partir à la recherche d’informations bibliographiques et archivistiques. Les notices, de 2 à 12 pages, ne sont pourtant pas que d’habiles compositions basées sur une riche connaissance des travaux. Plusieurs notices s’appuient sur une documentation de première main et sur une connaissance personnelle des personnages. Trois plumes, une même vision de cet exercice biographique, mais quelques différences cependant qui tiennent pour une part à la répartition des types de militants et pour une autre à des sensibilités personnelles. Ainsi Denis Lefebvre est volontiers caustique, Jean-Marc Binot parfois sévère surtout lorsqu’il s’agit d’Édith Cresson, Pierre Serne, prudent, évite les jugements de valeur sans contourner pour autant l’obstacle. On ne peut du moins pas leur reprocher d’être paralysés par le regard des dirigeants contemporains dont ils font la biographie. Ainsi les pages consacrées à Lionel Jospin par Pierre Serne n’ignorent rien du camarade « Michel ». Hasard des photos ou malice des auteurs, la photographie présentant, au final, Lionel Jospin regardant sa montre, attendant « son heure », participe à la dimension plaisante de l’ouvrage. Si les socialistes qui figurent sur les photos sont remarquablement identifiés, jusqu’aux profils de second plan, la datation aurait parfois éclairé les sourires ou le sérieux des visages.
Présents et absents Cent socialistes. Tout repose naturellement dans le choix du panel. Le livre fait le choix des plus connus et reconnus, tout en recherchant une diversité et un équilibre. Treize femmes, c’est peu dira-t-on, c’est en fait un peu plus que leur part dans les directions pendant un siècle. Mais il est vrai que les fortes personnalités de l’après-68 viennent renforcer une fragile cohorte. Toutes méritent leur place, et l’évocation d’une Suzanne Buisson, partie « dans la nuit et le brouillard » sans qu’on sache même la date de sa mort, ou d’une Suzanne Lacore qui mourut centenaire est précieuse. Le livre fait également place aux militants d’outre-mer. Souci méritoire que Denis Lefebvre pousse jusqu’à la découverte. Qui connaissait comme socialiste Blaise Diagne (1872-1934), originaire de Gorée (Sénégal) dont la mémoire est sauvée par les archives de la franc-maçonnerie ? La sélection s’impose pour les « créateurs » qui ne réservent guère de surprises, elle peut toujours être discutée pour les « historiques », ceux qui marquent le socialisme du congrès de Tours à la guerre d’Algérie. Le choix s’imposait de forts engagements dans la Résistance et aussi de quelques destins marqués par la collaboration ou le vichysme. Pourquoi ne pas avoir fait une place à un Victor Basch, président de la Ligue des droits de l’homme tué par la milice, même si la présence d’un Robert Verdier, toujours grand militant de la LDH à presque 95 ans, vient compenser ? À la lecture de cette centaine de portraits remarquablement dressés, bien informés et « enlevés », on s’interroge sur la confrontation entre une histoire collective des socialistes et une mémoire oublieuse. Jaurès, Blum et puis rien ! Ou alors des dissidents (Marceau Pivert), des rebelles (Mayer), quelques grandes figures intellectuelles (Bracke) même si le socialisme français a moins valorisé ses « docteurs » que le socialisme allemand. Et puis, derrière, un réseau serré de fédérations, d’associations, de relais divers, dont des relais internationaux, moins connus et que l’on retrouve au fil des pages : les foyers Léo Lagrange, l’Internationale socialiste. « Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus » chantaient plaisamment quelques jeunes socialistes provoquant le sourire amusé de Gaston Defferre. La professionnalisation des itinéraires socialistes a une forme spécifique, très différente de la permanentalisation communiste, ce qui permettra à Jospin de clouer le bec à Marchais lors d’un célèbre débat télévisé. Élite de professeurs, parfois d’Énarques, mais aussi de travailleurs hissés par le syndicalisme (Bérégovoy, Gazier), la lecture de ces quelques centaines de pages donne à penser. Elles inspirent également des réflexions sur les modes de renouvellement : par l’extrême gauche (Zeller), il manque alors la figure de Jean Rous, par le christianisme social (Buron), par le communisme (Poperen). L’ouvrage rend bien compte du mouvement centrifuge, de la capacité d’attraction périodique d’attraction du Parti socialiste, et du mouvement centrifuge qui lui fait perdre une partie de ses cadres dans les grandes crises nationales : la Première guerre mondiale (Gustave Hervé), le communisme naissant (Cachin aurait pu avoir sa place pour sa période socialiste), le Seconde Guerre mondiale (Déat, Paul Faure), la guerre d’Algérie (Depreux) et enfin les départs post-Épinay qui sont moins présents, même si un Jean-Marc Binot ne pouvait pas rater Max Lejeune auquel il a consacré récemment un livre. S’il reste vrai que « partir c’est mourir un peu » car il ne se construit pas beaucoup de carrières majeures, déterminantes, sur la rupture avec le PS, il faut faire une place à part au détour par le PSU qui offre en retour des places de premier plan à un Michel Rocard ou à un Jean Poperen.
Vagues ou générations socialistes ? On connaît l’exigence du débat autour de la notion de génération qui ne peut prendre force qu’autour d’un événement ou d’un moment fondateur. J’aurais donc tendance à différencier dans ce corpus de choix des générations et des vagues. Il y a bien une génération socialiste des années 1890-1900 forgée dans le contexte de la crise économique et sociale par une volonté de dépassement de clivages, de prise en compte des réalités d’un syndicalisme montant et par la marque de la lutte dreyfusarde. Une nouvelle vague reconstruit la « vieille maison » face à la concurrence communiste. Jean Zyromski aurait pu faire à ce titre parti des biographiés même si, surprise du destin, il finit lui-même dans les rangs du PCF. Y a-t-il une génération socialiste de la Résistance ? Le Binot-Lefevre-Serne (BLS) fait place à la belle figure de Brossolette, mais c’est un itinéraire qui, comme celui de bien d’autre, est brisé par une mort tragique. Bien des figures moins célèbres disparaissent ou se dispersent. La marque de la Résistance reste cependant très forte, le cas Defferre nous le rappelle. Il y a bien une génération Épinay, qui n’est dans le fond qu’une branche de la génération 68. Et après ? Il est trop tôt pour identifier une vague Jospin, ou une seconde vague Mitterrand avec des noms qui n’ont pas été retenus dans le BLS : Julien Dray, Harlem Désir. Aux historiens du 150e anniversaire de voir ce qu’il restera. Ce beau livre, alerte, apporte une grande satisfaction à ses lecteurs, et si en prime il aide à méditer sur la dimension « humaine » du socialisme, le pari des auteurs aura été gagné.
Claude Pennetier |
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