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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Camus, entretien avec Jeanyves Guérin
Albert Camus, clés d’entrées
Interview de Jeanyves Guérin par Florent Le Bot
Entretien paru dans L’OURS, n°397, avril 2010, dossier Albert Camus, p. I-II.
Jeanyves Guérin (dir.), Dictionnaire Albert Camus, Bouquins, Robert Laffont, 2009, 992 p, 30 €

« La camusmania actuelle s’explique. Camus comble un vide. Il n’existe aujourd’hui aucun écrivain ou penseur qui soit aussi une conscience morale et politique. » Jeanyves Guérin, professeur de littérature française à l’université Paris III-Sorbonne nouvelle, répond à nos questions, le 3 février 2010.


Vous venez de publier un ouvrage collectif, le Dictionnaire Albert Camus. Pourquoi un tel ouvrage aujourd’hui ? Pourquoi sous la forme d’un dictionnaire ?
Un journaliste a récemment parlé d’une « encyclomanie galopante ». Un dictionnaire permet de ramasser un maximum d’informations – de faits et d’idées. Il propose des analyses et des synthèses. Il met des savoirs disponibles à la disposition d’un public que les actes de colloques rebutent. Il permet toutes les entrées, toutes les bifurcations, toutes les circulations. Par ailleurs, il offre une pluralité d’approches. Une même question peut être abordée sous divers angles. Les cinquante entrées sur l’Algérie ont été partagées entre quatre auteurs. Bref, un dictionnaire est un ouvrage polyphonique, donc démocratique à tous les points de vue.

Pouvez-vous nous parler du travail collectif ? Quelles étaient vos consignes en matière de rédaction des notices ?
Il s’est écoulé quatre ans entre l’acceptation du projet par Daniel Rondeau et la sortie de l’ouvrage. J’ai composé une équipe internationale et interdisciplinaire de chercheurs. On y trouve des littéraires, bien sûr, mais aussi des philosophes, des historiens, des sociologues, un juriste même. Ils sont à peu près tous issus de l’université. Tous n’appartiennent pas au réseau des spécialistes de l’auteur. Camus n’est pas la propriété des « camusiens ». Chacun a eu une liberté totale de rédaction. Il n’y a pas eu de recommandation ni d’interdit. La pensée de midi ne saurait être une pensée unique. L’idée d’un surmoi orthodoxe est contradictoire avec les tensions, l’ouverture de l’œuvre camusienne.

De l’ouvrage, il me semble ressortir que cette œuvre, une fois désenclavée, est plus riche, plus complexe, plus actuelle qu’on le croyait. S’il en fait découvrir des facettes méconnues, s’il donne l’envie de lire ou de relire autrement Camus, s’il suscite de nouveaux travaux, le dictionnaire aura joué son rôle.

Comment avez-vous défini et choisi les entrées du dictionnaire ?
Au départ, il y avait une liste d’entrées calibrées. Quelques principes ont présidé à sa constitution. Une entrée pour chaque œuvre. Des entrées pour les principaux personnages des fictions, pour les thèmes et les notions de sa philosophie, pour les interlocuteurs de Camus, pour ses auteurs préférés, pour les engagements du citoyen. Au fil des mois, la liste initiale s’est étoffée. Certaines entrées sont apparues tardivement au gré de l’actualité. Ainsi, les entrées argent, ingérence, économie, islam, laïcité. Au total, il y a 539 entrées. Un lecteur vient de mettre spontanément cette liste sur Internet. En annexe, on trouve une bibliographie internationale comportant 220 titres et des repères biographiques.

Quelles dimensions de l’œuvre de Camus, les études et la recherche privilégient-elles désormais ? Des textes inédits à publier ?
La recherche sur Camus a intérêt à renouveler ses topiques. Elle tourne en rond. Sans doute faut-il revisiter le théâtre et les essais, multiplier les comparaisons et confrontations, et surtout prendre au sérieux les écrits politiques. On s’est beaucoup intéressé à l’Algérien, on oublie qu’il fut un grand européen. Historiens, philosophes et littéraires doivent travailler ensemble. Le dictionnaire ouvre des pistes. À d’autres, aux jeunes chercheurs, aux étudiants qui sont les enseignants de demain, d’écrire la suite.

Il n’y a plus d’inédits majeurs depuis la publication de la nouvelle « Pléiade ». À peu près toute l’œuvre est aujourd’hui accessible. Reste à éditer une correspondance générale de Camus. C’est là le prioritaire chantier à ouvrir. On n’a jusqu’ici publié que ses échanges avec Jean Grenier, Pascal Pia et René Char.

Le dictionnaire est un succès de librairie. Plus largement, les œuvres de Camus trouvent un nouveau public. Comment expliqueriez-vous ce regain de succès ? En quoi Camus est-il actuel ? N’est-ce pas au risque de certaines réductions ou déformations de sa pensée ?

En ce début de 2010, ses romans, ses essais, ses pièces même figurent en tête des ventes. Ce succès n’est pas nouveau. Camus est sans conteste l’auteur français du vingtième siècle dont l’audience mondiale est la plus grande. Selon les époques, on le lit différemment. Il éclaire le présent. La camusmania actuelle s’explique. Camus comble un vide. Il n’existe aujourd’hui aucun écrivain ou penseur qui soit aussi une conscience morale et politique ; on a des bateleurs et des bricoleurs qui occupent les média. Les détracteurs de Camus ont pris un profil bas. Leur dernier carré où voisinent Badiou et Bergé est pitoyable.

La camusmania comporte des risques de captation et de détournement. Camus au Panthéon : qui ne souscrirait pas à cette idée ? L’écrivain, le penseur, le citoyen en sont dignes. Mais il a préféré reposer dans un cimetière ensoleillé de Provence. Sa tombe est modeste. Ses lecteurs, des républicains espagnols, des militants s’y recueillent ou la fleurissent. Lourmarin est son Colombey. La froide crypte du Panthéon serait une prison pour ce Méditerranéen.

Notre hyperprésident narcissique et survolté est l’ami des milliardaires, il aggrave les inégalités et attise les haines. Sa politique de régression sociale prend le contre-pied des valeurs et des conceptions de Camus. Il suffit de lire les entrées argent, démocratie, Europe, gauche, réforme, socialisme, syndicalisme pour s’en persuader.

À propos, Nicolas Sarkozy a été le maire de Neuilly pendant vingt ans. À quelle artère, à quel édifice public de la ville a-t-il donné le nom de Camus ?

Si l’escroquerie morale d’une récupération politique, d’une « bessonisation » est possible, c’est aussi parce que la gauche démocratique dont il était proche n’a pas mis Camus au Panthéon de ses inspirateurs, passeurs et intercesseurs. Roger Quilliot n’a pas été prophète dans son parti. Il n’est jamais trop tard…
 

 
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