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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Panné/Kulka L'OURS 428
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Réflexions sur les images, la mémoire et l’imagination par JEAN-LOUIS PANNE à propos du livre d’Otto Dov Kulka, Paysages de la Métropole de la Mort, traduction Pierre-Emmanuel Dauzat, Albin Michel, 2013, 204 p, 16,50 €
article paru en première page de L’OURS n°428, mai 2013.
Le sous-titre de ce livre, « Réflexions sur la mémoire et l’imagination », nous indique quel est le projet original que le professeur d’histoire du judaïsme Otto Kulka tente, à partir de sa propre vie. Enfant déporté à Theresienstadt puis à Auschwitz, il s’interroge sur les images qui remontent dans sa mémoire lorsqu’il était prisonnier de ce qu’il appelle la « Métropole de la Mort ».
Il ne s’agit donc ni d’un récit autobiographique ni d’un témoignage, mais plutôt d’une confrontation avec les lieux revisités, des rêves récurrents, et la vie même dans cette partie de Birkenau appelée le Familienlager. Otto Kulka en comprendra l’histoire bien après par ses recherches dans les archives. Ce « camp des familles », où les déportés n’étaient pas soumis aux règles générales du camp tout en y appartenant, était destiné à camoufler la Solution finale. Pour répondre aux questions de la Croix-Rouge internationale, l’administration SS (Eichmann) avait imaginé une sorte d’opération Potemkine : une visite dans un camp où tout était faux pour faire croire que les déportés étaient bien traités. L’opération eut lieu effectivement à Theresienstad, et les émissaires de la Croix-Rouge furent si favorablement impressionnés que la visite à Auschwitz même fut abandonnée. Aussitôt, en mars 1944, le « camp des familles » fut liquidé. Otto Kulka échappe à la mort miraculeusement.
La patrie de la mort Au-delà de cette histoire, Otto Kulka essaie de faire comprendre en quoi consistait le poids de la loi de mort sur les consciences, « la loi immuable de la mort, la loi de la Grande Mort, la loi immuable qui gouverne la Métropole de la Mort » et comment, aujourd’hui encore, il vit sous l’empire de cette loi, qui est devenue pour lui une « mythique Patrie », « la patrie de la Mort ». Paysages et moments se mêlent indéfectiblement dans sa mémoire en une sorte de vertige, et l’on songe à l’extraordinaire récit introspectif de W. G. Sebald : Austerlitz. Nous voici aux frontières de la conscience et de l’imaginaire. Comme Sebald, Otto Kulka a choisi des photographies prises par lui, extraites d’archives ou de collections, pour permettre une approche visuelle de son propos, rendre une atmosphère. Et s’il se tourne vers Kafka, celui de La Colonie pénitentiaire, ce n’est pas pour établir de vains parallèles, mais pour comprendre son propre destin au travers des situations symboliques et les métaphores dont l’écrivain praguois, son compatriote, a eu le génie. D’épisodes aussi étranges que véridiques conservés dans sa mémoire, Otto Kulka cherche à montrer la vie ordinaire dans ce camp, la création même, la découverte de la culture. C’est au camp qu’il fut initié à Dostoïevski, Shakespeare, à Beethoven et Mozart – il participe au chœur organisé par Emmerich Acs qui chante L’Hymne à la joie à deux pas des crématoires. On voit que la capacité d’émotion des déportés devant la mort reste intacte, et leur désir de vengeance aussi comme en témoignent les beaux poèmes de Dan Pagis, d’une haute élévation morale, reproduits ici.
La beauté Autre sentiment, la beauté : « De petits aéroplanes argentés portant les salutations de mondes lointains traversent lentement l’azur alors qu’autour d’eux explose ce qui a tout l’air de bulles blanches. Les aéroplanes passent et les cieux restent bleus et délicieux, et très loin, très loin en ce jour d’été, de lointaines collines bleues, comme si elles n’étaient pas de ce monde, font sentir leur présence. L’Auschwitz de ce garçon de onze ans. Et quand […] celui qui enregistre cela aujourd’hui, se demande – et il se le demande souvent : quels paysages d’enfance t’ont laissé le plus beau souvenir, où t’échappes-tu dans la poursuite de la beauté et de l’innocence des paysages de ton enfance, la réponse est : vers ce ciel bleu et ces aéroplanes d’argent, ces jouets, et le calme et la tranquillité qui paraissaient exister tout autour ; parce que je n’ai rien assimilé que cette beauté et ces couleurs, et elles sont donc restées imprimées dans ma mémoire. »
Ce livre appelle à la méditation et à la réflexion – il est périlleux d’en conclure quelque chose de définitif parce qu’il garde comme un mystère qui ne se laisse approcher que patiemment, avec grande humilité, au prix de nouvelles lectures.
Jean-Louis Panné
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