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Grunberg / Institutions / Chapuis / L'OURS 435
Institutions, la schizophrénie socialiste
par ROBERT CHAPUIS

à propos du livre de Gérard Grunberg, La loi et les prophètes. Les socialistes français et les institutions, CNRS Editions 2013 315 p 25 €

Article paru dans L’OURS n°435, page 8

Le sous-titre du livre – « Les socialistes français et les institutions politiques » – est sans doute plus explicite que le titre. Gérard Grunberg poursuit ainsi sa réflexion – souvent partagée avec Alain Bergounioux – sur le rapport des socialistes au pouvoir.


Les institutions sont la forme que se donne un pouvoir pour durer. Elles définissent un régime : monarchique, oligarchique, démocratique, mais elles empruntent souvent des caractéristiques de l’un ou de l’autre : le despotisme peut être éclairé par une constitution, la république peut être parlementaire ou présidentielle… En recherchant la logique propre aux socialistes à l’égard des institutions, Gérard Grunberg montre bien que rien n’est simple ! « L’esprit des lois », cher à Montesquieu, dépend largement des prophètes qui entendent le proclamer ! Partant des origines au début du XIXe siècle, pour terminer un an après l’élection de François Hollande, l’ouvrage constitue une fresque impressionnante des contradictions auxquelles ont dû faire face les socialistes français et qui les ont aussi traversés.

Des origines extra-parlementaires

Au départ, le socialisme ne se pose pas la question des institutions. Dans sa version utopique (à la suite de Saint-Simon), elles doivent laisser place à des formes d’organisation liées à la nouvelle société, constituée (au sens fort du terme) par la science et l’industrie. Dans sa version scientifique, elles doivent être renversées pour que la dictature du prolétariat permette de créer une société libérée de ses chaînes. Au capitalisme succèdera le socialisme : telle est la loi d’une évolution qu’il s’agit soit de précipiter, soit d’accompagner. Le mouvement ouvrier doit se tenir à l’écart du pouvoir pour préparer, voire préfigurer la révolution socialiste. La Commune de Paris en 1870-71 est l’expression la plus forte de ce combat qui a, en France, une particularité : il se relie au courant jacobin de la Révolution française qui s’est défini à travers la Constitution de 1793, rapidement balayée par la réaction thermidorienne.

Les socialistes français sont ainsi marqués par deux traditions : celle d’une critique sociale fondée sur l’antagonisme des classes liées au développement économique du capitalisme industriel, et celle de l’héritage jacobin, qui nourrit le combat républicain. Jaurès est tout à fait emblématique de cette dualité, qui devient rapidement une ambiguïté. Pour lui, le Parti socialiste n’est pas seulement l’expression d’une classe comme pour Marx, il est celle du peuple lui-même, comme jadis le prétendait le club des jacobins. C’est en lui que se trouve l’âme du combat prolétarien, qui doit conduire à l’harmonie universelle. C’est donc lui qui constitue le seul pouvoir qui compte car, comme le résume Grunberg « c’est d’un processus de libération collective de nature révolutionnaire et non d’une constitution “froide” que la liberté véritable naîtra ».

Et pourtant Jaurès sera un grand parlementaire, car il faut bien assurer une transition et renforcer la base et l’influence du parti. La République donne un cadre qu’il faut préserver. C’est l’une des différences entre Jaurès et Jules Guesde : pour ce dernier, le parlement est une institution bourgeoise qu’il faut tenir à distance, pour Jaurès, c’est un lieu qu’il faut occuper au service de la cause ouvrière. Ce débat marque toute la période de 1875 à 1920. En Allemagne, le SPD fera le choix de l’engagement électoral, de la requête du suffrage universel dans la perspective du pouvoir. En France, l’important sera de réunir les deux courants du socialisme dans la SFIO de 1905. La révolution soviétique de 1917 percute ce parti de plein fouet, en révélant « les faiblesses et les ambiguïtés de la synthèse jauressienne qui en réalité était davantage une juxtaposition de positions opposées qu’une véritable synthèse doctrinale ». Au congrès de Tours, la grande majorité des militants va rejoindre la IIIe Internationale et constituer le parti communiste français.

Le choix parlementaire

À partir de 1921, la SFIO tente de se relever en assurant son développement parlementaire mais les ambiguïtés subsistent. Léon Blum les maintient, parlant révolution tout en soutenant un programme de réformes car il cherche toujours à rétablir l’unité des socialistes. Son parti sera au cœur du Front populaire, mais il se divisera entre ceux qui cèderont à la pression fasciste, ceux qui se rallieront à Pétain au nom du pacifisme et ceux qui défendent la démocratie et la République, au péril de leur vie. Daniel Mayer reconstituera un parti fidèle à l’idéal socialiste à travers la Résistance, et ensuite Guy Mollet va guider le parti à travers les méandres de la IVe République.

À cette époque, la question institutionnelle c’est d’abord celle de l’instabilité gouvernementale. Déjà Blum s’était inquiété de ce vice du parlementarisme. Mais, disait-il, « pour éviter les crises ministérielles, la première condition est de lutter contre la crise économique ». Les autres conditions concernent l’organisation des partis et la moralité de la vie publique. Guy Mollet concentre son action sur le contrôle du parti et son insertion dans le système parlementaire, tout en développant un discours fidèle à la tradition socialiste : pour l’alternative au capitalisme et la nécessaire unité « prolétarienne ». Avec le Parti communiste, il faut mener le débat idéologique, sans concession, et s’inscrire dans la constitution telle qu’elle est, en utilisant les moyens qu’elle fournit. En matière institutionnelle, la seule avancée sera celle du contrat de législature, sur un mandat de cinq ans, tel que le préconisait Vincent Auriol.

L’enjeu présidentiel

En 1958, Guy Mollet s’efforcera d’obtenir un compromis avec de Gaulle pour « un parlementarisme raisonné ». C’est sur cette base que la SFIO appelle à voter oui, à la différence (et à l’encontre) du Parti communiste. La révision de 1962, avec l’élection du président au suffrage universel, fera l’effet d’une trahison. Les socialistes vont alors se diviser entre ceux qui s’en tiennent au compromis de 1958 et ceux qui, avec le club Jean Moulin, veulent s’appuyer sur l’élection présidentielle pour accéder au pouvoir. Les premiers, avec Guy Mollet, sont prêts à voter pour Pinay ou tout autre (ce sera l’UDSR Mitterrand en 1965…) pour marquer leur refus du présidentialisme. Les seconds s’embarqueront avec Gaston Defferre à la recherche d’une grande fédération capable de s’opposer à de Gaulle : ils finiront dans une impasse. Le mouvement de Mai 68 signera l’échec de la FGDS, mais la tentative d’un duo Defferre président / Mendès France premier ministre échouera tout autant aux élections de 1969. C’est la fin de la SFIO, incapable de choisir son mode d’immersion dans les institutions de la République. Au dualisme des débuts entre révolution et dictature du prolétariat ou conquête électorale et majorité parlementaire en a succédé un autre : priorité au parlement ou priorité au président pour gouverner la France. La réponse de la SFIO – qui devient alors le Parti socialiste (PS) – au référendum de 1969 montre bien la contradiction où s’enferment les socialistes : alors que la question posée rejoignait certaines de leurs positions (réforme du Sénat et régionalisation), il fallait répondre non contre le risque de plébiscite. On sait ce qu’il advint…

En 1971, s’ouvre une nouvelle période, celle du « compromis mitterrandien ». Elle s’achèvera en 1995 avec la victoire de Jacques Chirac. Pour Grunberg, François Mitterrand « fut le seul leader politique de gauche à comprendre non seulement l’importance décisive de la révision de 1962 mais aussi les conditions politiques à réunir pour utiliser les institutions dans la perspective de la conquête du pouvoir ». Prenant en mains le Parti socialiste lors du congrès d’Epinay, appelant à l’union de la gauche dans une sorte de rappel symbolique du Front populaire, Mitterrand réussit à la fois à développer une conception libérale de la vie publique et à faire accepter la Constitution de la Ve République. Mais, constate Grunberg, « en s’emparant du pouvoir dans la Ve République, le Parti socialiste a été conquis par elle… Dans la bataille qui opposait depuis l’instauration du régime, les socialistes aux institutions, ce sont celles-ci qui l’ont finalement emporté ».

La dernière période de 1995 à 2012 n’offre pas de novation significative à ce point de vue. Lionel Jospin, dans la cohabitation, veut redonner son rôle au Parlement, mais c’est lui qui pousse en 2000 à l’inversion du calendrier électoral en voulant que l’élection présidentielle précède les législatives. Il en sera lui-même victime en 2002 et la gauche avec lui. C’est bien le signe que les socialistes ne peuvent plus se définir autrement que dans le système présidentiel. Il y aura bien une minorité pour prôner l’instauration d’une VIe République, mais ceux-là seront les premiers à préconiser des primaires pour choisir le candidat aux présidentielles ! Décidément, « la schizophrénie socialiste », comme l’indique Grunberg, est toujours à l’ordre du jour.

Quelle démocratie ?

À ce récit historique, l’auteur ajoute quelques considérations plus personnelles. Il a salué au passage la tentative du « socialisme autogestionnaire » qui renvoie la question du pouvoir et celle des institutions à la société civile, aussi bien pour sa mise en mouvement que pour ses formes d’organisation. Il a souligné les rapprochements entre cette orientation et la volonté de développer une démocratie participative à côté, voire à la place d’une démocratie représentative. Mais pour lui, ce qui est en cause, c’est le système des partis où se sont enfermés les socialistes. Au parti-classe cher à Jaurès comme à Jules Guesde, a succédé un parti-peuple qui à travers le régime parlementaire est devenu un parti des élus : au temps de la IVe République les partis étaient faits par et pour les élections. Avec la Ve, c’est la même chose, sauf que la compétition est principalement « présidentielle ». Ne faudrait-il pas passer de la démocratie des partis, à « la démocratie du public », ce que d’autres appellent la démocratie d’opinion, dont la frénésie sondagière donne une image assez caricaturale ? Cette perspective est plus un constat qu’une préconisation. Elle montre en tout cas qu’en politique, on ne peut pas faire l’impasse sur la question des institutions. Pour la droite conservatrice, c’est évidemment plus simple. La gauche, elle, doit à la fois innover et s’adapter : il y faut alors des hommes ou des femmes capables de s’imposer, tout en faisant face aux exigences économiques et sociales de la période. Peu de personnalités en sont capables !

Les socialistes y ajoutent une autre exigence : celle d’un projet de société dans un monde globalisé où le rapport de force n’est aujourd’hui guère favorable aux forces de progrès. Le témoignage de ceux qui ont fondé le mouvement socialiste doit nous encourager dans cette ambition. À travers le livre de Gérard Grunberg, grâce à la documentation considérable qu’il a su réunir, c’est ce qui finit par ressortir. Les socialistes, au-delà de leurs ambiguïtés, ont su garantir l’avenir de la République et faire voter des lois qui ont favorisé la justice sociale. Aujourd’hui, il leur faut clarifier leur conception de la démocratie et des institutions qui la font vivre. Le livre de Grunberg nous rappelle que, pour trouver de bonnes réponses, il faut d’abord savoir poser les bonnes questions.
Robert Chapuis
 

 
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