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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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Dreyfus/Savy/399
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Les juifs dans la littérature romantique par Michel Dreyfus
à propos de Nicole Savy, Les juifs des romantiques. Le discours de la littérature sur les juifs, de Chateaubriand à Hug , Belin, 2010, 254 p, 23 €
Article paru dans L’OURS, n°399, juin 2010, p. 5
Au-delà de ses mérites spécifiques, une oeuvre littéraire est souvent un excellent témoin de la société dont elle est issue. Sur la base de ce constat, Nicole Savy, spécialiste de la littérature romantique et notamment de Victor Hugo, signe un livre remarquable sur la vision des Juifs présentée par la littérature et la poésie romantique.
Contrairement à une idée trop souvent répandue, le romantisme français ne s’achève pas en 1848, même si l’échec rapide de la Seconde République ouvre une période de désenchantement dans ce courant littéraire ; le romantisme se poursuit en effet jusqu’à la mort de Victor Hugo en 1885. C’est donc pratiquement l’ensemble du XIXe siècle qui est concerné par cette enquête. Comme on le sait, la France a été, en 1791, le premier pays au monde à émanciper les juifs. Dès lors, ils se sont intégrés dans la société au point de devenir, à partir de la chute du Second Empire, ces « fous de la République » décrits par Pierre Birnbaum (Histoire politique des juifs d’Etat de Gambetta à Vichy, Seuil, 1992).
De nombreux stéréotypes Cette émancipation et cette intégration progressive ne se sont pas faits pour autant de façon linéaire et elles ont rencontré au contraire de nombreuses oppositions. La littérature romantique rend compte de ces dernières à travers de nombreux stéréotypes. Mais elle ne le fait jamais de façon monolithique et Nicole Savy en montre au contraire toute la diversité sur la base de multiples exemples. Tout s’organise d’abord à travers la réception et l’utilisation d’une vaste production littéraire, allant de Skakespeare (Le Marchand de Venise) à Walter Scott. Dans la France catholique du début du XIXe siècle, il existe en effet un anti-judaïsme chrétien qui remonte au Moyen Age, pour qui les juifs « déicides » constituent un corps étranger à la patrie et spécialisé dans les métiers du commerce et de l’usure. Nicole Savy montre combien les romantiques sont fortement influencés par cet héritage intellectuel. Puis à partir des années 1820, les premiers pas de l’émancipation des juifs coïncident avec les débuts de la révolution industrielle et aussi l’apparition des idées socialistes : Saint-Simon, Fourier, Proudhon mais aussi Alphonse Toussenel qui occupe une place essentielle dans la construction d’un antisémitisme à gauche. Dès lors se développe, à gauche comme à droite, un antisémitisme assimilant le capitalisme et son essor à une affaire juive. Il se produit alors un « effet Rothschild » dont on trouve des illustrations, d’ailleurs très diverses, chez Chateaubriand, Alfred de Vigny ou Delphine de Girardin ; toutefois, d’autres écrivains – Stendhal et davantage encore Alexandre Dumas – ont une vision des juifs beaucoup plus positive. Cet antisémitisme romantique va souvent de pair avec la passion pour l’Orient, si forte dans ce courant littéraire de 1810 à 1850, comme on le voit chez Lamartine et Théophile Gautier ; Edward Saïd avait déjà pointé ce lien entre antisémitisme et orientalisme dans son grand ouvrage(1). Nicole Savy traite aussi du stéréotype du juif errant, figure extrêmement populaire au XIXe siècle. On le trouve chez Chateaubriand, Edgar Quinet, mais aussi de façon positive chez Eugène Sue qui s’en prend fondamentalement aux Jésuites ainsi que chez Alexandre Dumas.
À partir des années 1860, la montée de la pensée racialiste, qui devient prédominante deux décennies plus tard, suscite un antisémitisme nouveau qui n’est pas sans influencer certains. Mais pas tous. George Sand a manifesté toute sa vie un « anti-judaïsme d’humeur » qui ne lui a pas posé de problèmes ; toutefois Nicole Savy souligne que cet état d’esprit s’est atténué dans ses dernières œuvres.
Balzac et Hugo Pour finir, deux chapitres passionnants sont consacrés à ces deux géants de la littérature que sont Balzac et Hugo. Nicole Savy dresse tout d’abord un tableau des relations entretenues entre Balzac et le baron de Rothschild. Puis, tout en pointant les expressions d’anti-judaïsme qui existent parfois chez le romancier, elle montre combien les juifs – une trentaine sur les quelques 2 500 personnages de La Comédie humaine – y jouent un rôle complètement différent de celui présenté alors généralement dans la littérature. En effet, chez Balzac les juifs ne sont pas des personnages isolés et ils ne constituent pas des communautés closes sur elles-mêmes. Vivant dans les mêmes milieux que les chrétiens, ils appartiennent, comme eux, à la société et à ses différentes classes ; de plus leur religion est totalement absente de l’univers balzacien. Ils partagent donc tout, richesse ou pauvreté, amours, honneurs. Balzac cède peut-être au stéréotype quand il fait souvent des juives de grandes courtisanes (Coralie dans Illusions perdues, Esther, dans Splendeurs et misères des courtisanes). Sur ce plan, il est permis de se demander s’il ne reprend pas à son compte « la division sexuelle du stéréotype », étudiée par Nicole Savy dans un chapitre spécifique de son livre. Dans cette vision des choses, toutes les juives seraient particulièrement belles. Il y a là un thème fort répandu en ce premier XIXe siècle, comme en atteste le succès, en 1835, de La Juive, l’opéra de Scribe et Halévy. Jean Paul Sartre pointera, un siècle plus tard, la permanence du thème de la « belle juive (2) ». En revanche, ni Gobseck ni le baron de Nuncingen, ces « grands juifs » de La Comédie humaine, ne cèdent au stéréotype, dans la mesure où leur passion principale, l’argent, est transcendée par une autre passion : l’attention aux autres chez Gobseck, l’amour chez Nuncingen. Ainsi, loin de reproduire le stéréotype, Balzac « met à mal le principe d’altérité qui [le] fonde » car il situe les juifs dans la société, exactement comme il le fait pour tous ses autres personnages.
Enfin, si l’on trouve quelques traces d’antisémitisme chez le jeune Hugo, Nicole Savy montre aussi, toujours avec rigueur, comment il « rencontre » les juifs dans son voyage en Allemagne en 1842, puis combien, à partir de son exil (1851), sa pensée s’infléchit dans un sens de plus en plus républicain sur cette question comme sur bien d’autres. Dès lors, Victor Hugo tire les leçons de 1789 : les droits de l’individu sont universels et égaux pour tous. Après son retour en France, Victor Hugo va plus loin encore puisqu’en 1882, il s’élève contre les pogroms survenus en Russie. Il le fait en s’adressant au monde civilisé et non pas au Tsar : il fait appel au droit, à la justice et non plus à la charité. En prenant ainsi position, Victor Hugo, qui a défendu et continue de le faire des causes telles que l’abolition de la peine de mort, l’égalité des femmes et la liberté des peuples, invente un rôle social nouveau, celui de l’intellectuel engagé qui choisit d’intervenir dans le débat politique par une prise de position publique. Et ce, une grande décennie avant les débuts de l’Affaire Dreyfus, seize ans ans avant la création de la Ligue des droits de l’homme. On ne relira jamais assez Victor Hugo, on ne dira jamais assez la profondeur et la modernité de ses engagements. Pour cette relecture de Balzac et de Hugo mais aussi pour tout ce que nous apprend Nicole Savy, il faut absolument lire son livre passionnant, un livre qui donne envie de lire encore davantage
Michel Dreyfus
(1) Edward W. Saïd, L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Seuil, 1978.
(2) Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive, Gallimard, 1954. |
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