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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE |
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C. Chevandier / Le Chartisme
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Le Chartisme, l’irruption des ouvriers, par CHRISTIAN CHEVANDIER
à propos du livre de Malcom Chase, Le Chartisme. Aux origines du mouvement ouvrier britannique (1838-1858), Traduction de Laurent Bury, Préface de Fabrice Bensimon, Publications de la Sorbonne, 2013, 486 p, 28 €
article paru dans L’OURS n°433, décembre 2013, page 8.
Quand la classe ouvrière anglaise prend son destin en mains.
Margaret Thatcher et ses successeurs au 10, Downing Street risqueraient de nous le faire oublier : le mouvement ouvrier anglais a eu le rôle fondateur que lui permettait la timide démocratie britannique de la première moitié du XIXe siècle et une conjonction d’éléments économiques favorable. Heureusement, les historiens sont là pour nous le rappeler, car les éditeurs n’ont pas toujours la timidité qu’ils ont parfois manifestée dans ce domaine.
Travaux et traductions Publié en 1963, le livre fondateur d’Edward P. Thompson, The Making of the English Working Class, avait du attendre un quart de siècle pour qu’une traduction en soit publiée par l’École des hautes études en sciences sociales dans une coédition Gallimard/ Le Seuil. Cela avait permis à deux générations d’historiens français du travail de le découvrir dans son écriture originale mais sans doute dissuadé de nombreux lecteurs. Le livre a été réédité au printemps 2012, dans une édition de poche, Points-Seuil, augmenté d’une longue et précieuse préface de François Jarrige. Réjouissons-nous également que soit mis un terme aux difficultés qu’a longtemps eues un lecteur francophone à accéder aux travaux si riches de Robert Owen grâce à la publication d’essais rédigés entre 1812 et 1816 (Robert Owen, Nouvelle vision de la société, Ateliers de création libertaire). Et sur le monde ouvrier anglais au milieu du siècle, n’oublions pas, toujours à notre disposition, l’ouvrage de 1844 de Friedrich Engels dont Karl Marx, et on peut lui faire confiance, estimait qu’il était le meilleur, Die Lage des arbeitenden Klasse in England (La Situation de la classe laborieuse en Angleterre), qui par la crudité d’une observation bien mise en perspective surclasse les enquêtes des réformateurs sociaux français qui étaient ses contemporains.
La Charte du Peuple Mais il est un phénomène politique britannique essentiel, à la fois original et prometteur, significatif de l’engagement des milieux populaires dans des démarches sophistiquées d’émancipation, qui est relativement peu connu en France, le chartisme. Ce fut l’adoption de la « Charte du Peuple » en 1838 qui lança un mouvement parvenant à cristalliser d’abord des revendications politiques. Dans l’Angleterre qui s’industrialisait très rapidement et dans un contexte de plus en plus urbain, avec des villes industrielles et ouvrières comme il n’en avait jamais existé, mais aussi sous l’influence des idées révolutionnaires venues d’outre-Manche, se développa un mouvement ouvrier aux pratiques d’autant plus exacerbées que la violence sociale était fort prégnante. La mise en place d’un système électoral censitaire, avec l’adoption en 1832 du Reform Act, venait alors d’entériner l’élimination du corps électoral des milieux populaires. En réaction à ce principe, une des principales revendications fut l’adoption du suffrage universel (masculin, ne tombons pas dans l’anachronisme !). Mais la réflexion allait bien au-delà, puisque les chartistes posaient la question du contrôle de leurs représentants, notamment par le renouvellement annuel de leur élection, également par une rémunération qui éviterait que la Chambre des Communes ne soit formée que de membre des classes les plus riches. Ce mouvement, dans lequel s’impliquaient en nombre les artisans et ouvriers, a marqué par des grèves considérables la grande crise économique des années 1840 qui, en France d’abord puis dans de nombreux pays d’Europe, conduisit au Printemps des Peuples de 1848. Mais il présentait également bien des traits que l’on retrouva dans le mouvement ouvrier tout au long des XIXe et XXe siècles, comme la lutte contre l’alcoolisme considéré comme un poison diffusé dans le monde ouvrier par le patronat. Sur un temps assez long, la pratique des rassemblements (meetings) contribua à l’apprentissage d’une démocratie d’autant plus consciente que, pour former des individus libres et responsables, les chartistes accordaient une place de choix à la culture et au savoir. C’est ainsi qu’était promue, dans la continuité de ce qui avait été fait à New Lanark par Owen, une éducation considérée comme émancipatrice, concernant aussi bien les filles que les garçons et d’où la violence physique si habituelle dans l’Angleterre de la reine Victoria était bannie. Au plus fort de son action, la pétition au Parlement de 1842, ce furent plus de trois millions d’hommes et de femmes qui se sont mobilisés, en faisant un des mouvements les plus massifs de l’Europe du XIXe siècle.
Vies de chartistes Chaque chapitre, ou presque, se termine par une biographie, jusqu’au onzième qui est entièrement consacré aux « vies chartistes ». C’est une des qualités de cet ouvrage que de ne pas se limiter à une histoire politique désincarnée, démarche d’autant plus méritoire que pour la plupart des acteurs du mouvement les sources sont souvent lacunaires. Elles sont en revanche abondantes à propos du « plus célèbre des Irlandais d’Angleterre », Feargus O’Connor, un de ces « missionnaires » (c’est le terme qui était employé) envoyés par les chartistes hors de leurs villes pour convaincre les autres bourgades, devenu la principale personnalité du mouvement et élu à la Chambre des Communes en 1847. Sa notoriété continua au-delà même de la mort puisqu’après une fin de vie marquée par la démence et la misère, une souscription permit d’organiser des funérailles qui furent, en 1855, la dernière grande manifestation chartiste : plusieurs bannières proclamaient derrière le corbillard : « Il mourut et vécut pour nous ». Ce long moment de la mobilisation politique et sociale des Anglais a été étudié par de nombreux auteurs. Mais le seul livre disponible en français sur le chartisme, dû à Édouard Dolléans, avait été publié en 1913. C’est une des raisons pour lesquelles l’initiative des Publications de la Sorbonne de traduire et éditer l’ouvrage de Malcom Chase six ans seulement après sa sortie aux Presses universitaires de Manchester est particulièrement appréciable.
Christian Chevandier
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