Durant la phase préparatoire du 80e congrès socialiste de janvier 2023, trois textes d’orientation ont été déposés : « Refonder-Rassembler-Gouverner » porté par Hélène Geoffroy, « Gagner » par Olivier Faure et « Refondations » par Nicolas Mayer-Rossignol1. Ils prônent tous la refondation du PS dans une gauche en recomposition après la séquence électorale du printemps 2022. Ce thème n’est pas nouveau dans l’histoire du socialisme français2. Lors des crises que la gauche a connues sous la Ve République, le thème de la refondation est remis sur le métier. Comment les responsables socialistes ont-ils cherché à adapter la doctrine et l’appareil partisan depuis les débuts de la Ve République ? Cet article propose de revenir sur ces moments.
1958-1981 : la reconstruction de la gauche et la conquête du pouvoir
Retour en arrière. Le retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958 accélère l’émiettement de la gauche à l’œuvre depuis la guerre d’Algérie3. La réforme constitutionnelle de 1962 participe aussi au changement de la donne politique. Parti sur le déclin4, la SFIO de Guy Mollet tente alors de se rénover5.
Convaincus que l’organisation est affaiblie par l’insuffisance de son travail intellectuel, Jules Moch6 et Georges Brutelle lancent des groupes de réflexion. Le Groupe d’études doctrinales dirigée par Jules Moch tente de rénover la doctrine de la SFIO entre 1958 et 1962. Les colloques Brutelle, dirigés par celui qui est alors secrétaire général adjoint de la SFIO7, réunissent les leaders politiques, syndicaux et associatifs de la gauche non communiste8 ainsi que des intellectuels en 1963-1964. Il s’agit de réfléchir au corpus idéologique et aux structures d’une future organisation qui permettrait de regrouper les socialistes et de réunir la gauche lors des échéances électorales à venir. Ces deux initiatives sont vouées à l’échec. Le secrétaire général soucieux de conserver son hégémonie sur la « vieille maison », fondée notamment sur le respect de l’orthodoxie marxiste, refuse que sa domination soit remise en cause9. Il souhaite, pour sa part, un parti « dur, pur, batailleur, agressif, conquérant, repartant à la conquête des esprits et des cœurs »10. Afin d’atteindre cet objectif, Guy Mollet ouvre alors deux chantiers : le dialogue idéologique avec le PCF et une commission de rénovation des structures de la SFIO. Néanmoins, l’ouverture à gauche reste une promesse lointaine, le PCF demeure dans les années 1960 « un groupe de référence négatif » pour les socialistes11. Quant aux travaux de la commission quels qu’en soit la qualité, ils restent soumis à l’approbation du congrès du parti dominé par les partisans du secrétaire général attachés à la tradition socialiste12.
Le jeu socialiste se retrouve bousculé par la candidature de Gaston Defferre à l’élection présidentielle de 196513. Adoubé en février 1964, le candidat se lance dans une campagne audacieuse. Sans attaquer directement Guy Mollet, il souhaite remettre en cause la domination du marxisme sur la SFIO. Gaston Defferre veut aussi ouvrir le parti sur la société et sceller une alliance avec la droite non-gaulliste. Au printemps 1965, il lie la poursuite de sa candidature à la réussite des négociations préparatoires à la création de la Fédération démocrate socialiste14. Le maire de Marseille fait peser sur Guy Mollet et ses proches la responsabilité de l’échec des discussions de juin 1965. Si le secrétaire général a sa part de responsabilité pour faire échouer la candidature du maire de Marseille, les désaccords politiques (place de l’Etat dans l’économie, laïcité…) et stratégiques (rapports avec le PCF…) entre les formations engagées dans les discussions restent trop importants pour qu’ils puissent se rapprocher sur le long terme.
Le retrait du candidat socialiste n’entraîne pas une rupture des contacts entre les organisations de gauche, principalement le Parti radical et la Convention des institutions républicaines (CIR). Les discussions se poursuivent à l’été 1965 à l’initiative de la Cité Malesherbes. La Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) est créée en septembre concomitamment à l’annonce de la candidature de François Mitterrand. La mise en ballottage du général de Gaulle en décembre 1965 en fait le leader de facto des socialistes. Il prend la tête de la FGDS fraîchement créée et se lance dans une entreprise de rénovation de la gauche. La logique présidentialiste de la Ve République s’impose à la gauche qui s’était opposée à sa mise en place.
En trois ans, François Mitterrand parvient à donner un programme à la fédération (le programme du 14 juillet 1966), à talonner la majorité gaulliste par une alliance électorale à gauche aux élections législatives de mars 1967 et à approfondir les contacts avec le PCF15. Une commission de travail est également lancée afin de préparer la naissance d’un nouveau parti socialiste. Ce bel édifice est remis en cause par les désaccords des socialistes face aux évènements de mai 1968, la FGDS est dissoute quelques mois plus tard. Les rapports avec le PCF sont rompus après les évènements de Prague.
Même si la dynamique d’unification des forces socialistes connaît des soubresauts, elle n’est pas interrompue16. Des contacts sont renoués à l’automne à l’initiative de Guy Mollet. Même si la méfiance demeure entre partenaires, les perspectives d’unification demeurent. Même si la démission du général de Gaulle à la suite de la victoire du non au référendum du 28 avril 1969 et l’élection présidentielle rebattent les cartes, le PS est fondé avec à sa tête Alain Savary. Néanmoins la nouvelle organisation qui a vu se rejoindre les clubs de Savary, Poperen, et de membres de la CIR, paraît bien faible sans la présence en son sein de François Mitterrand, figure de proue médiatique des socialistes depuis 1965. La gauche est alors dominée par le PCF présent au deuxième tour de l’élection présidentielle et premier parti de gauche depuis la Libération.
Alain Savary met le parti au travail17. Il établit un programme, le Plan d’action socialiste d’inspiration marxiste18, poursuit les contacts avec les mitterrandistes et renoue le dialogue doctrinal avec les communistes. Le PS a du mal néanmoins à impulser une dynamique dans l’opinion. C’est alors que François Mitterrand saisit l’occasion. Lors du congrès d’Épinay en juin 1971, il prend la tête du parti soutenu par une majorité hétéroclite allant du CERES aux partisans de Gaston Defferre et Pierre Mauroy. Les deux ferments de cette alliance sont le rejet de la politique du premier secrétaire ainsi que la volonté de bouter hors des arcanes socialistes Guy Mollet19.
La direction rédige un nouveau programme « Changer la vie » (1972), signe le Programme commun de gouvernement (PCG) et poursuit l’œuvre d’unification en s’ouvrant à la deuxième gauche (les « assises du socialisme », automne 1974)20 Même si les échecs électoraux (élection présidentielle de 1974, élections législatives de 1978), les guerres internes entre mitterrandistes, Ceres et rocardiens et la rupture du PCG compliquent la donne, le PS devient la première force de gauche au cours des années 1970. Le nombre d’adhérents s’envole (70 939 en 1970, 213 584 en 1982).
Fort de sa position de premier secrétaire, François Mitterrand sort vainqueur du combat politique qui l’oppose à Michel Rocard entre 1978 et 1980 avec comme point d’orgue le congrès de Metz21. Il est désigné candidat socialiste à l’élection présidentielle de 1981. Il est élu le 10 mai et devient le premier homme de gauche à accéder à l’Elysée sous la Ve République. Sa victoire est due en partie au comportement erratique de la droite mais aussi au profond travail de rénovation de la gauche depuis les débuts de la Ve République.
1981-2002 : difficile de rénover à l’ombre du pouvoir
Même s’il souhaite rester un acteur indépendant du pouvoir, le PS soutient dans son ensemble la politique du gouvernement Mauroy. Néanmoins des critiques se font jour sur les mesures prises par l’exécutif. La gauche du parti ne se prive pas d’émettre des réserves sur les décisions gouvernementales, notamment à l’occasion du « tournant » de la rigueur. Le CERES continue néanmoins de soutenir l’action des socialistes. Ne faut-il pas y voir un signe de la démarxisation de ce courant22 ? Cette attitude confirme ce que l’historiographie récente a démontré : c’est la mémoire socialiste qui accorde plus de poids au tournant de 1983 que les faits ne veulent bien le dire23.
La première révision doctrinale d’ampleur a lieu au cours du deuxième septennat de François Mitterrand. Dix ans d’exercice du pouvoir et un parti divisé, les mutations du capitalisme international et la fin du monde bipolaire expliquent ce nécessaire travail de relecture du socialisme. Une nouvelle déclaration de principes est adoptée à l’unanimité à l’occasion du congrès de Rennes en mars 199024. Rompant avec la lutte des classes, le PS se définit désormais comme « un parti de transformation sociale ». Les règles du marché sont reconnues mais l’Etat et les agents sociaux doivent pouvoir « réaliser des objectifs conformes à l’intérêt général ». La déclaration insiste également sur la nécessaire intégration des populations à la société et le respect des valeurs de la République par les individus vivant sur le territoire national. Enfin la construction européenne doit permettre de « donner aux nations leur pleine efficacité »25. Dans la foulée, un nouveau projet socialiste est défini lors du congrès de l’Arche fin 1991.
La rupture avec le capitalisme ne compose plus l’horizon de la société socialiste. Il s’agit dans une veine sociale-démocrate de réguler la société et d’accorder de nouveaux droits aux individus. Le rapport au capitalisme a été très discuté lors de ces assises, les socialistes se définissent désormais dans un « rapport critique » à ce système économique dont l’existence n’est plus remise ouvertement en cause. Le temps du réformisme, à savoir la volonté de transformer la vie des plus démunis par des actions concrètes sans « renverser la table »26, est-il arrivé au PS ?
Le véritable enjeu est-il dans cette évolution idéologique nécessaire afin de s’adapter à la transformation du monde contemporain ou dans la conquête de l’appareil ? Les divisions de la majorité mitterrandienne à l’occasion du congrès de Rennes ont davantage marqué les mémoires militantes que l’adoption à l’unanimité d’une nouvelle déclaration de principes. Le temps des déchirements est (re)venu. Quelques semaines après, Laurent Fabius prend la tête du parti en remplacement de Pierre Mauroy.
Les défaites électorales (élections régionales de 1992, élections législatives de 1993), la division de l’électorat socialiste à l’occasion du référendum de Maastricht en septembre 1992 ainsi que la fin de règne chaotique de François Mitterrand (maladie, révélations sur le passé vichyste du président, affaire Urba) auront raison de l’ambitieux effort de réflexion sur l’identité socialiste. Dans cette ambiance délétère, Michel Rocard, qui s’est imposé rue de Solférino en avril 1993, prend l’initiative d’organiser les états généraux du socialisme27. Il souhaite que les adhérents et les sympathisants prennent la parole afin de mener un inventaire des politiques menées depuis 1983. Afin de répondre au besoin de renouvellement, le premier secrétaire veut définir de « nouvelles frontières au socialisme » et modifier les rapports de la gauche avec l’activité économique (semaine de travail de 4 jours) et le pouvoir28. Cet essai de rénovation est achevé de manière prématurée avec l’échec de Michel Rocard aux élections européennes de 1994. Henri Emmanuelli le remplace à Solférino.
A l’occasion du congrès de Liévin de novembre 1994, le député des Landes veut restaurer le volontarisme politique. Face à la mondialisation, le PS doit s’imposer un « devoir d’opposition » et un « devoir de critique radicale »29. Pour lui, une politique de gauche doit privilégier la redistribution des richesses afin de lutter contre la croissance des inégalités sociales.
Néanmoins la question centrale qui agite le parti est de savoir qui va se présenter à l’élection présidentielle de 1995. Du fait de sondages avantageux, Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, est pressenti par le PS. Le premier secrétaire lui demande d’être candidat même si l’ancien ministre des Finances divise les socialistes. Nombreux sont ceux qui le trouvent trop libéral. Les concurrents ne se bousculent pourtant pas au portillon. Usé par 14 ans de pouvoir et en mal de leadership, le PS n’a pas les faveurs de l’opinion.
En décembre 1994, Jacques Delors finit par renoncer du fait de l’absence de consensus autour de sa candidature. Il ne dispose pas d’un courant assez étoffé dans le parti et son tropisme pour le centre déplaît à une bonne partie des militants. En retrait du PS depuis 1993, Lionel Jospin parvient à s’imposer en janvier 1995 lors des primaires face au premier secrétaire. Sans s’opposer frontalement à Henri Emmanuelli, l’ancien ministre de l’Éducation souhaite rassembler les socialistes30. Sa défaite honorable face à Jacques Chirac en fait le leader de facto du parti. Fort de cette légitimité électorale, il redevient premier secrétaire à l’automne.
Concomitamment à l’arrivée de Jospin à la tête du PS, la Gauche plurielle dont les premiers contacts remonte à 1993, arrive à maturité31. C’est une alliance électorale qui lie les socialistes au PCF, aux Verts, aux Radicaux de gauche et au Mouvement des citoyens. Comptes tenus des divergences programmatiques, cette alliance repose sur des accords bilatéraux entre le PS et les autres forces de la Gauche plurielle. Un regard critique sur l’économie de marché et l’anticentrisme sont les pierres angulaires de cette alliance électorale. La Gauche plurielle remporte les élections législatives du printemps 1997 à la suite de la dissolution décidée par Jacques Chirac. Lionel Jospin devient alors Premier ministre. François Hollande le remplace alors à Solférino.
Lors de son passage à Matignon, Jospin veut renouer avec le réalisme de gauche tel qu’il a avait été défini au début des années 199032. Fidèle à la déclaration de l’Arche, il déclare accepter la mondialisation de l’économie et la construction européenne. L’Etat doit néanmoins protéger la société contre les excès du capitalisme : « oui à l’économie de marché, non à la société de marché » » avait déclaré le Premier ministre33. L’économie et le social doivent marcher « de pair » selon lui.
Ce rapport critique au capitalisme est contesté au sein du parti. En 2000 lors du congrès de Grenoble, les motions portées par Henri Emmanuelli et la Gauche socialiste remportent un peu plus de 27 % des voix. Malgré des réformes sociales ambitieuses (loi sur les 35 heures, mise en place de la CMU, allocation pour les personnes âgées dépendantes, l’épargne salariale…), ce réformisme assumé par le Premier ministre ne convainc pas son propre camp. Les Verts, le PCF et le MDC prennent leurs distances avec les socialistes. Ils présentent chacun un candidat face à Lionel Jospin lors de l’élection présidentielle de 2002. Celui-ci ne parvient pas non plus à convaincre l’électorat puisqu’il ne franchit pas la barre du premier tour le 21 avril. Cette éviction reste un traumatisme pour les militants.
L’expérience du pouvoir a révélé les fragilités de la coalition Gauche plurielle. Celle-ci a éclaté par l’absence d’un programme commun et sous la pression des ambitions personnelles. Quant au PS, il paraît de moins en moins en phase avec les attentes de l’opinion.
2002-2023 : quel parti pour les socialistes ?Â
Les critiques jusqu’ici restées en sourdine se font de plus en plus virulentes. Le PS est profondément divisé entre des courants qui visent à réancrer le parti à gauche quitte à remettre en cause les traités européens et à donner un rôle plus important à l’Etat dans la régulation économique et des courants plus pragmatiques, ouverts aux thèses réformistes. Cette situation est figée dans l’appareil partisan à la suite de la victoire de la motion de François Hollande de sensibilité réformiste au congrès de Dijon en 2003 et les succès électoraux du printemps 2004 (élections cantonales et régionales). Il n’en demeure pas moins que des minorités en désaccord avec la direction comme le NPS34 n’hésitent pas à prendre la parole. Ce courant veut rompre avec le social-libéralisme mené par la direction et prône une Europe sociale, fédérale et démocratique.Â
Le PS connaît un moment très difficile lors du référendum sur le traité constitutionnel européen de 200535. Souhaitant interroger les militants sur le projet constitutionnel, François Hollande organise un vote interne sur le texte en décembre 2004. Le « oui » l’emporte avec plus de 58% des suffrages contre un peu moins de 43% pour le « non ». Plus que le vote en lui-même, c’est la division des socialistes sur le sujet qui interroge. Les partisans du traité constitutionnel mettent en avant les avancées apportées par le texte au-delà des réserves qu’ils nourrissent. Les tenants du « non » souhaitent rompre avec la logique des « petits pas » prévalant dans le parti depuis le traité de Maastricht. Ils veulent mettre en place une véritable Europe sociale de nature à rapprocher la construction européenne de l’électorat populaire. Le choix clair des militants ne met pas fin aux divisions. Les partisans de l’opposition au traité constitutionnel font campagne aux côtés de la gauche antilibérale sous les yeux sidérées d’une direction qui éprouve les pires difficultés à faire respecter le vote du parti.
La victoire du « non » en mai 2005 entraîne une réflexion dans le parti quant à son futur : doit-il rester fidèle à la construction européenne même si elle est d’inspiration libérale ou se montrer plus proche d’une gauche critique dont les thèses sur l’Europe gagnent du terrain notamment dans les classes populaires ? Cependant ce travail est mis sous cloche par l’adoption d’une motion de synthèse lors du congrès du Mans en novembre, les socialistes retrouvant une unité de circonstances contre Nicolas Sarkozy, nouveau héraut d’un libéralisme très droitier. L’élection présidentielle de 2007 à venir occupe également les énergies militantes.
Sur la ligne de départ, se retrouvent Dominique Strauss-Kahn tenant d’une ligne réformiste assumée et Laurent Fabius partisan d’un socialisme étatiste traditionnel. Tous deux disposent de courants établis dans le parti. A côté de ces deux « éléphants » émerge Ségolène Royal défendant un « ordre juste » mêlant intervention de l’Etat et solutions sécuritaires de nature à rapprocher le PS des classes populaires. Celle-ci ne dispose que de peu de soutiens dans l’appareil car sa prise de distances avec certains usages du parti heurte de nombreux cadres. Néanmoins sa liberté de ton séduit les militants36. La prétendante socialiste s’impose notamment chez les encartés les plus récents. Ces derniers ont été attirés par les adhésions à 20 Euros, initiative lancée par la direction afin de transformer le PS en parti de masse.
Du fait du développement des chaînes d’information en continu, les débats sont retransmis en direct et les petites phrases fusent. Les divisions entre camarades sont exposées sur la place publique. Néanmoins Ségolène Royal parvient à s’imposer face à ses deux concurrents qui ne l’ont pas ménagée et dont le soutien durant la campagne est pour le moins timide. Elle réalise un score honorable au second tour en mai 2007 face au candidat de la droite Nicolas Sarkozy.
Malgré sa défaite, l’ex-candidate tente de capitaliser « ses » 14 millions d’électeurs afin de peser dans le parti37. Elle veut prendre la tête du parti afin de renforcer sa position politique. Inspirée par le système politique américain, l’ex-candidate souhaite mettre en place un parti de « supporters » et s’appuie à cet effet sur l’association « Désirs d’avenir »38 qu’elle a créée en 2005. Cette séquence à haute teneur médiatique ne permet pas de clarifier la situation au sein du PS : les partisans de Ségolène Royal veulent bousculer l’ordre socialiste alors que ses détracteurs agitent le spectre de la disparition de l’identité du PS. La misogynie affleure souvent dans les déclarations des « éléphants » en majorité hostiles à l’ex-candidate.
Le premier secrétaire d’alors, François Hollande, décide en juillet 2007 de repousser le congrès l’année suivante. Il s’agit de préserver l’unité des socialistes afin de préparer au mieux les élections municipales de mars 2008. Malgré le report, François Hollande fixe les trois objectifs de la rénovation socialiste : « réaffirmer les valeurs fondatrices de l’engagement socialiste, « revoir l’organisation afin de nous doter d’un instrument politique moderne et offensif » et « engager le dialogue » afin de construire un rassemblement majoritaire et cohérent39.
Afin de répondre au premier objectif, un véritable travail idéologique est mené au sein du PS afin de réécrire la déclaration de principes40. Pour de nombreux cadres, les trois défaites successives aux scrutins présidentiels doivent inviter à redéfinir le projet socialiste. Cette rénovation doctrinale est menée par l’historien Alain Bergounioux, secrétaire national aux études et regroupe toutes les sensibilités du parti : les ségolénistes, les fabusiens, les hollandais, les strauss-kahnien, les proches d’Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon.
Adopté le 14 juin, ce texte rappelle l’héritage intellectuel du socialisme : l’universalisme des Lumières et le mouvement ouvrier. La principale innovation du document est la reconnaissance du droit à l’environnement de qualité préservant les équilibres écologiques de la planète. La déclaration prône également un « nouveau modèle de développement » qui conjugue croissance économique, équilibres écologiques et solidarité sociale. Enfin, le PS rappelle son caractère réformiste, féministe et européen41. Cependant ce louable effort de réflexion ne trouve que peu d’écho auprès des militants42 et se retrouve happé par l’actualité politique qui est la préparation du congrès de Reims.
Lors de cette phase préparatoire, Ségolène Royal tente d’incarner le changement. L’ex-candidate déclare que « le modèle de la social-démocratie » est « périmé » sans proposer d’alternative claire. Elle veut également élargir la base du PS afin de former un parti de masse. Sa motion arrive en tête lors du vote des militants. Elle ne parvient cependant pas à se faire élire Premier secrétaire. Martine Aubry l’emporte avec 50,02 % contre 49,98 % non sans soupçons de fraudes émanant des deux camps. Souhaitant rompre avec l’utilisation de la motion de synthèse sous la période Hollande, la nouvelle première secrétaire appelle ouvertement au renouvellement du parti. Dénonçant l’absence de remise en cause du libéralisme chez les socialistes, Jean-Luc Mélenchon et ses proches quittent cette organisation et fondent le Parti de Gauche (PG).
L’innovation majeure de la première secrétaire est de nature institutionnelle. Il s’agit la mise en place de la primaire ouverte aux sympathisants de gauche pour désigner le candidat du parti à l’élection présidentielle de 201243. Un questionnement idéologique et politique est également mené. La première secrétaire lance la rédaction du programme socialiste pour l’élection présidentielle de 2012. Rédigé sous la direction de Guillaume Bachelay et Alain Bergounioux et présenté en avril 2011, il contient des propositions acceptées par l’ensemble des présidentiables (encadrement des salaires de 1 à 20 dans les entreprises, TVA écomodulable en fonction de la toxicité des produits, 300 000 emplois jeunes…)44. Ce travail collectif salué par les cadres ne rencontre pourtant que peu d’écho. L’organisation de la primaire à l’automne 2011 encourage en effet les candidats à prendre des distances vis-à -vis de leur organisation afin de se rapprocher d’une opinion au scepticisme croissant envers les partis politiques.
Après une campagne réussie, François Hollande remporte le scrutin et devient candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2012. N’ayant plus connu la victoire à l’élection présidentielle depuis 1988, le parti tait ses divisions et se met en ordre de bataille derrière François Hollande. La victoire de 2012 laisse penser aux socialistes que les élections primaires sont l’instrument idoine de la clarification idéologique du parti.
Les congrès suivants (Toulouse en 2012, Poitiers en 2015) ont permis à la majorité favorable à François Hollande de conserver la main sur l’organisation45. Néanmoins ces deux congrès ont vu l’émergence d’une minorité solide de gauche au sein du PS représentée en 2012 par Emmanuel Maurel et en 2015 par Benoît Hamon. La difficile expérience du pouvoir de François Hollande et de son Premier ministre Manuel Valls (2014-2017) ne fait qu’exacerber les divisions entre les tenants d’un socialisme de gouvernement en bout de course et les partisans d’un PS plus à gauche. Une fronde parlementaire s’organise au sein du groupe socialiste46. En outre, les distances prises par l’exécutif avec les codes culturels de la gauche (politique favorable aux entreprises, déchéance de nationalité) heurtent de nombreux militants.
Ces divisions explosent au grand jour lors de la primaire ouverte de 2017 dont le second tour oppose Manuel Valls et Benoît Hamon47. Finalement, c’est la ligne défendue par Hamon qui l’emporte. Une campagne tourmentée, le score médiocre du candidat socialiste à l’élection présidentielle (6,36 %), son départ du parti ainsi que celui de son ex-concurrent48 et le faible nombre de députés socialistes49 entraînent une réflexion intense face à cette défaite d’ampleur.
Le Premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, annonce sa démission en juin 2017. Le 8 juillet, une direction nationale collective (16 membres) est mise en place afin de regrouper toutes les sensibilités du parti. Des réformes d’ordre organisationnel sont mises en place afin de produire un parti plus en phase avec l’opinion et ses attentes : suppression des contributions générales remplacées par des textes d’orientation limitées à 5000 signes, élection des premiers secrétaires fédéraux en même temps que celle du premier secrétaire…Ces nouvelles règles doivent permettre selon la direction aux militants de décider dans la clarté des enjeux à venir pour leur parti. Ce questionnement sur l’organisation paraît utile en ces temps de crise (diminution drastique du nombre de militants et importance numérique des professionnels de la politique et leurs épigones). En revanche, les enjeux programmatiques sont absents des débats, les forces socialistes en présence attendent le congrès à venir de 2018 pour trancher les options idéologiques.
Lors des congrès de 2018 et 2021, c’est Olivier Faure qui est élu premier secrétaire du PS sur une ligne plutôt à gauche. Malgré ces succès électoraux internes, il semble que la direction ait du mal à impulser un renouvellement idéologique et politique au PS en dépit du travail réalisé autour de Boris Vallaud en 202150. Le PS n’est plus la force politique dominante à gauche depuis 2017, le leadership a été repris par la France Insoumise (LFI)51. Le nombre de cartes est en baisse constante52. La candidate socialiste à l’élection présidentielle de 2022 Anne Hidalgo a réalisé un score historiquement faible : 1,75% des voix.
Les détracteurs du premier secrétaire lui imputent cet effacement. Ils lui reprochent de ne pas avoir pris la tête ni de la liste aux élections européennes de 2019 ni de la liste francilienne lors des élections régionales de 2020. Néanmoins le PS reste à la tête de nombreuses collectivités locales, ancrage confirmé par les élections municipales de 2020 ainsi que les scrutins départementaux et régionaux de 2021. En outre, Olivier Faure ne s’affirmerait pas assez dans les médias et l’animation du parti. En était-il différemment lors des passages d’Harlem Désir et Jean-Christophe Cambadélis à Solférino sous la présidence Hollande ? Ce supposé effacement ne reflète-il pas la montée en puissance dans le parti de quelques élus solidement implantés qui bénéficient d’une notoriété médiatique de nature à éclipser le dirigeant d’une organisation déclinante qui a pu parfois manquer de tranchant ?
Néanmoins une éclaircie est apparue au printemps 2022 : la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (ou NUPES)53. Initiée par la France Insoumise du fait du score élevé de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, cette alliance électorale regroupe outre LFI, le PS, le PCF et Europe Ecologie Les Verts (EELV) principalement. Répondant à une aspiration profonde des militants, cette alliance s’est doublée d’un accord programmatique. Néanmoins les désaccords sur ce texte sont assumés au grand jour par les organisations membres (retraites, écologie, universités, Europe…). Le principe d’une candidature unique sous la bannière NUPES est acté lors de la signature de l’accord. Cet accord entraîne des candidatures socialistes dissidentes. Ces derniers estiment que leur légitimité sur le terrain est supérieure à celle des candidats estampillés NUPES, qui pour certains sont parachutés. Contrevenant aux statuts du PS, une procédure d’exclusion est lancée contre 79 dissidents
La NUPES permet néanmoins aux socialistes d’obtenir un nombre élevé de sièges (31) en comparaison du score très faible d’Anne Hidalgo lors du scrutin présidentiel. Les élections législatives sont perçues comme un bol d’oxygène par la direction du PS qui réactive le mythe de l’« union de la gauche »54. Néanmoins les deux rivaux d’Olivier Faure pour l’élection du premier secrétaire, Hélène Geoffroy et Nicolas Mayer-Rossignol l’ont attaqué sur l’absence de démocratie interne lors de la conclusion de l’accord. Ils demandent également la réintégration des socialistes dissidents qui ont été exclus à la suite des élections législatives. Hélène Geoffroy demande la suspension de la participation à la NUPES alors que Nicolas Mayer-Rossignol veut rassembler toute la gauche. Selon lui, le PS doit abandonner son suivisme et devenir la force motrice de ce rassemblement. Néanmoins durant la campagne, le maire de Rouen se défend de vouloir mettre fin à la NUPES.
A l’occasion du vote du 12 janvier, le texte d’orientation défendu par Olivier Faure a recueilli 49,15 % des voix contre 30,51 % pour celui défendu par Nicolas Mayer-Rossignol. Le texte d’orientation défendu par Hélène Geoffroy n’a recueilli qu’un peu plus de 20 % des voix. La participation du PS à la NUPES n’est pas remise en cause par les militants même si l’absence de démocratie interne afin d’avaliser l’accord final est souvent revenu dans les débats. Les ambitions se tournent désormais vers le contrôle de l’organisation.
Hélène Geoffroy apporte son soutien à Nicolas Mayer-Rossignol contre Olivier Faure à l’occasion de l’élection du premier secrétaire organisée le 19 janvier. Une potentielle majorité de substitution semble se mettre en place. Le scrutin du 19 janvier est très serré : 51,09 % pour Olivier Faure contre 48,91 % pour son challenger. Ce résultat est contesté par Nicolas Mayer-Rossignol et son entourage jusqu’à l’ouverture du congrès le 27 janvier. Les déchirements à l’envi des socialistes devant l’opinion publique rappellent les heures les plus sombres des congrès de Rennes (1990) et de Reims (2008)55. Néanmoins ces querelles occupent moins le devant de la scène politique et médiatique qu’auparavant, le PS n’étant plus la formation principale de la gauche.
Souhaitant afficher une unité de façade lors des assises du parti à Marseille, le PS semble se rassembler. Un « pacte de gouvernance collective et de rassemblement des socialistes » est adoptée à la quasi-unanimité. Olivier Faure est reconduit au premier secrétariat, son rival est nommé secrétaire général adjoint en compagnie de Johanna Rolland et Hélène Geoffroy devient présidente du conseil national. L’intégration de la minorité dans les instances du parti parait avoir ramener davantage de sérénité sans que le fonctionnement de l’organisation ait été un tant soit peu modifiée. Les élections des premiers secrétaires fédéraux ont garanti à Olivier Faure une majorité au conseil national56 sans que cela ne soulève de contestations particulières de la part de son rival. Le congrès passé, la question est de savoir si cet accord rend le PS gouvernable sur le long terme57.
Des divergences stratégiques ont émergé au sein de la NUPES à l’occasion du débat sur la réforme des retraites, notamment autour de l’obstruction parlementaire pratiquée par LFI. La volonté d’hégémonie de Jean-Luc Mélenchon sur la gauche est régulièrement critiquée par les cadres socialistes. Néanmoins le premier secrétaire Olivier Faure défend la participation du PS à cette coalition afin de le réancrer à gauche de manière pérenne. Cette alliance se montre très active au parlement dans son opposition au gouvernement. Les députés de l’union partagent de nombreux combats. Elle bénéficie d’une bonne couverture médiatique et invisibilise quelque peu les appareils partisans. Néanmoins les tensions sont importantes pour la constitution des listes à présenter lors des prochains scrutins (élections sénatoriales en septembre 2023, élections européennes en 2024). Ces difficultés rendent difficiles l’approfondissement des relations entre partenaires de la NUPES. La participation active du PS à cette union est régulièrement dénoncée par la minorité socialiste dont les porte-paroles sont Carole Delga (présidente de la région Occitanie-Midi-Pyrénées), Nicolas-Mayer Rossignol (maire de Rouen et président de la Métropole Rouen Normandie) et Michael Delafosse (maire de Montpellier et président de la Montpellier Méditerranée Métropole). Il s’agit d’élus locaux à l’enracinement fort.
Ces divisions ressurgissent lors d’élections partielles comme cela s’est produit en Ariège au printemps 2023 à l’occasion d’une élection législative partielle58. En juin 2022, Bénédicte Taurine avait été élue sous la bannière NUPES mais ce scrutin a été annulé. Dans cette circonscription, le PS local avait soutenu Martine Froger éliminée au premier tour puis suspendue par la direction nationale pour dissidence. A l’occasion de l’élection partielle, le second tour voit s’opposer la députée sortante et Martine Froger. Lors de la campagne, cette dernière a reçu le soutien de la majorité présidentielle ainsi que de la droite. Les divisions s’exacerbent dans les jours qui suivent l’entrée au Palais Bourbon de Martine Froger59. Selon la candidate NUPES, ce succès doit être attribué à la droite. Partisan de cette alliance, Olivier Faure évoque une « victoire à la Pyrrhus » obtenue grâce à l’appui de Renaissance et des ex-socialistes passés dans le camp présidentiel. Pour leur part, les soutiens de la nouvelle députée fustigent la soumission du PS à Jean-Luc Mélenchon.
Cette élection partielle cristallise les divisions socialistes au sujet de la NUPES. Les uns y voient la possibilité de créer une dynamique politique sans aucune compromission avec le centre ; cela permettrait de repositionner le PS à gauche loin des affres du social-libéralisme représenté par François Hollande60 et celui qui est présenté comme son épigone, Emmanuel Macron. Quant aux adversaires de la NUPES, la gauche républicaine doit se reconstruire en laissant de côté l’extrémisme tout en se montrant ouvert à l’exercice du pouvoir. Ils ont été rejoints dans leur combat par d’anciens responsables du PS comme François Hollande, Stéphane Le Foll61 et Bernard Cazeneuve. L’ancien Premier ministre a lancé le 10 juin le mouvement La Convention qui veut défendre un socialisme réaliste et européen62. Mais ces initiatives personnelles parviendront-elles à s’agréger dans un collectif afin de proposer une alternative crédible à la nouvelle union de la gauche ?
Finalement avec cette division entre socialistes pro-NUPES et anti-Nupes, n’est-on pas dans une nouvelle version du dilemme chronique du socialisme français entre ceux qui visent l’idéal sans transiger sur les valeurs et ceux qui souhaitent « changer la vie » tout en prenant en compte le réel63 ?
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La rénovation socialiste depuis 1958 a revêtu différentes finalités selon les périodes. Entre 1958 et 1981, il a fallu adapter la doctrine et le parti à la configuration politique de la Ve République. Après les tâtonnements des années 1960, le renouvellement a abouti dès que les socialistes ont trouvé un chef incontesté : François Mitterrand. Ce dernier a su mettre en place un programme, poursuivre le rassemblement des socialistes et mettre en place l’union de la gauche. Dans l’organisation, il a su promouvoir de nouveaux responsables. Malgré des soubresauts, le PS d’Épinay a pu conquérir le pouvoir en 1981.Â
Durant la période 1981-2002, la refondation a été plus difficile à mettre en place. Le second septennat de François Mitterrand voit l’échec de multiples tentatives de renouveau. L’usure du pouvoir et la prééminence de l’élection présidentielle ont entraîné le délitement progressif du PS, empêchant les directions successives d’aller au bout de leurs initiatives. Un temps, Lionel Jospin parvient à s’imposer à la tête du parti et développe un réformisme de gauche au moment de la Gauche plurielle. Néanmoins l’expérience du pouvoir se termine mal pour les socialistes ; ils sont attaqués par leurs anciens alliés et ne parviennent pas à convaincre l’électorat, notamment dans les milieux populaires, lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2002. L’élimination de Lionel Jospin marque l’entrée des socialistes dans une période de tiraillements.
Depuis 2002, le PS est divisé quant à l’attitude à adopter pour accéder au pouvoir. Faut-il être réformiste ou oser davantage de radicalité afin de renouer avec le mouvement social ? Les multiples rénovations organisationnelles n’ont pu permettre de trancher le débat tandis que les évolutions doctrinales ont été marginalisées64. Ce sont les échéances électorales internes, nationales et locales qui mobilisent les énergies militantes au détriment d’une réflexion collective sur l’organisation. Les promesses de refondation semblent permettre au PS de continuer à exister malgré les difficultés (baisse du nombre de militants, moindre influence dans l’opinion) qu’il rencontre, de présenter des candidats aux élections et aux responsables de conserver la main sur l’organisation. Ces velléités réformatrices n’empêchent pas les socialistes d’avoir de nombreux élus dans les collectivités territoriales ainsi qu’au parlement du fait d’un ancrage ancien mais limitent l’influence du parti sur la vie politique nationale65.
La présidence Hollande de 2012 et à 2017 n’a pas permis d’apaiser la relation des socialistes au pouvoir. Des réformes qui ont paru étrangères aux valeurs de gauche ont détourné de nombreux militants (Loi El Khomry, déchéance de nationalité…). Le parti est entré dans une crise dont il a du mal à se relever. Il a perdu son statut de première force de gauche et ne paraît pas encore en capacité de retrouver le devant de la scène.
Sa participation à la NUPES au printemps 2022 paraît indiquer que le parti incline vers un exercice plus radical du pouvoir sans que cette position ne fasse l’unanimité. Néanmoins les divergences stratégiques entre les différentes composantes de la NUPES semblent pour l’instant limiter la portée de cette union. Alors que les députés de l’union ne ménagent pas leur peine face à l’exécutif, elle éprouve bien des difficultés à dépasser le stade de l’intergroupe parlementaire.
Afin d’impulser une nouvelle dynamique, la nouvelle direction socialiste devra mettre en place un programme innovant ainsi que des modalités de fonctionnement en accord avec les idéaux socialistes tout en s’adaptant aux caractéristiques du XXIe siècle (utilisation massive des réseaux sociaux, personnalisation à outrance de la vie politique, labilité de l’opinion, prédominance des émotions…). Elle ne pourra pas non plus s’affranchir d’un débat franc sur le devenir de la NUPES. L’idéal et le réel doivent être revisités de fond en comble afin que le PS puisse redevenir une force motrice à gauche.Â
Arnaud Dupin (juin 2023)
1 – Textes d’orientation disponibles sur Les textes d’orientation – Parti Socialiste (parti-socialiste.fr).
2 – Dans notre développement, nous évoquerons la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière, fondée en 1905) entre 1958 et 1969 et le PS après. Des tentatives de rénovation de la doctrine ont déjà existé dans les années 1930 autour du planisme et à la Libération autour du socialisme humaniste incarné par Léon Blum. Sous la IVe République, l’orthodoxie marxiste défendue par Guy Mollet éloigne la SFIO du renouvellement de la pensée de gauche qui se déroule dans les cercles mendésistes et dans les clubs. Sur le sujet voir Jacques Moreau, L’espérance réformiste histoire des courants et des idées réformistes dans le socialisme français, L’Harmattan, coll. Des poings et des roses, 2007 et Mathieu Fulla, Les socialistes et l’économie (1944-1981) Une histoire économique du politique, Presses de Sciences PO, 2016.
3 – Sur le sujet, voir Gilles Morin, « De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie au PSA (1954-1960) », thèse de doctorat d’histoire, sous la direction d’Antoine Prost, Université Paris I, 1990.
4 – 85 000 cartes en 1965 contre 354 878 en 1946.
5 – Sur le sujet, voir Arnaud Dupin, « La SFIO des années 1960 : Une réforme impossible ? », Thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Laurent Jalabert, UPPA, 2018.
6 – Sur Jules Moch, polytechnicien et très ouvert à la réflexion sur la doctrine socialiste, voir Eric Méchoulan, Jules Moch : un socialiste dérangeant, Bruylant, coll. Histoire, 1999.
7 – Pour avoir le compte-rendu des colloques, voir La pensée socialiste contemporaine, PUF, 1965 et sur la figure aujourd’hui oubliée de Georges Brutelle, voir Denis Lefebvre, « Georges Brutelle 1922-2001 », Histoire(s) socialiste(s), revue du centre Guy Mollet, juin 2001, pp. 12-22.
8 – Parmis les personnalités débattant, on compte François Mitterrand, Charles Hernu, Jacques Julliard, Gilles Martinet, Serge Mallet, le doyen Georges Lavau, Michel Crozier, Alain Savary, Michel Rocard alias Georges Servet…
9 – Mathieu Fulla, « Le Marx des socialistes (4) : de Guy Mollet à nos jours », in Marx, une passion française, Jean-Numa Ducange et Anthony Burlaud (dir.), La Découverte, 2018, p. 66.
10 – Cité par Denis Lefebvre, « 1958-1968 : quelle rénovation ? », L’OURS, hors-série Recherche Socialiste, n° 98-99, janvier-juin 2022, p. 85.
11 – Marc Sadoun, De la démocratie française, Essai sur le socialisme français, Gallimard, coll. NRF essais, 1993, p. 161.
12 – Roland Cayrol, « Les votes des fédérations dans les congrès et conseils nationaux du Parti socialiste (1958-1970), Revue française de science politique, 21 (1), 1971, pp. 51-75.
13 – Sur le sujet, voir Anne-Laure Ollivier, « Gaston Defferre : un socialiste face au pouvoir, de Marseille à l’élection présidentielle de 1969 », Thèse pour le doctorat d’histoire, sous la direction d’Olivier Wieviorka, ENS Cachan, 2011.
14 – Ces négociations concernaient le MRP, la SFIO, le Parti radical et les clubs.
15 – Sur le sujet, voir Christophe Batardy, Le programme commun de la gauche, 1972-1977. C’était le temps des programmes, Presses universitaires de Bordeaux, 2021.
16 – Arnaud Dupin, « Des socialistes laminés… à l’heure du rassemblement », L’OURS hors-série Recherche Socialiste, n°98-99, janvier juin 2022, p. 91-98.
17– Sur le sujet, voir Laurent Jalabert, «La reconstruction de la gauche socialiste en France des lendemains de mai 1968 au congrès de Pau du Parti socialiste », Mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches, sous la direction de Jean-François Sirinelli, IEP Paris/CHSP, 2008.
18– La déclaration de principes rédigée par Claude Fuzier et Pierre Joxe définit le PS comme un parti révolutionnaire. Voir Déclaration de principes de 1969 (lours.org).
19 – Voir notamment la lettre de Jacques Piette à Guy Mollet du 21 juin 1971 citée par François Lafon, Guy Mollet, Fayard, 2006, p. 815.
20 – Pour plus de détails, voir François Kraus, Les Assises du socialisme ou l’échec d’une tentative de rénovation d’un parti, préface d’Alain Bergounioux, note de la Fondation Jean-Jaurès n°31, juillet 2002.
21 – Voir notamment Pierre-Emmanuel Guigo, Le chantre de l’opinion : la communication de Michel Rocard (1974-1981), INA éditions, 2013.
22 – En 1986, le CERES devient Socialisme et République.
23– Mathieu Fulla, « Quand Pierre Mauroy résistait avec rigueur au néolibéralisme (1981-1984) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 218, 2018/2, p. 49-63.
24– Déclaration de principes de 1990 (lours.org).
25– Le courant Socialisme et République mené par Jean-Pierre Chevènement préfère défendre la communauté nationale que la construction européenne.
26 – Marc Lazar, « Le réformisme des socialistes français », Histoire@Politique, 2011/1 (n°13), pp. 1-4.
27 – Voir Pierre-Emmanuel Guigo, Michel Rocard, Perrin, 2020, notamment le chapitre VII.
28 – Cité par Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, Les socialistes français…, op. cit., p. 386.
29 – Idem.
30– Voir Lionel Jospin, Construire l’alternance (1971-1981) Militant, élu, responsable d’État. Un parcours, entretien avec Émeric Bréhier, Lormont, Fondation Jean Jaurès, Le Bord de l’eau, 2022.
31 – Nous nous sommes inspirés d’Elisa Steier, La genèse de la gauche plurielle (1993-1997), PUR, 2022.
32– Voir notamment Jean-Jacques Becker, « La gauche plurielle (1995-2002), in Histoire des gauches en France, volume 2 XXème siècle : à l’épreuve de l’histoire, J. -J. Becker et Candar G. (dir.), La Découverte, 2004 et les longs développements d’Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, Les socialistes français…, op. cit. La gauche plurielle devient un objet d’histoire comme en témoigne la tenue d’un colloque sur le sujet en décembre 2022.
33– Maladroitement Lionel Jospin a déclaré « l’Etat ne peut pas tout » à l’occasion de la fermeture de Renault Vilvorde. Cette phrase a choqué à gauche.
34– Créé en 2003, le courant Nouveau Parti Socialiste compte dans ses rangs Henri Emmanuelli, Vincent Peillon, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Ce courant explose en 2005 à la suite du congrès du Mans et de l’intégration dans l’appareil d’Henri Emmanuelli et Benoît Hamon.
35 – Sur le sujet, voir Alain Bergounioux, « parti socialiste, une crise qui vient de loin », in Le jour où la France a dit non Comprendre le référendum du 29 mai 2005, Gilles Finchelstein (dir.), Fondation Jean Jaurès-Plon, 2005, pp. 128-133.
36 – C’est ce que Alain Bergounioux et Gérard Grunberg nomment le « moment Ségolène Royal ».
37 – Sur le sujet, voir Rémi Lefebvre, Après la défaite analyse critique de la rénovation du Parti Socialiste 2002-2007-2017, Notes de la Fondation Jean Jaurès, 2018.
38– Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, La société des socialistes le PS aujourd’hui, Editions du Croquant, coll. Savoir/Agir, 2006, p. 11-30. Même si le livre sort fin 2006, lire l’intéressante introduction sur Ségolène Royal.
39 – Cité par Rémi Lefebvre, Après la défaite…, op. cit.
40– Document : Déclaration de principes du PS, 2008 | L’OURS (lours.org)
41 – Sur ce point, Jean-Luc Mélenchon se montre en désaccord avec les autres sensibilités du parti. Il aurait souhaité que la déclaration de principes se montre plus critique envers la construction européenne.
42– Un peu moins de 40 % des adhérents se déplacent lors du vote organisé à son sujet par le PS.
43 – Rémi Lefebvre, Les primaires socialistes : la fin du parti militant, Raisons d’agir, 2011 et Les primaires : de l’engouement au désenchantement ?, La Documentation française, 2020.
44– Selon Guillaume Bachelay, ce programme est sérieusement de gauche et d’une gauche sérieuse ».
45 – Les premiers secrétaires élus lors de ces congrès sont des soutiens de François Hollande : Harlem Désir puis Jean-Christophe Cambadélis.
46– Fabrice Lhomme et Gérard Davet, « Les frondeurs du Parti socialiste, traîtres et héros », Le Monde, 27 août 2019.
47 – Du fait des conséquences désastreuses des primaires de 2017, le PS a cessé pour l’instant de les organiser pour désigner celui ou celle qui le représenterait aux élections présidentielles à venir.
48– Il fonde le M1717 qui devient quelques mois plus tard Générations. Il est à noter que le vaincu de la primaire, Manuel Valls, quitte aussi le PS pour rejoindre la majorité macroniste.
49 – 31 élus contre 295 en 2012.
50 – Voir Clément Martin, « Congrès du PS : « Malgré ses renoncements, Olivier Faure est en position de force » », www.Challenges.fr , 20 décembre 2022. Il s’agit d’une interview du politologue Rémi Lefebvre.
51 – Ce nouveau leadership à gauche n’est pas sans conséquences sur l’organisation d’un mouvement comme l’est LFI. Voir Manuel Cervera-Marzal, Le populisme de gauche Sociologie de la France Insoumise, La Découverte, 2021.
52 Frédéric Cépède, « Du bon usage des chiffres en politiques A propos des effectifs socialistes et autres données chiffrées du PS français (1905-2017), Histoire et mesure, XXXIII-1, 2018, pp. 3-30. Frédéric Cépède fait remarquer qu’il est difficile de connaître le nombre exact des membres du PS. Lors du vote du 19 janvier, il y avait 42 365 électeurs inscrits à jour de cotisation pour 23 759 votants. Les autres partis ne semblent pas être dans une bien meilleure position : lors du dernier scrutin interne à LR en décembre 2022, un peu plus de 66 000 électeurs se sont déplacés contre un peu plus de 98000 en 2017 à l’occasion de l’élection de Laurent Wauquiez à la tête du parti.
53 – Pour des analyses contradictoires, lire Elie Cohen et Gérard Grunberg, « A quoi sert un PS soumis ? », www.telos-eu.fr, le 9 mai 2022 et même s’il est critique sur la NUPES, Rémi Lefebvre. Voir son interview par Clément Martin pour Challenges.
54 – Christophe Batardy, Le programme commun de la gauche…, op. cit.
55– Le Monde, samedi 28 janvier 2023. Voir notamment l’interview de Gilles Candar.
56– D’après les résultats publiés par le PS le 3 mars 2023, les partisans d’Olivier Faure dirigent 61 fédérations contre 24 pour ceux de Nicolas Mayer-Rossignol et 12 pour ceux d’Hélène Geoffroy.
57– La Provence, 26 janvier 2023. Interview d’Alain Bergounioux qui met en avant le risque d’implosion du PS.
58– Romain Herreros, « L’élection législative partielle en Ariège vire à l’affrontement national », Huffingtonpost.fr, le 3 avril 2023.
59 – Affirmant siéger dans le groupe socialiste, Martine Froger a rencontré le président du groupe Boris Vallaud. La majorité des députés PS s’est opposée à l’entrée de la députée de l’Ariège dans le groupe parlementaire. A la suite de ce refus, elle a intégré le groupe LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) qui rassemble des députés du centre droit et du centre gauche. Ce groupe s’est illustré lors du débat parlementaire portant sur la réforme des retraites par son opposition frontale au gouvernement.
60– Lors de ses interventions publiques, l’ancien président de la République attaque la direction socialiste qui a, selon lui, inféodé le parti à Jean-Luc Mélenchon. Il critique également la politique menée par le président Macron.
61– Stéphane Le Foll a publié dernièrement une tribune « Social-Démocratie, j’écris ton nom » d’inspiration mitterrandienne dans laquelle il fustige l’exécutif mais également la NUPES dominée par Jean-Luc Mélenchon. Il prône la mise en place d’une « nouvelle fédération de la gauche » afin d’enrayer l’ascension de la « droite de l’ordre » et de revenir au pouvoir pour changer la vie de manière concrète.
62 – Victoria Koussa, « La Convention : Bernard Cazeneuve lance son “mouvement des orphelins de la gauche” », Francetvinfo.fr, le 10 juin 2023.
63 – Michel Winock, « Le parti socialiste dans le système politique français. Rupture et intégration », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2007/4 (n° 96), p. 11-21.
64 – Raphael Cos, Les programmes du Parti socialistes. Sociologie politique d’une entreprise programmatique (1995-2012), Dalloz, 2019.
65– Frédéric Sawicki et Rémi Lefebvre, La société des socialistes, op. cit.