En janvier 1956, le PS SFIO et ses alliรฉs du Front rรฉpublicain remportaient les รฉlections lรฉgislatives, avec lโobjectif annoncรฉ de mettre fin ร la guerre ยซย imbรฉcile et sans issueย ยป que menait la droite en Algรฉrie. Quelques mois aprรจs, ils envoyaient tous les jeunes du contingent combattre dans les djebels, et lanรงaient une dรฉsastreuse expรฉdition contre lโรgypte. Ce retournement hรขta la fin de la IVe Rรฉpublique et provoqua une crise au sein de la SFIO. (a/s de Gilles Morin, Socialistes contre la guerre dโAlgรฉrie. De la SFIO au PSU (1954-1960), prรฉface dโAntoine Prost, postface de Jean-Franรงois Kesler et Jean-Franรงois Merle, Nancy, LโArbre bleu, coll. Gauches dโhier et dโaujourdโhui, 2024, 636p, 35โฌ)
Cโest cette crise que nous retrace Gilles Morin en publiant sa thรจse de doctorat soutenue voici plus de trente ans, dans laquelle il avait accumulรฉ un nombre impressionnant de tรฉmoignages de premier plan, tout en dรฉpouillant une quantitรฉ astronomique de documents. Une vรฉritable somme. Un ouvrage dont lโintรฉrรชt ne se dรฉment jamais, dโune grande utilitรฉ pour qui veut dรฉcouvrir โ ou redรฉcouvrir โ ce que fut la gauche socialiste ร cette รฉpoque dรฉcisive.
La question coloniale et lโAlgรฉrie
Avouons-le : sur le long terme, les socialistes ne furent guรจre ร lโaise dans la politique de dรฉcolonisation. En bons hรฉritiers des Lumiรจres, ils estimaient de leur devoir de transmettre les bienfaits du progrรจs ร des populations dรฉshรฉritรฉes, et souvent affreusement exploitรฉes par leurs fรฉodaux. La finalitรฉ, cโรฉtait lโรฉmancipation des individus, plus que celles des peuples ; lโobjectif รฉtait lโassimilation, plus que lโindรฉpendance. Ils se dรฉfiaient des tentations dโun nationalisme porteur de plus de pรฉril que dโespรฉrance. Pour les dirigeants de la SFIO, les promesses faites aux Algรฉriens en 1936 et 1947 nโavaient pas รฉtรฉ tenues, et il suffirait sans doute dโappliquer dโimportantes rรฉformes dโordre รฉconomique et social en assurant la loyautรฉ des scrutins, pour rรฉtablir lโordre. Dโoรน le triptyque proposรฉ par le gouvernement Mollet : cessez le feu-รฉlections-nรฉgociations.
Mais trรจs vite, des craquements se firent entendre. Sur le terrain, cโest lโArmรฉe qui imposait sa loi, et il courait de dรฉtestables rumeurs dโexรฉcutions sommaires et de tortures. Cโest sur ce refus de cautionner lโinadmissible quโune minoritรฉ se constitua, exigeant que la lumiรจre soit faite, que la lutte soit menรฉe sur deux fronts, contre les ยซ fellaghas ยป certes, mais aussi contre les ultras europรฉens, et que soit entamรฉe dรจs maintenant une nรฉgociation ยซ sans exclusive ยป. Au conseil national de juin 1956, le texte de ces minoritaires recueillit 7 % des mandats.
Les minoritaires
ร premiรจre vue, ces derniers auraient dรป progresser rapidement. Dโabord, compte tenu de la qualitรฉ de leurs reprรฉsentants : Daniel Mayer, Alain Savary, Robert Verdier, Oreste Rosenfeld, Andrรฉ Philipโฆ Dโautre part, lโenvironnement รฉtait favorable. La puissante Fรฉdรฉration de lโรducation nationale โ plus proche des messalistes que du FLN โ, la Ligue des Droits de lโhomme, lโUNEF, trรจs implantรฉe alors chez les รฉtudiants et vent debout contre la prรฉtendue ยซ pacification ยป, รฉtaient sur la mรชme longueur dโonde que les minoritaires socialistes. Et des fautes majeures, comme la campagne dโรgypte ou le dรฉtournement de lโavion transportant les leaders du FLN, accentuaient les fractures.
Pourtant, jamais les minoritaires ne purent sโimposer. Ils ne dรฉpassรจrent que rarement le tiers des suffrages Le problรจme, cโest que, voulant รฉviter lโaccusation de fractionnisme, ils en restรจrent essentiellement au niveau parlementaire, et ne surent pas rallier cette masse dโinorganisรฉs, qui refusaient ร la fois la politique algรฉrienne de la SFIO et le soutien des communistes ร lโรฉcrasement de la Rรฉvolution hongroise. Et puis, ils formaient un ensemble trรจs hรฉtรฉrogรจne, les uns ayant une approche plus marxiste, alors que dโautres avaient plutรดt une rรฉaction ยซ dreyfusarde ยป, condamnant surtout les excรจs de la rรฉpression. En fait, les minoritaires nโapportaient pas une solution de rechange, et nโauraient pu le faire tant quโil nโรฉtait pas question de rรฉaliser lโunion de la gauche. En face, Guy Mollet savait fort bien faire vibrer la corde du ยซ patriotisme de parti ยป, de la camaraderie socialiste, lui, le militant viscรฉral, restant trรจs proche du terreau des adhรฉrents de base, bรฉnรฉficiant de la persistance dโune solidaritรฉ sentimentale, forgรฉe, pour certains, dans les รฉpreuves de la Rรฉsistance.
Du PSAโau PSU
En mai 1958, le ralliement de Guy Mollet ร de Gaulle provoqua la scission. On remarquera que les affrontements รฉtaient nรฉs du problรจme algรฉrien, mais que cโest sur une question institutionnelle et une divergence de stratรฉgie de politique intรฉrieure que sโeffectua le divorce.
Le PSA ne vรฉcut quโune vingtaine de mois, avant la fusion avec lโUGS pour aboutir au PSU. Dans un premier temps, les rรฉsultats de lโopรฉration purent paraitre dรฉcevants. Les effectifs du nouveau parti ne reprรฉsentaient que quelques milliers de militants, essentiellement des cadres et des fonctionnaires venant surtout dโรle-de-France. Mais une deuxiรจme vague scissionniste vint un peu grossir les rangs, dโautant plus quโelle fut accompagnรฉe par la venue de Pierre Mendรจs France. Avec 10 000 adhรฉrents, le PSU compta le plus fort effectif que put rรฉunir un parti se rรฉclamant du socialisme dans une gauche traditionnellement structurรฉe par le PC et la SFIO.
Durant cette courte pรฉriode, le PSA marqua une รฉvolution. Il se mit ร accepter, pas ร pas, lโidรฉe dโune indรฉpendance inรฉvitable, mais resta intransigeant sur lโexigence dโobtenir des garanties pour les Europรฉens et les minoritรฉs algรฉriennes. Il sโengagea rรฉsolument dans la bataille suscitรฉe par les lois Debrรฉ et ne cessa dโaffirmer son opposition ร toute notion de pouvoir personnel. Face ร une SFIO ankylosรฉe, il sut amorcer, mรชme timidement, une rรฉflexion sur lโadaptation du socialisme ร la modernitรฉ, attirer des jeunes, et contribua, par sa fusion avec lโUGS, ร ouvrir lโentrรฉe du socialisme ร un certain nombre de militants chrรฉtiens. Il fut, en tout cas, un ferment actif de ce Parti socialiste qui devait naitre, une dรฉcennie plus tard, ร รpinay.
Claude Dupont
L’ours 539, janvier-fรฉvrier 2025