AccueilActualitéAvignon 2024 : André Robert a vu du 7 au 10 juillet

Avignon 2024 : André Robert a vu du 7 au 10 juillet

Dans une mise en scène de Tal Reuveny, co-autrice, qui sait crĂ©er quelques images fortes, parfois presque surrĂ©alistes, tel l’abat-jour Ă©clairĂ© en guise de tĂªte d’un des personnages (qu’on peut voir sur l’affiche), l’autrice et interprète Louve Reiniche-Larroche nous entraĂ®ne dans une enquĂªte autour d’un drame familial ayant frappé sa mère, dont on n’identifie d’abord ni la nature ni la cause. Cette incertitude intrigante fait tout l’intĂ©rĂªt de l’enquĂªte menĂ©e au micro par la comĂ©dienne seule en scène, qui incarne tour Ă  tour avec brio tous les protagonistes (grands-parents, frère, sÅ“ur, petite fille ou nièce) en utilisant le procĂ©dĂ© du play-back, effet de surprise garanti et pouvant crĂ©er des moments de drĂ´lerie, par le dĂ©calage opĂ©rĂ© entre le corps et la voix. En deuxième partie d’un spectacle court, on ne cachera pas que, après un  trop long fondu au noir (peut-Ăªtre conçu comme Ă©quivalent visuel de l’enfermement auditif), la rĂ©vĂ©lation du drame, une surdité totale ayant soudainement affectĂ© la mère de Louve, psychanalyste – mĂ©tier prioritairement d’écoute – non plus par le truchement de la fille mais par le rĂ©cit enregistré de l’invalide elle-mĂªme, assez banal au fond, fait un peu retomber l’attention portĂ©e. Autrement dit, le cĂ´tĂ© intrigant, voire inquiĂ©tant, de quelque chose qu’on n’identifie pas (avec donc une possible portĂ©e au-delĂ  de ses limites propres) fait plus à notre sens l’intĂ©rĂªt de cette proposition thĂ©Ă¢trale que son cĂ´tĂ© repliĂ© sur l’intime strictement intime, mais c’est sans doute lĂ  un point de vue gĂ©nĂ©rationnel, que dĂ©ment la ferveur d’un public jeune plus attentif Ă  ces problĂ©matiques transposĂ©es sur la scène, et qui fait une ovation mĂ©ritĂ©e Ă  la comĂ©dienne et Ă  sa metteuse en scène.

Jusqu’au 21 juillet, tous les jours Ă  12 h 10 (relĂ¢che le 15). DurĂ©e : 1 h. En dĂ©cembre Ă  Etampes (Festival Imago), puis au Festival Impatience-Jeune ThĂ©Ă¢tre National

La BĂªte, pour tous publics Ă  partir de 10 ans, s’inscrit dans un cycle de crĂ©ations sur le vivant, et interroge Ă  cet effet le mythe ancestral de « l’homme sauvage Â», prĂ©sent Ă  toutes Ă©poques, et dans toutes civilisations, sous diverses formes, dont une des plus connues est celle du yĂ©ti immortalisĂ©e par HergĂ© dans Tintin au Tibet. La force de ce spectacle, excellemment mis en scène par Annabelle Sergent,est de nous embarquer littĂ©ralement dans la passion de Jean Durruti, basque, technicien au Museum d’Histoire naturelle, interprĂ©tĂ© avec une empathie manifeste et communicative par Christophe Gravouil : passion de trouver – depuis son adolescence – des traces du « basajaun Â», version basque de l’homme sauvage. Durruti commence par convoquer des scientifiques Ă  une confĂ©rence qui n’aura pas vraiment lieu, oĂ¹ il expose Ă  leur place leurs thĂ©ories sĂ©rieuses, avant de nous livrer la sienne Ă  propos du « basajaun Â», Ă  grands renforts d’« archives Â» sonores passant par la rĂ©habilitation technique d’outils des annĂ©es 70 et 80 ((Revox, magnĂ©to K 7, dictaphone), ce qui est Ă  la fois drĂ´le et touchant. Et Durrutide nous faire entendre au plus près les enregistrements du pas de l’homme, des animaux dĂ©jĂ  identifiĂ©s, de l’ours et de celui de … l’homme sauvage, avant de les commenter passionnĂ©ment. Puis – et nous restons scotchĂ©s Ă  son histoire, mĂªme si nous la savons lĂ©gendaire (c’est en cela que toutes les Ă¢mes d’enfants, celles qui sont aussi encore enfouies chez les adultes, Ă©prouvent ici une certaine fascination) – le hĂ©ros nous fait le rĂ©cit de la fulguration dont il a Ă©tĂ© victime une nuit d’orage dans la forĂªt, quand la foudre l’a atteint (saluons le travail essentiel de conception sonore dĂ» Ă  JĂ©rĂ©mie Morizeau), le rĂ©cit plus ancien encore de son Ă©garement, petit enfant, toute une nuit au bord d’un prĂ©cipice et de sa mystĂ©rieuse protection par un Ăªtre Ă©trange. Cela nous vaut des scènes de nuit et d’orage des plus rĂ©ussies, oĂ¹ le visage du comĂ©dien, seul Ă©clairĂ©, prend les apparences d’un vĂ©ritable masque de comĂ©die antique. Un seul petit regret : que l’apparition finale de Durruti, dans les atours supposĂ©s d’un « basajaun Â», ne soit pas un peu plus « spectaculaire Â». A voir par tous ceux et celles, petits et grands, qui n’ont pas laissĂ© dĂ©pĂ©rir en eux le goĂ»t des contes.

Jusqu’au 20 juillet Ă  14 h 20 (relĂ¢che le 14). DurĂ©e : 50 minutes. 

Directrice des salles de la Reine Blanche Ă  Paris et Ă  Avignon, Elisabeth Bouchaud, comĂ©dienne et docteure en physique,a entrepris ces dernières annĂ©es l’écriture d’une « sĂ©rie thĂ©Ă¢trale Â», les Fabuleuses, consacrĂ©es aux femmes de science, ces femmes qui ont fait des dĂ©couvertes majeures mais ont Ă©tĂ© occultĂ©es d’abord par les savants, hommes dominants, par l’histoire ensuite. Si Irène Joliot-Curie est bien prĂ©sente au panthĂ©on de la science, qui – hormis les spĂ©cialistes – connaĂ®t Lise Meitner, Jocelyn Bell, Rosalind Franklin, hĂ©roĂ¯nes des trois premiers volets de la sĂ©rie ? En l’occurrence, c’est de Jocelyn Bell (nĂ©e en 1943) qu’il est ici question, l’inventrice des pulsars â€“ dès l’élaboration de sa thèse en 1968, dans le laboratoire du professeur Hewisch Ă  Cambridge. La scĂ©nographie de Luca Antonucci nous immerge prĂ©cisĂ©ment dans ce laboratoire oĂ¹ les piquets mobiles du champ d’un tĂ©lĂ©scope dĂ©finissent l’espace scĂ©nique. CaptivĂ©s, nous assistons aux premiers indices de la dĂ©couverte, par la jeune quaker Ă©cossaise Jocelyn, de traces d’un phĂ©nomène interstellaire encore jamais repĂ©rĂ©, au dĂ©ni initial mĂ©prisant de son directeur de thèse Anthony Hewish, au basculement de celui-ci quand – après confirmation grĂ¢ce Ă  l’utilisation d’un autre tĂ©lĂ©scope plus sophistiquĂ© â€“ il se rend compte du caractère rĂ©volutionnaire de la dĂ©couverte et s’en empare pour rĂ©diger en premier auteur dans Nature l’article dĂ©cisif lui en assurant la paternitĂ©. Et c’est lui qui sera Nobel en 1974, Jocelyn restant dans l’ombre. Dans une mise en scène très prĂ©cise et dynamique de Marie Steen, ClĂ©mentine Lebocey campe une Jocelyn Bell dĂ©terminĂ©e et touchante, traversĂ©e par le doute scientifique nĂ©cessaire et jamais arrogante, modeste jusqu’à aujourd’hui malgrĂ© les innombrables prix et rĂ©compenses dont elle a Ă©tĂ© rĂ©cipiendaire (pas le Nobel, mais qu’importe?) ; Roxane Driay lui donne la rĂ©plique avec la vivacitĂ© et la tendresse de l’amitiĂ©, et l’engage dans le dialogue mĂ©taphysique sur l’origine (aspect sous-jacent Ă  la pièce, qui en redouble l’intĂ©rĂªt, avec bien sĂ»r la dimension fĂ©ministe consistant Ă  rendre une vraie justice aux femmes scientifiques) ; enfin BenoĂ®t di Marco est aussi convaincant en laborantin lunaire Ă©pris de musique pop qu’en professeur Hewisch, suffisant, paternaliste, incarnation pure de ce qu’Isabelle Stengers a pu nommer Â« l’arrogance de la science Â». Dans un univers sonore très adaptĂ©, dĂ» Ă  Anne Germanique et StĂ©phanie Gibert, accompagnĂ© des belles lumières de  Philippe Sazerat et de la vidĂ©o de Guillaume Junot (ce qui nous vaut un bref moment de fĂ©Ă©rie intergalactique), ce spectacle dramaturgiquement très rĂ©ussi, car Ă©crit sans didactisme, sait nous tenir en haleine et, ce qui ne gĂ¢te rien, nous rendre plus intelligents. 

Jusqu’au 21 juillet (relĂ¢che le 15) puis de nouveau Ă  la Reine Blanche Paris, du 19 novembre au 19 dĂ©cembre. DurĂ©e : 1 h 15

Holden, c’est Lola, une adolescente Ă  problèmes, en difficultĂ© avec sa famille et avec le lycĂ©e. Ce n’est cependant pas une histoire de volontĂ© de changement de genre (qui traverse de fait un certain nombre d’adolescents aujourd’hui), mais une simple histoire d’identification Ă  Holden, le garçon hĂ©ros de la nouvelle culte de J.-D. Salinger The catcher in the Rye (1951), traduit en français sous le titre L’Attrape-Coeur. Lola-Holden, magnifiquement incarnĂ©e par MĂ©gane Ferrat, dans une conception et scĂ©nographie de Marilyn Leray, est lĂ , dans un endroit improbable, perdu, une sorte de squat personnel, Ă  attendre son indispensable amie Luce, qui ne vient et ne viendra pas. Elle roule dans sa tĂªte des rĂªves, des musiques et poèmes (Burns), des cauchemars, des pensĂ©es noires cristallisĂ©es autour de l’usage d’un couteau et d’une envie de meurtre. On comprend que la relation Ă  la mère et Ă  la famille est altĂ©rĂ©e depuis longtemps, sauf avec une tante ayant fui jadis dans un dĂ©sert avant dâ€™Ăªtre rattrapĂ©e par la norme ; on comprend que les Ă©tudes, « c’est pas ça Â» (mais pas de drogue ou autre dĂ©rive mettant en danger le corps, l’auteur Ă©vite Ă  juste titre ce poncif). Lola Ă©voque aussi, parfois drĂ´lement, ses Ă©changes avec le psy du lycĂ©e, qui – derrière ses airs conventionnels et sa mauvaise rĂ©putation – lui apportera son appui lors de sa dĂ©cision de fuir Ă  son tour, en embarquant sur le voilier d’un jeune rĂ©ellement Ă©pris d’écologie (apparemment pas un trafiquant) naviguant entre le Portugal et la France. Une très juste peinture, sans verser dans des situations extrĂªmes, quoique parfois border line, des dĂ©sarrois adolescents contemporains (les dĂ©sarrois de l’élève Lola-Holden).

Jusqu’au 21 juillet tous les jours Ă  11h (sauf le mercredi). DurĂ©e : 1 h 15

En voyant ce très beau et très intelligent spectacle, on se dit que le thĂ©Ă¢tre, le festival d’Avignon en particulier, toutes les formes de culture critique et d’art en gĂ©nĂ©ral constituent des remparts indispensables Ă  la pĂ©nĂ©tration dans les esprits des idĂ©es nausĂ©abondes, faussement ‘populaires’, rĂ©ellement xĂ©nophobes et excluantes, auxquelles nous venons d’échapper, pour un temps au moins. Et cet esprit de rĂ©sistance mais aussi de conquĂªte de nouveaux droits s’incarne Ă  merveille dans cette Abolition des privilèges qui nous raconte par le menu (pour une fois) cette fameuse nuit du 4 aoĂ»t 1789 et ses suites car ce qu’elle avait dĂ©cidĂ© (comme par une ivresse s’emparant des trois ordres) fut vite contestĂ©, retardĂ© (par la noblesse et le haut clergĂ©) avant dâ€™Ăªtre rĂ©ellement proclamĂ© en octobre. Cela se fait par l’entremise de Maxime Pambet qui se met, avec un engagement d’acteur formidable, dans la peau de chacun des protagonistes influents de cette nuit magique qui inventa en quelque sorte « l’Ancien Â» rĂ©gime pour lui substituer une organisation nouvelle oĂ¹ les diffĂ©rentes formes de privilèges Ă©taient censĂ©es s’effacer au bĂ©nĂ©fice de l’égalitĂ© (bien sĂ»r la lutte ne pouvait s’arrĂªter lĂ , elle est interminable). Mais la proposition thĂ©Ă¢trale ne saurait se limiter Ă  cela, elle dĂ©bouche – par un tĂ©lescopage temporel – sur le dĂ©bat citoyen entre Maxime et Hugues, le metteur en scène, concernant l’abolition des privilèges contemporains, ce qui nous vaut une discussion tendue, au bord de la rupture (l’écriture est ici proche de celle de Pommerat dans la RĂ©unification des 2 CorĂ©es), Ă  propos des privilèges blancs sexuĂ©s, occidentaux, de ceux liĂ©s Ă  l’émission de CO2 par des rĂ©gions du monde très circonscrites, et … Ă  propos de la nĂ©cessitĂ© d’une contraception masculine. Bref des sujets qui, par-delĂ  le confort du train-train de nos pensĂ©es quotidiennes, nous interpellent fortement et rĂ©veillent notre inquiĂ©tude pour les gĂ©nĂ©rations futures. Un spectacle intellectuellement et politiquement nĂ©cessaire.

Jusqu’au 21 juillet (relĂ¢che le 15). DurĂ©e : 2 h 05 (voyage en navette pour se rendre Ă  la MAIF Avignon compris). TournĂ©e prĂ©vue Ă  Noyon, Vanves, Lyon (CĂ©lestins), AngoulĂªme, Valenciennes, MJC Amiens, maison des Arts du LĂ©man.

Sous la direction de la polonaise Martha Gornika qui dirige avec maestria l’ensemble depuis le coeur des gradins pleins Ă  craquer, un choeur de femmes ukrainiennes, polonaises et biĂ©lorusses s’élève pour pousser un cri contre la guerre menĂ©e par la Russie en Ukraine depuis plus de deux ans, tandis que s’affichent des paroles et des vers sur la façade vĂ©nĂ©rable du Palais. Il s’agit donc d’un thĂ©Ă¢tre musical, choral et chorĂ©graphique puisque les chants puissants s’accompagnent de mouvements collectifs fort bien rĂ©glĂ©s. A un moment, ces femmes ordinaires qui entourent une enfant racontent brièvement qui elles sont et ce que la guerre leur fait (rupture et douleur). Une longue ovation du public suit cette puissante protestation chantĂ©e.

Les mercredis 10 et 11 juillet Ă  22 h. DurĂ©e : 1 h. 

Un cours comme j’aurais aimĂ© pouvoir le faire lorsque j’étais prof de philo jadis ! Enfin presque, puisque le concepteur et animateur de ce stand up, Christophe Delort (metteur en scène de plusieurs pièces dans ce mĂªme thĂ©Ă¢tre Notre-Dame), se proclame lui-mĂªme en sous-titre « un mec qui ne sait pas grand chose Â» et balaie l’histoire de la philosophie, rien que ça, en une heure un peu Ă  la façon de « la philo pour les nuls Â». C’est très rĂ©ussi, d’abord par la captation constante de l’intĂ©rĂªt du public, l’humour permanent des exposĂ©s philosophiques, par l’interaction avec des personnes qui changent forcĂ©ment Ă  chaque reprĂ©sentation en apportant leur touche dans l’échange (il y a toujours quelqu’un dans la salle Ă  se manifester qui a fait des Ă©tudes de philo, plus ou moins poussĂ©es), et par le sens de la rĂ©partie sur le vif, sans lequel il n’y a pas de bon seul en scène humoristique (et lĂ , Christophe Delort, un lundi Ă  11 h. du matin, lendemain de 2e tour des lĂ©gislatives, nous fait penser parfois Ă  Guy Bedos, chapeau). D’oĂ¹ l’admiration du prof, qui aurait aimĂ© pouvoir faire ça, particulièrement en se projetant dans une terminale d’aujourd’hui oĂ¹, encore moins qu’avant sans doute, il est difficile d’avancer sĂ©rieusement avec des jeunes, sans frĂ©quents clins d’oeil Ă  la culture de masse contemporaine (comme c’est le cas ici). Et, philosophiquement parlant, dans les ‘digest’ oĂ¹ dĂ©filent les doctrines, ça tient globalement la route : par exemple, le montage scĂ©nique, avec ses ressources matĂ©rielles et les lumières, permet une reprĂ©sentation des ombres de la caverne platonicienne sur un Ă©cran, dispositif Ă©videmment meilleur que le tableau, ce dont on aurait rĂªvĂ© ; on rencontre Descartes, Spinoza, Rousseau, Schopenauer, Nietzsche, pas Hegel, ou Sartre, encore moins Marx (dont le nom n’est pas prononcĂ©!) mais on rit ou sourit constamment, c’est l’essentiel. Bien sĂ»r, on pourrait chipoter sur telle dĂ©finition, par exemple celle de la Â« mĂ©taphysique Â» selon Aristote, mais lĂ , ce serait le prof qui reprendrait le dessus et ce n’est pas de mise ! Spectacle Ă  voir absolument pour se dĂ©tendre mais pas que !, on l’aura compris.

Tous les jours Ă  11 h. jusqu’au 21 juillet. Et, Ă  la rentrĂ©e au Grand Point Virgule (Paris) les dimanches. DurĂ©e : une heure. 

En 1666, Molière dĂ©nonce, Ă  travers le personnage d’Alceste, les hypocrisies gĂ©nĂ©rĂ©es par l’ambition d’accĂ©der Ă  des positions enviĂ©es Ă  la cour, ou encore par le simple plaisir du jeu amoureux avec les uns et les autres, tel que le pratique CĂ©limène. Les mots « ami Â», en opposition Ă  « trahison Â» et « grimace Â», sont ceux qui reviennent le plus frĂ©quemment dans la pièce. En 2024, Thomas Le Douarec – magnifiquement servi par sa troupe – dĂ©montre avec brio l’actualitĂ© de l’argument dramatique moliĂ©resque en le reliant Ă  nos mÅ“urs contemporaines dominĂ©es par l’usage du portable et des rĂ©seaux sociaux, et la peur panique de se couper du monde ; il le fait tout en respectant Ă  la lettre, pour l’essentiel, le texte originel, que l’on entend remarquablement bien. « Je veux qu’on soit sincère et qu’en homme d’honneur/ On ne lĂ¢che aucun mot qui ne parte du coeur Â», c’est la règle absolue d’Alceste qui n’en dĂ©mordra pas tant dans ses Ă©changes avec Philinte, qui, lui, passe constamment des accommodements, qu’avec Oronte Ă  propos de son « sonnet Â» (ici un mĂ©chant air rock interprĂ©tĂ© de manière irrĂ©sistible par le metteur en scène soi-mĂªme) ou avec les « petits marquis Â», tous ayant reçu des gages, peu engagĂ©s, de CĂ©limène. Actes et scènes s’enchaĂ®nent sur un fond rock judicieux et multiplient les trouvailles (par exemple celle empruntĂ©e Ă  un cĂ©lèbre jeu TV ou celle des rapprochements physiques CĂ©limène/ Alceste que ce dernier s’emploie Ă  ‘dĂ©s-Ă©rotiser’, marque infaillible de son refus du harcèlement autre que celui menĂ© au nom d’un amour absolument pur et prouvĂ©). L’interrogation sur la viabilitĂ© d’une sociĂ©tĂ© sans mensonge minimal ni compromis, et sur celle d’un amour entre deux Ăªtres totalement transparent, traverse, via les rires induits par certaines situations, tout le spectacle. Toute la distribution est Ă  citer, Ă  commencer par un Alceste (Jean-Charles Chagachbanian) et une CĂ©limène (Jeanne Pajon) de haut niveau. Lumières, costumes, musique, dĂ©cors, accordĂ©s Ă  la modernitĂ© de l’adaptation, sont Ă©galement Ă  la hauteur. Et, après qu’Alceste a dĂ©finitivement rompu («  Trahi de toutes parts, accablĂ© d’injustices/ Je vais sortir d’un gouffre oĂ¹ triomphent les vices Â») le finale, chantĂ© par toute la troupe, (« Vie, violence Â» de Claude Nougaro), est d’une Ă©mouvante beautĂ©. A revoir ce spectacle sur un plateau plus resserrĂ© que prĂ©cĂ©demment, il nous a semblĂ© gagner encore en intensitĂ© et densitĂ©. Jusqu’ au 21 juillet, ThĂ©Ă¢tre des Lucioles, Avignon Ă  15 h 50. DurĂ©e : 2 h.

Cette pièce, Ă©crite par Alain Pastor (2002) et mise en scène par Pascal Vitiello, est d’abord l’occasion de retrouver Geneviève Casile, actrice star de la ComĂ©die française dans les annĂ©es 60 et 70, aujourd’hui sociĂ©taire honoraire. Elle tient le rĂ´le de Julia Maesa, la grand-mère perverse et avide de pouvoir du jeune empereur HĂ©liogabale, qui s’est lui-mĂªme laissĂ© griser par le pouvoir pour lequel il n’était apparemment pas fait (nous sommes en 222). Tel Alexandre de MĂ©dicis dans Lorenzaccio, il veut imposer au peuple ses dĂ©bauches et son culte de la pierre noire (contre les dieux majeurs et agrĂ©Ă©s, tel Jupiter, dont le nom revient souvent, ce qui nous fait au passage, par association libre, penser Ă  un prĂ©sident contemporain, lui aussi en proie Ă  ses caprices). MickaĂ«l Winum est particulièrement convaincant en HĂ©liogabale. Outre la grande Geneviève Casile, GĂ©rard Rouzier, incarnant Comazon, prĂ©fet de Rome, homme partagĂ© entre plusieurs fidĂ©litĂ©s et trahisons, lui donne une rĂ©plique Ă  la hauteur. Il y a un enjeu de vie et de mort pour l’empereur, car – en jouant des Ă©motions des sĂ©nateurs et du peuple – Maesa veut imposer sur le trĂ´ne SĂ©vère Alexandre, ce Ă  quoi elle parviendra, au prix de l’assassinat de son petit-fils (presque, mais pas tout Ă  fait, aussi dĂ©testĂ© par elle que sa propre fille).

Jusqu’au 21 juillet, GĂ©meaux Avignon, salle des Colonnes, Ă  13h30 (relĂ¢che les mardis). DurĂ©e : 1 h 15

Nous retrouvons Christophe Delort, auteur, metteur en scène et acteur, dans cet Al Capone, sous-titrĂ© « la vie du plus cĂ©lèbre gangster des Etats-Unis Â». Ce sous-titre n’est pas usurpĂ© car, quand on n’est pas connaisseur de son histoire dĂ©taillĂ©e, on apprend beaucoup de choses sur le chef de l’Outfit, un des principaux gangs de Chicago des annĂ©es 20 et 30 du 20e siècle. D’une certaine manière se retrouve ici, sur un tout autre mode Ă©videmment, la veine Ă©ducatrice de l’auteur manifestĂ©e dans Une heure de philosophie. Dans un dĂ©cor rĂ©aliste, c’est menĂ© Ă  toute allure, ça ne s’embarrasse pas de psychologie ni de dialogues approfondis (il s’agit de faire dĂ©filer une vie), ça « sulfate Â» beaucoup ! Au total, un spectacle plaisant, visible par tous Ă  partir de 12-13 ans, avec cinq comĂ©diens très dynamiques, accompagnĂ©s par deux excellents musiciens qui jouent des airs de jazz tout Ă  fait adaptĂ©s aux situations.

Jusqu’au 21 juillet, thĂ©Ă¢tre Notre Dame Ă  21 h (relĂ¢che les mardis). DurĂ©e : 1h 25.

C’est la force du thĂ©Ă¢tre de crĂ©ation comme « rĂ©jouissance intense Â» (selon l’expression de Brecht) de nous parler concrètement des questions humaines les plus universelles, y compris les plus douloureuses, en nous y confrontant, nous public, Ă  mĂªme l’émotion produite en direct par les acteurs. En l’occurrence, dans une langue Ă  la fois quotidienne et magnifique, Ă  travers une Ă©criture dramatique remarquablement maĂ®trisĂ©e, JosĂ©phine Chaffin aborde l’inceste, le viol incestueux. Après qu’AnaĂ¯s a rĂ©vĂ©lĂ© et dĂ©crit dès le dĂ©but de la pièce le crime de son père, le restaurateur Ă©toilĂ© Lacascade, comment l’autrice va-t-elle s’y prendre et ne pas nous enfermer dans un rĂ©cit pesant ? Elle Ă©chappe totalement Ă  ce risque en choisissant la mise en scène stylisĂ©e d’un procès d’assises, exercice difficile qu’elle rĂ©ussit pleinement grĂ¢ce aux quatre comĂ©diens entourĂ©s de spectateurs qui figurent les jurĂ©s et en insĂ©rant dans les Ă©changes entre la victime, son avocat, le prĂ©sident, les tĂ©moins, des flashes-back relatifs Ă  la vie d’AnaĂ¯s dans sa famille, brisĂ©e dès lâ€™Ă¢ge de 7 ans. Cela nous vaut, avec les mĂªmes comĂ©diens formidables (ClĂ©ment CarabĂ©dian, Estelle ClĂ©ment-Bealem, Hermine Dos Santos, Patrick Palmero), des scènes sur les exigences de la cuisine Ă©toilĂ©e (oĂ¹ se manifeste la violence du père qui trouve aussi d’autres voies de domination que sexuelles) ; c’est très vivant, parfois drĂ´le, ce qui dĂ©tend l’atmosphère, et entrecoupĂ© de moments musicaux enlevĂ©s. Enfin les scènes finales-clĂ©s, de la rĂ©vĂ©lation tardive Ă  la mère puis celle de la confession poignante du grand-père avant de mourir, emportent totalement notre Ă©motion, tout en ayant aiguisĂ© notre vigilance contre toutes les formes de violences sexuelles. Et, Ă  l’issue du procès condamnant son père, AnaĂ¯s peut clamer qu’elle revit, qu’elle est « vivante Â», « vive Â» !

Vive cette crĂ©ation, Ă  voir absolument du 3 au 21 juillet, Train bleu Avignon, jours impairs du 3 au 21 juillet, Ă  13 h 20. DurĂ©e : 1 h 25

Anne-Marie Storme a adaptĂ© et mis en scène la nouvelle de Zweig publiĂ©e en 1920 qui est un vibrant plaidoyer contre la guerre, celle qui vient d’avoir lieu, la « boucherie Â» de 14-18, plus gĂ©nĂ©ralement contre toutes les guerres, et au fond pour l’objection de conscience au nom du respect inconditionnel de la vie, et de l’humanisme universel. On pense Ă  la phrase d’Anatole France « on croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels Â» et au vers d’Aragon : « Ce qu’on fait de vous, hommes, femmes/ Il aurait mieux valu le taire/ Et qu’on me mette avec en terre Â». En effet, les cris de Tom, un artiste-peintre (CĂ©dric Duhem) et de son amoureuse (Anne Conti) sont pour dĂ©noncer la maltraitance guerrière faite aux masses humaines, l’obligation admise du lien entre une appartenance nationale, une « identitĂ© Â» (cela rĂ©sonne particulièrement en nous aujourd’hui) et l’enrĂ´lement guerrier pour des intĂ©rĂªts Ă©conomiques ou autres, en tout cas pas ceux des gens ordinaires. AccompagnĂ©e aux claviers et au chant par la crĂ©ativitĂ© de StĂ©phanie Chamot, cette proposition thĂ©Ă¢trale tient aussi de la performance musicale.

Avignon, Bourse du travail, du 3 au 20 juillet (relĂ¢che 8 et 15) Ă  16 h, puis en tournĂ©e en 2025 Ă  Montataire, Tergnier, Avion, HĂ©nin-Beaumont. DurĂ©e : 1 h 10

Sur des textes poétiques (de facture très contemporaine) de Charles Pennequin, Joachim Latarjet, usant d’une multitude d’instruments (notamment guitares électriques, trombone, trompette, tuba et basse) et d’une console électro-acoustique, livre un spectacle envoûtant qui enveloppe littéralement le spectateur.

Du 3 au 21 juillet (relĂ¢che les 8 et 15), Ă  18 h 40. DurĂ©e : 50 minutes. 

RELATED ARTICLES

Most Popular

Recent Comments