Ces deux ouvrages récents jettent un éclairage renouvelé sur l’histoire du PCF. Le premier est le fruit d’une thèse consacrée aux cadres communistes de l’entre-deux-guerres et le second une biographie classique mais passionnante d’une militante communiste, Madeleine Marzin. A propos de Dimitri Manessis, Les secrétaires régionaux du Parti communiste français, Éditions universitaires de Dijon, 2021, 336 p, 23 € et de Alain Prigent, Madeleine Marzin. Bretonne, résistante et élue communiste de Paris, Editions Manifeste, 2022, 386 p, 23 €
L’interrogation centrale et l’analyse de Dimitri Manessis visent à reconstituer le profil type des cadres communistes à travers les dirigeants régionaux en poste en 1934 et 1939. Il définit d’abord son corpus de plus de 170 personnes puis en propose une analyse prosopographique. L’immense majorité d’entre eux a suivi l’école élémentaire et seuls 8 sont titulaires d’un diplôme du secondaire ou du supérieure, une quinzaine est passée par les écoles normales d’instituteur. Ils sont jeunes, entre 26 et 40 ans, et mariés. Sans surprise non plus, ils sont ouvriers ou employés et, pour beaucoup, déjà permanents. Ils appartiennent pour une grande part à des familles de gauche. Leur date d’adhésion est relativement ancienne, la quasi-totalité a entre 5 et 13 ans d’expérience politique. Un fort pourcentage est passé par les écoles du Parti et plus de 10 %d’entre eux sont allés étudier à l’École léniniste internationale. Le passage par la prison constitue aussi un élément important dans le cursus honorum. Ces délégués sont aussi membres des instances directionnelles du PCF et sont par ailleurs des édiles. Le nombre de militants qui rompt avec le Parti est très faible : moins de 5 %.
Les cadres communistes forment l’armature du parti et défendent la ligne, reprenant l’articulation entre le local, le national et l’international, incarnation parfaite du cadre « thorézien » validé par les instances de l’Internationale communiste.
L’étude est passionnante, même s’il est possible d’émettre quelques réserves sur la vision proposée par Dimitri Manessis. D’abord, le corps des permanents est plus large que celui évoqué dans le présent corpus – responsables syndicaux, associatifs ou employés municipaux, par exemple, peuvent de la même manière composer les cadres de la contre-société communiste. Par ailleurs, le choix chronologique peut laisser perplexe au regard de la prégnance des cadres de la génération « classe contre classe » qui demeurent le noyau dur du Parti des années 1930 aux années 1970. Mais cette remarque est secondaire au regard de la richesse de l’analyse proposée.
Madeleine Marzin est née en 1908 en Bretagne. Devenue institutrice en 1926, elle est affectée à Paris puis au Plessis-Robinson où elle enseigne jusqu’en 1942. Elle rejoint la Fédération unitaire de l’Enseignement et surtout le PCF. En 1937, elle fait partie du contingent d’élèves qui suivent l’école centrale féminine, une véritable pépinière de cadres quelques années plus tard. D’abord, militante de rang secondaire, elle prend une place prépondérante pendant la guerre. Restée en fonction au début de l’Occupation, elle participe à la mise en place de l’organisation spéciale et, surtout, à l’organisation du travail féminin conduisant à la manifestation de la rue de Buci, le 31 mai 1942 (elle a renoué avec les pratiques d’action directe, en allant se servir dans les magasins). Arrêtée le lendemain, les perquisitions des Brigades spéciales font tomber une partie de son réseau. Jugée, condamnée à mort, sa peine est commuée en prison à vie. Elle réussit à s’évader lors d’un transfert. Elle passe à l’Interrégion de l’Est dont elle préside les destinées jusqu’en 1944.
Dans une sorte de jeu de portraits croisés à multiples entrées, l’auteur propose d’autres biographies en commençant celles de ses amis Renée et Louis Guilloux, puis celles de ses deux frères : Francis et Gustave, dont il rappelle qu’ils sont également cadres du PCF, le premier dans le mouvement paysan et le second dans le monde ouvrier puis dans la Résistance à partir de 1941. Francis est arrêté et déporté en 1944. Après la guerre, leur sÅ“ur reprend son action dans le PCF. Elle est d’abord conseillère de Paris puis devient, en 1951, députée, jusqu’en 1958 (en dépit d’une enquête interne réalisée après son élection par le PCF sur les conditions de son arrestation rue de Buci, la Commission centrale des cadres lui adressant un blâme interne – semble-t-il à l’initiative de Jacques Duclos). Madeleine Marzin exerce ensuite le mandat de Conseiller communiste puis de présidente au conseil de Paris. Depuis sa mort en 1998, le groupe communiste a obtenu qu’une rue soit baptisée à son nom.
Sylvain Boulouque