On croyait connaître Camus par ses écrits et ceux écrits sur lui. Par ce livre on plonge plus profondément dans le cœur d’un homme que l’auteur a scruté sous tous ses aspects. À propos du livre de Vincent Duclert, Camus, des pays de liberté, Stock, 2020, 379p, 22€
La liberté est le fil qui parcourt la vie de Camus depuis la jeunesse à Alger jusqu’au prix Nobel de 1957 et à la rédaction inachevée du Premier homme, manuscrit trouvé lors de son décès accidentel le 4 janvier 1960.
Dès l’introduction on est saisi par la beauté lumineuse du texte de Duclert, qui ne pouvait naître que sous une plume amoureuse de Camus : « La disparition d’Albert Camus au seuil d’un monde nouveau fit de sa postérité un temps orphelin qui dure toujours ». Il fallait « se rapprocher de l’écrivain et du poète en même temps que du philosophe et de l’historien pour imaginer les pays de Camus à travers des éclats de beauté et des fragments de vérité ».
ARCHIVES INÉDITES
La liaison entre la liberté, la vérité, la justice et le courage est remarquablement approfondie. Elle est fondée sur la découverte d’archives inédites, sur la relecture de ses écrits publiés, mais aussi sur ses Carnets et sur des correspondances multiples. Camus écrivait beaucoup à ses proches et ses lettres ont été progressive- ment retrouvées, des décennies après sa mort, toutes d’un style lyrique et concis à la fois.
L’ouvrage ne se veut pas une biographie, d’autres s’y sont attelés avec talent, mais les par- cours de l’écrivain sont tout de même retracés avec les difficultés nées de l’intransigeance d’un homme qui ne cédait rien dans son analyse de l’époque. Son refus du totalitarisme soviétique qui l’oppose en particulier à Sartre est évidemment au cœur du combat d’un homme déchiré par ce qu’il constatait, en France et dans le monde, monde qu’il tentait d’améliorer par ses témoignages.
L’IMPORTANCE DES LIEUX
L’importance que Camus attachait à ses lieux de vie est rendue de façon saisissante dans un chapitre spécifique. On visite le Chambon, habité malade durant la guerre, l’Espagne, seulement rêvée car évitée en raison de Franco, Oran, cadre de La Peste, Alger, ville de son enfance et de sa jeunesse mais où il ne put vivre ensuite, déchiré par la pensée de sa mère qui n’en partit que rarement. Mais c’est Lourmarin, dans cette Provence aimée, avec René Char, depuis l’après-guerre, qui fut son lieu définitif, hélas habité seulement un an puisque acquis à la fin de 1958.
Le soleil était nécessaire à Camus, ce qui explique qu’il ne vint à Paris que le temps nécessaire à son action journalistique à Combat, quelques années seulement après la Libération et pour ses contrats avec son éditeur Gallimard.
On suit intensément les relations de sa pensée avec celle de Raymond Aron, en dépit du positionnement réputé droitier de ce dernier. Les références à Proust sont également prenantes et dominent les conclusions de l’ouvrage. Il faut également lire les innombrables hommages rendus lors du décès : « Albert Camus ne laissait pas indifférent de son vivant. Mort, il fut plus présent encore ». Un homme « aussi singulier et inclassable » ne pouvait pas être effacé.Le temps l’a rendu toujours plus actuel. Son œuvre et ses combats, sa « lucidité sur le tragique de l’histoire et du monde », demeureront éternellement.
Vincent Duclert a écrit de magnifiques pages sur cet homme à qui il rend l’amour que Camus portait aux autres et qui continuera à vivre dans le souvenir, hélas de plus en plus rare, de ceux qui l’ont connu, mais aussi dans celui de ceux que ses écrits continuent à inspirer.
Raymond Krakovitch