Pour 2019, le Haut comité des Commémorations nationales, institué par arrêté du 23 septembre 1998, « qui conseille le ministre de la Culture dans la définition des objectifs et des orientations de la politique des célébrations nationales », a retenu d’inscrire le cinquantenaire de la création du Parti socialiste, à Issy-les-Moulineaux, début juillet 1969. Ce choix surprendra certainement les socialistes eux-mêmes, qui retiennent plutôt de cette fameuse année célébrée par Serge Gainsbourg les 5 % obtenus par Gaston Defferre au premier tour de l’élection présidentielle (événement non retenu par le Haut comité aux commémorations).(article publié en février 2018)Alors qu’ils traversent une des crises les plus profondes de leur histoire passée et récente, peut-être les socialistes y verront-ils une sorte de blague lancée par quelques membres facétieux du haut comité. Gageons qu’ils auront du mal à le « célébrer » eux-mêmes, tant ce congrès d’Issy-les-Moulineaux, qui marque effectivement la naissance d’un nouveau parti dont « le titre est : Parti socialiste » (art. 1), a été occulté par celui d’Épinay en juin 19711. Ce congrès – qui adopte la même déclaration de principes que celle adoptée en 1969 – est tellement « fondateur » dans l’esprit des socialistes qu’ils ont pris l’habitude (ou la décision) – qui s’est imposée aux historiens – d’appeler « Nouveau Parti socialiste » (NPS), le Parti socialiste dirigé par Alain Savary entre 1969 et 1971. Manière de dire qu’il ne peut y avoir qu’un seul PS, celui dont François Mitterrand a pris la direction dont la « nouveauté » est une évidence pour la presse et une partie de la gauche, quand le « nouveau » PS de Savary était à peine, selon eux, démarqué de la SFIO de Guy Mollet.
Double rupture
L’histoire a retenu le fameux discours que prononça au congrès d’Épinay son futur Premier secrétaire sur la rupture avec le capitalisme. Ce congrès marque aussi – des « jeunes » historiens l’ont montré depuis une vingtaine d’années (Fabrice d’Almeida, Noëlline Castagnez)– une rupture dans la manière dont le PS va se raconter son histoire. Les congrès ne sont plus comme du temps de la SFIO numérotés, mais désignés par le nom de la ville qui les accueille (Grenoble, Pau, Nantes, Metz, Valence…, Rennes). Pour l’anecdote, c’est Michel Rocard qui en 1993 – après une cuisante défaite aux législatives… – fait adopter la renumérotation des congrès nationaux depuis le congrès fondateur du Globe en 1905, celui d’Issy-les-Moulineaux devenant le 57e et celui d’Épinay le 58e. Aubervilliers accueillera le 78e congrès.
En réinscrivant l’histoire du PS dans la longue durée, l’objectif de Michel Rocard était à la fois politique et pédagogique (s’y mêlait peut-être aussi un brin de malignité) : il y avait un avant Mitterrand et donc un après, et comprendre leur histoire pourrait aider les socialistes à se reconstruire et se remettre de leur échec électoral le plus grave depuis la présidentielle de 1969. Dès lors deux chronologies se superposent au PS qui a commémoré (colloques, publications, articles dans sa presse) son 30e anniversaire en célébrant le congrès d’Épinay en 2001, son centenaire en 2005, et le 40e anniversaire d’Épinay en 20112. Et jamais il n’a célébré un quelconque anniversaire du congrès d’Issy-les-Moulineaux.
Une commémoration pour quoi faire ?
On serait curieux de connaître les raisons qui ont conduit les membres de ce Haut comité qui compte deux spécialistes (et acteurs) de l’histoire de la gauche en général et des socialistes en particulier (Jean-Noël Jeanneney et Pascal Ory) à inscrire cet anniversaire. Pour ne pas ajouter au spleen des socialistes en ne les renvoyant pas l’année prochaine uniquement aux 5% de Defferre ? Leur rappeler que les partis sont mortels ou, à l’inverse, qu’ils peuvent renaître en deux ans ? Dans le souci d’équilibrer chaque année les anniversaires entre la gauche, la droite, le centre ?
Certes, bien des dates retenues passent finalement inaperçues dans le flot des commémorations en tout genre. Et on imagine mal que le PS – qui sera certainement surpris d’apprendre cette décision, et qui a actuellement bien d’autres soucis – demande à ce que cette commémoration du cinquantenaire de sa création soit retirée des commémorations officielles (on a vu ces dernières semaines que le ministère pouvait rétro-pédaler… ). Par contre, se manifestera-t-il si le Haut comité ne retient pas en 2021 d’inscrire le 50e anniversaire du congrès d’Épinay dans sa liste ? Tout dépendra sans doute de la manière dont il aura appréhendé, en 2020, le centenaire de la scission de Tours et/ou de la naissance du Parti communiste. Les socialistes ont de nombreux rendez-vous avec leur histoire dans les trois années qui viennent, et peut-être songeront-ils aussi à célébrer le 50e anniversaire de la création par Guy Mollet en juin 1969 de l’OURS. Ces rendez-vous pourraient l’aider à affronter et inventer son avenir.
Frédéric Cépède
1 En revanche, le PS d’Épinay aurait pu s’appeler NPS. En effet, la commission des structures chargée de préparer le congrès a adopté le nom « Parti socialiste » par 22 voix sur 34, 11 s’étant portées sur l’autre titre : “Nouveau Parti socialiste”. Cf. “Le congrès d’Épinay, juin 1971”, Cahier et Revue de L’OURS, n°199 mai-juin 1991, p.13.
2 Relevons que les socialistes ont joué de malchance avec les anniversaires de leur « naissance ». Les festivités prévues en 1955 pour le 50e anniversaire du congrès du Globe ont été perturbées par leurs divisions sur la CED (Communauté européenne de défense), et leur centenaire par celles du référendum européen de 2005. Cf notamment : Bénédicte Henry, « 1955, le 50e anniversaire du Parti socialiste SFIO. La place de la mémoire », L’OURS hors série Recherche socialiste, n°28, septembre 2004.