La crise que connaĆ®t la gauche franƧaise et les interrogations qui existent dans toutes ses composantes ā mĆŖme dans celles qui affichent leurs certitudes comme La France insoumise ā rendent naturel la recherche des causes et lāexploration de solutions. Ce livre, Ć©crit par deux anciens responsables du Parti communiste, Pierre Blotin et Michel Maso, actuel directeur de la Fondation Gabriel PĆ©ri, entre dans cette catĆ©gorie. Il Ć©tablit un double bilan, celui de la crise politique et celui de la gauche, pour comprendre le moment oĆ¹ nous sommes et agir.
Ć propos du livre de Pierre Blotin et Michel Maso, Pour un printemps de la politique, Editions de lāatelier, 2018, 264p, 17ā¬
LāintĆ©rĆŖt de ces dĆ©veloppements est dāinciter Ć la rĆ©flexion et de pousser Ć la discussion. Et, pour cela, les deux auteurs exposent avec honnĆŖtetĆ© leurs points de vue. Aussi, nous marquerons simplement quelques questions qui nous paraissent les plus importantes ā Ć©tant donnĆ© que lāouvrage expose la plupart des problĆØmes qui se posent dans la crise actuelle du politique.
Les contradictions du capitalisme
La premiĆØre est en quelque sorte classique pour des auteurs de culture marxiste. La prĆ©dominance du capitalisme financier dans lāactuelle mondialisation rend compte de lāessentiel des problĆØmes, la concentration des richesses et le caractĆØre insupportable des inĆ©galitĆ©s, la dangerositĆ© et les disparitĆ©s fortes de la situation mondiale, la colĆØre des peuples avec les manifestations des populismes (de nature diverses). Cāest une vieille discussion. Les caractĆØres contradictoires du capitalisme, qui mĆŖle le positif et le nĆ©gatif (ce que Marx avait soulignĆ©) ne datent pas dāaujourdāhui. Seulement, les limites Ć©cologiques de la planĆØte rendent la situation plus quāinquiĆ©tante. Une maĆ®trise du capitalisme est-elle possibleĀ ? Ou faut-il penser et travailler Ć son dĆ©passementĀ ? Cāest la perspective qui a la faveur des auteurs. Mais il manque une analyse plus prĆ©cise pour comprendre pourquoi les tentatives de rupture radicale ont Ć©tĆ© historiquement des impasses et les leƧons quāil faut en tirer pour demain.
Cela tient peut ĆŖtre au constat que veulent faire les auteurs du double Ć©chec du communisme et de la social-dĆ©mocratie ā en fait, ils parlent dāun triple Ć©chec en prenant en compte celui du nĆ©o-libĆ©ralisme. Mais pour des hommes de gauche, cāest le premier constat qui est important. Peut-on, cependant, Ć©tablir vĆ©ritablement un signe Ć©gal entre ces deux expĆ©riences historiquesĀ ? Il est un peu rapide dāĆ©crire que Ā«Ā le soviĆ©tisme avait usurpĆ© tout Ć la fois le nom et lāespĆ©rance du communismeĀ Ā» et un peut court Ć©galement de concĆ©der quāĆ lāimage de LĆ©on Blum, les dirigeants de la social-dĆ©mocratie Ā«Ā voyaient ā non sans quelque raison ā dans le soviĆ©tisme des menaces dāautoritarisme, voire de dictatureĀ Ā». Les difficultĆ©s et les insuffisances de la social-dĆ©mocratie ā qui a, effectivement, trop concĆ©dĆ© Ć la dĆ©rĆ©gulation libĆ©rale, dans la pĆ©riode contemporaine ā ne peuvent pas faire oublier quāelle a contribuĆ© Ć construire les Ćtats sociaux ā en cause aujourdāhui ā qui ont faƧonnĆ© les sociĆ©tĆ©s les plus humaines construites jusquāĆ aujourdāhui. LĆ aussi, une discussion plus serrĆ©e sāimpose.
Comprendre la crise des partis
Lāanalyse de la crise des partis politiques traditionnels est intĆ©ressante. Elle est plus dĆ©veloppĆ©e sur le Parti communiste ā compte tenu de la longue expĆ©rience militante des auteurs ā que sur les autres partis. Deux idĆ©es fortes sont marquĆ©es Ć plusieurs reprises dans le livre. Une bonne part des problĆØmes du PCF remontent au milieu des annĆ©es 1950, quand il a refusĆ© dāaccepter la destalinisation et sāest bloquĆ© dans des formes de dĆ©ni de la rĆ©alitĆ© qui lui ont fait manquer tous les tournants successifs. Cette thĆØse est convaincante. On la retrouve dans les travaux de lāhistorien communiste Roger Martelli. Les Ć©volutions avortĆ©es ā malgrĆ© quelques vellĆ©itĆ©s avec Waldeck Rochet, au moment de lāeurocommunisme ou avec Robert Hue ā ont laissĆ© lāinitiative Ć FranƧois Mitterrand qui a rĆ©alisĆ© un Ā«Ā coupĀ Ā» stratĆ©gique, Ā«Ā passant par la gaucheĀ Ā», provoquant ainsi des dĆ©sillusions majeures dans lāĆ©lectorat de gauche aprĆØs 1983. Parler simplement de Ā«Ā piĆØgeĀ Ā» nāest cependant pas suffisant. Car les convictions quāil Ć©tait possible de rompre non avec lāĆ©conomie de marchĆ© ā ce qui nāavait jamais Ć©tĆ© dit ā mais avec la domination du capitalisme par la prĆ©dominance de lāĆtat Ć©taient largement partagĆ©es chez les socialistes et relevaient de convictions sincĆØres. Lāexamen des conditions concrĆØtes, Ć©conomiques et politiques de ces choix, doit ĆŖtre plus approfondi. Les communistes, quant Ć eux, ont oscillĆ© entre plusieurs positions et nāont pas vraiment choisi une voie claire, dĆ©sorientant encore plus leur Ć©lectorat.
La nouvelle situation politique ā avec la constitution dāun Ā«Ā bloc centralĀ Ā» autour dāEmmanuel Macron ā a aggravĆ© considĆ©rablement la crise des partis historiques de la gauche, le PC comme le PS. Pierre Blotin et Michel Maso manifestent leur scepticisme par rapport aux ambitions de Jean-Luc MĆ©lenchon quāils nāhĆ©sitent pas Ć caractĆ©riser comme Ā«Ā un populisme de gaucheĀ Ā». Elles entraĆ®nent le PCF dans un dĆ©clin, qui pourrait ĆŖtre irrĆ©versible. Celui-ci doit, donc, se redĆ©finir tout comme le Parti socialiste Ć©videmment. Pour ce faire, Ć juste titre, les deux auteurs demandent de prendre pleinement en compte les mutations qui sont actuellement Ć lāÅuvre et faƧonnent notre futur. Il faut, certainement, en revenir Ć la question initiale sur le devenir du capitalisme. Lāheure, pour les auteurs ā compte tenu de la gravitĆ© des enjeux ā, nāest pas aux procĆØs rĆ©ciproques (dont la matiĆØre est plus que richeā¦) mais Ć lāintĆ©gration, pour une gauche renouvelĆ©e, des multiples initiatives et combats qui se mĆØnent dans la sociĆ©tĆ© et Ć la reconfiguration de notre maniĆØre mĆŖme de faire de la politique. Ce programme est ambitieux mais il y a des moments oĆ¹ il faut avoir la volontĆ© de dĆ©fricher de nouvelles utopies. Cāest ce que nous devons faire aussi pour notre part.
Alain Bergounioux