AccueilActualitéCyrano de Bergerac, genèse et postérité, par André Robert

Cyrano de Bergerac, genèse et postérité, par André Robert

Le 27 décembre 1897 eut lieu au théâtre de la porte Saint-Martin le triomphe de Cyrano de Bergerac, « comédie héroïque » en cinq actes d’Edmond Rostand. Quarante rappels ! La pièce resta à l’affiche jusqu’en 1899, pour devenir ensuite le texte français mondialement le plus joué. Et pourtant ce n’était pas gagné d’avance.
A propos de Edmond, de et mis en scène par Alexis Michalik, Théâtre du Palais Royal. « L’OURS au théâtre », chronique d’André Robert dans L’OURS n°485, février 2019, p. 2Lorsque l’acteur Coquelin demanda à l’auteur de lui tailler un rôle sur mesure, à l’occasion d’une lecture faite devant Sarah Bernardht par Rostand lui-même, ce dernier – déjà connu, mais sans avoir atteint la notoriété d’un Feydeau qui le traitait de haut – avait bien une vague idée mais nullement un scénario tout prêt. L’accouchement fut difficile et chaotique : d’une commande de 3 actes, Rostand passa peu à peu à 4, ajoutant le siège d’Arras, puis à 5, mort de Cyrano et découverte par Roxane, 14 ans après, de l’amour caché que lui vouait son cousin, celui-ci se l’étant toujours cru interdit. Jusqu’à la première, personne n’était convaincu d’une possible réussite de l’entreprise. C’est ce que raconte de manière fort vivante Edmond, pièce écrite et mise en scène – sur un mode assez conventionnel – par Alexis Michalik , désormais devenue film (sur nos écrans depuis le 9 janvier).

L’intrigue nous plonge dans les coulisses du théâtre et dans celles de la vie de Rostand, des relations avec son épouse, la poétesse Rosemonde Gérard. Il n’est pas jusqu’à cette anecdote d’un Rostand ayant rencontré un jeune homme éconduit, incapable de plaider son amour et à qui l’écrivain prêta son talent avec succès, qui ne soit habilement transposée, dans un procédé en abyme cherchant à « expliquer » (sans lourdeur) le triangle Roxane-Christian-Cyrano (« Je serai ton esprit, Tu seras ma beauté »). En revanche, le contexte de la fin de siècle et l’arrière-plan politique où prend place le triomphe de Cyrano sont ignorés (on conçoit certes bien volontiers qu’un auteur ne puisse pas tout dire) : bouleversements technologiques pouvant appeler à la réviviscence d’un certain passé (en l’occurrence le XVIIesiècle, à travers bravoure, poésie, préciosité), Affaire Dreyfus (Rostand fut dreyfusard) et surtout obsession de la revanche après 1870. Au cours de ce spectacle instructif, bien interprété (Coquelin et Rostand très ressemblants, à en croire les photographies d’époque), qui jouit cependant sans doute d’un « excès d’honneur » (5 Molières), on assiste avec plaisir à des bribes de scènes mythiques de la pièce initiale.

À la fin de l’envoi…Car, s’agissant de Cyrano, rien ne vaut l’original et chaque mise en scène réussie confirme qu’il y a dans ce texte, par-delà toutes les explications possibles de sa fabrication, quelque chose qui le dépasse et qui, par la grâce de nombreuses trouvailles poétiques – quoiqu’on perçoive les ficelles, comme celles qui jouent sur les ressorts du patriotisme et du « panache » français – provoque immanquablement l’émotion du spectateur, peut-être parce que touchant à une forme d’universel de l’idéal amoureux. Au moins deux types de représentation de la pièce ont retenu notre attention dernièrement. Au théâtre du Ranelagh, la talentueuse compagnie du Grenier de Babouchka et son metteur en scène Jean-Philippe Daguerre proposent un Cyranorestitué avec partition musicale, telle qu’originairement voulue par Rostand selon des archives retrouvées dans sa maison d’Arnaga. Le violoniste Petr Ruzicka donne donc la réplique avec archet à son double, Cyrano, fort bien incarné par Stéphane Dauch. Le jeu de l’ensemble de la troupe est classique, sans grande surprise, mais « à la fin de l’envoi », nous touche.

Extrêmement décapante est la mise en scène réalisée par le jeune Lazare Herson-Macarel avec son excellente « Compagnie de la jeunesse aimable ». Il n’est presque pas une scène qui ne soit l’occasion d’inventions très originales (au théâtre de Bourgogne, duels, tirade du nez, présentation des cadets, scène du balcon, descente de la lune, mariage, scènes de guerre, etc.) ; tout se succède sur un rythme endiablé, s’agissant du dit, du chanté, du dansé (ici, la musique est produite par un batteur). Eddie Chignara est un formidable Cyrano moderne, habité d’énergie, de philosophie, de poésie et de bravoure (« Rêver, rire, passer, être seul, être libre »).

André Robert

(1) Pièce vue à La Tempête (Cartoucherie de Vincennes). Actuellement en tournée.

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