Avec cet ouvrage, Antoine Prost, historien reconnu de l’éducation, nous livre une analyse, à la fois informée (cela va de soi, connaissant ses travaux antérieurs), surtout originale et subtile. On a, en effet, souvent l’impression qu’à l’exception de rares moments historiques, les années 1880 ou les années 1960, la réforme du système éducatif est quasiment impossible. Or, il a beaucoup changé, mais pas toujours sous l’effet de réformes volontaires, hautement symboliques, souvent par des évolutions de société qui s’imposent et des mesures plus modestes en apparence – comme la création des baccalauréats professionnels en 1985. La question donc de savoir pourquoi telle réforme réussit et telle autre échoue est cruciale pour la compréhension de notre système éducatif. À propos de Antoine Prost, Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Seuil, L’Univers historique, 2013, 386 p, 21 €
Article paru dans L’OURS n°432, novembre 2013, page 1.
Antoine Prost dit modestement qu’il n’entend pas faire une histoire de l’éducation depuis 1936. Ce n’est vrai qu’en partie. Car le point de vue choisi permet de prendre en perspectives toutes les grandes évolutions. Il éclaire également le rôle et le jeu de tous les acteurs, le pouvoir politique, les gouvernements et les partis, les courants réformateurs de l’éducation, l’administration, à la fois au niveau national et local, les syndicats bien entendu, les enseignants, autant qu’on puisse les saisir en corps, l’opinion publique enfin. À ce titre, le dernier chapitre du livre, « Du changement dans l’Éducation nationale », qui ressaisit l’ensemble des analyses antérieures, est un véritable petit discours de la méthode pour les réformateurs à venir…
Les quatorze moments de l’école
Quatorze moments, comme autant de problèmes, sont explicités depuis 1936. Prenant appui sur les projets de réforme pour une école unifiée définis dans l’après guerre mondiale, Jean Zay, ministre des gouvernements de Front populaire, a posé les bases intellectuelles d’une réforme d’ampleur sans pouvoir la faire aboutir. Il a néanmoins initié des changements importants par une démarche pragmatique et expérimentale. Les années de la Libération ont vu, à la fois, l’élaboration d’un monument, le plan Langevin-Wallon, qui a synthétisé les idées de la gauche enseignante, et une expérimentation prometteuse mais abandonnée au début des années 1950, les classes nouvelles. Les divisions politiques profondes après 1947, et les réticences du corps professoral l’expliquent. À juste raison, Antoine Prost rappelle l’importance de l’épisode qui a vu l’élaboration de la loi Debré, en 1959, qui a marqué – sans que les acteurs le sachent sur le moment –, la fin de la conception laïque de l’école telle que la gauche républicaine l’avait souhaitée, « à fonds publics, école publique, à fonds privés, école privée », puisque l’échec de la loi Savary, étudiée plus loin dans le livre, nous a ramené, pour l’essentiel, à cette législation. Les années de la République gaullienne ont été fondamentales et paradoxales. La gauche dominait le monde enseignant – c’est une période qui voit la montée en puissance de la Fédération de l’Éducation nationale – le gouvernement de Georges Pompidou, malgré la plus grande ouverture du général de Gaulle, a une vision conservatrice de l’éducation. Et, pourtant d’importantes réformes se mènent, avec la création des collèges d’enseignement général (CEG), des collèges d’enseignement secondaire (CES), des instituts universitaires technologiques (IUT), etc. C’est que la poussée démographique et le développement de la scolarisation commandent. La bataille pour le « tronc commun » menée notamment par le recteur Capelle et tout un ensemble réformateur, a été majeure. Elle n’a pas été gagnée et le Premier ministre, puis le président Georges Pompidou, aidé par l’opinion des professeurs du second degré, a fait en sorte que « l’école moyenne » soit calquée sur le modèle du Lycée. Le collège unique, avec René Haby, ira plus loin dans l’intégration des élèves, mais ne remet pas en cause ce « compromis » fondamental. Passionnants sont également les chapitres qui portent sur la réforme manquée de l’enseignement supérieur à la fin des années 1960, pensée sous la nécessité de la sélection, condamnée par l’explosion de 1968 et la réforme somme toute réussie d’Edgar Faure après 1968, malgré les critiques de la droite.
Pédagogues et républicains
Antoine Prost, qui a été aussi un réformateur du système scolaire, retrace finement les espoirs du courant réformiste qui a pris corps dans la foulée des années 1960, à la fois ses succès et ses échecs, et la contestation qu’il a suscité de plus en plus vive à partir des années 1980. L’auteur est évidemment du côté des « pédagogues » – n’a-t-il pas écrit un Éloge des pédagogues (Seuil, 1985) – mais il permet de comprendre tous les tenants et aboutissants du débat pédagogique contemporain – car il est toujours d’actualité dans cette période où la question de la « refondation » de l’école est à nouveau posée. Les raisons des uns et des autres, les « pédagogues » et les « républicains » sont clairement rendues. Antoine Prost ne traite pas tous les aspects de la période immédiatement contemporaine – les archives manquent encore, et c’est une histoire encore « chaude ». Mais les deux chapitres qui concernent les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), « un essai non transformé », et l’apparition de la notion de « socle commun », avec le rapport Thelot de 2004 et la loi Fillon de 2005, nous introduisent directement dans les problèmes d’aujourd’hui. Ce court aperçu du contenu de l’ouvrage montre tout son intérêt pour toutes celles et ceux qui s’intéressent à l’éducation nationale et se passionnent pour son avenir.
Alain Bergounioux