Cet ouvrage collectif dirigé par deux enseignants à l’université du Havre est issu d’une journée d’études organisée en 2012 dans cette même université. Son fil conducteur est d’interroger, à partir de trois pays (France, Grande-Bretagne et Suisse) et à des époques différentes (années 1930 et 1960 en France, fin du XXe siècle et début du nouveau siècle pour les trois pays), la notion de « banalisation » des « extrêmes droites ».
A propos du livre Les tentatives de banalisation de l’extrême droite en Europe, Nicolas Guillet et Nada Afiouni (ed.), Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2016, 184 p, 18€
Article publié dans L’OURS n°467, avril 2017, p. 3.
Banaliser, c’est rendre quelconques, anodins, en tous cas non spécifiques, des courants politiques qui, au-delà de leur diversité, partagent une définition ethnique de la communauté nationale fondée aujourd’hui sur un refus radical de l’immigration, notamment extra-européenne. La banalisation, c’est aussi, selon les auteurs, une entreprise plurivoque affectant à la fois les extrêmes droites qui cherchent, en modifiant leurs logos, leurs noms, leurs chefs, en euphémisant leurs discours, à se débarrasser d’oripeaux du passé devenus des obstacles, mais aussi d’autres formations politiques amenées à passer des accords avec les premières ou à envisager de le faire.
La démonstration aborde en premier lieu la France, au travers de cinq contributions étudiant les « trajectoires de la banalisation », puis les deux autres pays, au travers de quatre contribÂutions sur « les mécanismes de la banalisation ». L’historien britannique Kevin Passmore s’intéresse ainsi au cas, aujourd’hui bien connu, du PSF du colonel de La Rocque, dans lequel il voit une tentative de « banalisation réussie ». On ne suivra pas toujours l’auteur dans sa poursuite de la vieille polémique sur le « fascisme français », mais on peut reconnaître avec lui que « le débat sur le républicanisme du PSF est insoluble », en ce sens que « la réponse dépend de la définition retenue ». De même aujourd’hui, la question est moins « le FN est-il républicain » que « souhaite t-on vivre dans une République telle que le FN la définit ? » Reste que la trajectoire des Croix-de-Feu au PSF montre à ses yeux qu’une « conversion » en parti de la droite répuÂbliÂcaine était possible, même demeurée inachevée du fait de la guerre. On peut faire les mêmes observations en Italie à propos de la trajectoire du MSI de Giorgio Almirante vers l’Allianze nationale de Gianfranco Fini (même si celle-ci débouche sur une absorption dans le parti de Berlusconi) et noter une évolution à rebours de l’Ukip britannique né dans le giron du parti conservateur, et ressemblant de plus en plus à une version britannique du FN.
C’est à l’électorat de ce dernier que le sociologue Daniel Bizeul consacre une contribution passionnante montrant que l’état présent du FN est autant le produit d’une « accommodation » de la société française à son égard (la fameuse « lepénisation des esprits ») que d’une accommodation du FN à la société, ce qui est finalement l’essence même du « marinisme ». Et l’auteur de poser une question aussi stimulante que dérangeante : la dénonciation de la banalisation du Front marinisé court le risque de produire un « double déni », celui du principe démocratique et celui des milieux modestes, composante essentielle de son électorat, en première ligne face à des transformations sociales qui affectent toutes les dimensions de leurs vies.
Si le discours des extrêmes droites se « banalise », comme le montrent aussi bien les autres contributions sur l’UDC suisse et l’Ukip britannique (et son prédécesseur sur ce créneau, le British National party), c’est qu’elles semblent répondre à des questions que les autres formations n’abordent pas ou ne règlent pas, en tous cas pas aux yeux de leurs électeurs.
Refaire de la politique
Dans sa conclusion, la politiste Nonna Mayer, après avoir dressé une typologie des extrêmes droites européennes (extrêmes droites historiques à l’image du FN, droites radicalisées tels Ukip ou l’UDC, séparatistes comme la Lega italienne, formations initialement anti-fiscales comme le Parti du peuple danois), monte l’échec des deux grandes stratégies conduites à leur égard : le « désengagement » (les ignorer, les disqualifier, les isoler) comme l’ « engagement » (les imiter, les intégrer dans des alliances, voire les intégrer au gouverÂnement comme récemment en Italie, en Suisse ou au Danemark). Mais elle montre aussi que leur progression n’est pas inéluctable… quand on réussit à remobiliser les électeurs, en faisant réellement « de la politique ». C’est sans doute la seule conclusion à laquelle conduit la lecture de ce livre, même si une telle conclusion ne relève pas de l’histoire ou de la science politique….
Gilles Vergnon