Ancien député de la Somme et ancien vice-président de l’Assemblée nationale, Jacques Fleury a envoyé à l’OURS le texte ci-après… ses réflexions sur la Constitution de 1958 (versus 1962) et quelques propositions pour faire « respirer la République ».
Jacques Fleury apporte sa pierre au débat. Un réflexion à poursuive…
La démocratie en débat ! Les partis déconsidérés ! Le personnel politique aussi ! L’abstention massive…
Sans doute peut-on accuser le comportement des partis dits de gouvernement (qui entraine dans la désapprobation populaire ceux qui ne le sont pas). Sans doute peut-on dénoncer la domination du « politiquement correct » néo-libéral qui ne laisse plus d’alternative. Mais il faut aussi dénoncer un système politique qui pousse à la personnalisation du pouvoir et qui, ce faisant, étouffe l’expression de la diversité des opinions et a conduit au fil du temps les partis politiques à abandonner leur rôle de laboratoires politiques pour ne devenir que des machines électorales au service d’un chef de file au supposé destin national.
De plus en plus de responsables reconnaissent que les institutions de la Ve République ne répondent plus aux nécessités démocratiques et à l’attente des Français. Il y a urgence à en réformer le fonctionnement. Mais le risque est, comme souvent, de prendre prétexte de la nécessité de réformer pour prendre des dispositions qui aggravent la situation. On l’a vu avec la réforme du quinquennat et la connexion des élections législatives avec le scrutin présidentiel.
On voit déjà que certains avancent l’idée de renforcer le caractère présidentiel du régime en supprimant la fonction du Premier ministre, laquelle n’existe déjà presque plus car, dans les faits ce dernier n’est plus qu’un secrétaire général de l’Élysée. Une telle réforme n’apporterait aucune amélioration au caractère essentiellement pervers de l’élection présidentielle.
La vraie question est de savoir si on souhaite que l’élection présidentielle soit le scrutin décisif de la politique nationale ou si on pense que les élections législatives doivent reprendre une importance au moins équivalente, voire supérieure parce que plus représentative de la diversité des opinions.
Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : le choix entre un système prioritairement présidentiel et un système au moins équilibré entre l’exécutif et le législatif relève de conceptions politiques totalement opposées.
L’objectif recherché, lorsque l’élection du président au suffrage universel direct a été décidée, était de mettre fin au « régime des partis ». Ce qui était une autre façon de dire qu’il s’agissait de « dépolitiser » l’action publique en la confiant à un chef. Il a fallu quelques décennies pour atteindre cet objectif, aidé par l’aveuglement des diverses formations politiques qui se sont coulées dans le moule qui leur était proposé. Mais nous y sommes maintenant. Le dévoiement du débat politique provoqué par la personnalisation du pouvoir a finalement dégoûté les électeurs et la démocratie est désormais en danger.
Les élections législatives, à condition qu’elles ne soient pas liées comme elles le sont aujourd’hui à l’élection présidentielle, si elles ne sont pas conçues pour donner de façon quasi automatique une majorité au président, permettent la représentation d’une large gamme d’opinions. Sans assurer la représentation parfaite de la diversité des électeurs, elles présentent, dans un système représentatif, le moyen le plus adapté de représenter les électeurs, sauf à leur joindre des possibilités plus étendues de référendum.
Je voudrais ci-après démontrer le caractère profondément pervers de l’élection présidentielle avant de faire quelques propositions de réformes qui pourraient changer l’esprit de nos instituions sans bouleverser le texte de la Constitution, parmi lesquelles la première à prendre serait de déconnecter les élections législatives de l’élection présidentielle.
Le caractère pervers de l’élection présidentielle
Un système faussement démocratique
n élisant le président de la République au suffrage universel direct, les Français se donnent certes un chef. Mais ils lui abandonnent tout pouvoir pendant toute la durée de sa présidence. Et ils lui confient un mandat évidemment général.
Le caractère pervers des institutions de la Ve République résulte du fait qu’une seule personne accédant à la présidence est supposée incarner toutes les nuances majoritaires de l’opinion publique dans tous les domaines : politique sociale, sociétale, culturelle, économique, militaire, internationale… C’est impossible. L’élu ne peut donc pas représenter démocratiquement le peuple.
Il existe dans le pays une majorité sur la question européenne, une majorité sur la question du libéralisme économique, une sur la mondialisation, une sur la croissance ou la décroissance écologique, une sur la question nucléaire, une sur la PMA, sur le mariage pour tous, sur la peine de mort, sur le droit de chasse, etc., mais selon les sujets ce ne sont pas nécessairement les mêmes majorités.
Ce défaut pourrait être compensé par une Assemblée qui par le nombre de ses membres pourrait mieux représenter la diversité des opinions et à qui on laisserait le soin d’exprimer cette diversité. Mais l’adoption du quinquennat lié à la concordance de l’élection présidentielle et des législatives, celles-ci étant postérieures à celle-là, aboutissent – c’était le but recherché – à installer au Palais Bourbon une assemblée de supporters quasi inconditionnels du président, qui n’ont d’autre devoir, d’autre rôle que de soutenir la politique du chef de l’Etat. Et ce principe est tellement ancré dans l’opinion, que dès lors que des députés de la majorité présidentielle expriment un avis dissident, ils sont accusés par les médias de fronde ou de trahison ! C’est dire quelle liberté est laissée aux députés majoritaires ! C’est dire aussi que l’élection présidentielle confère désormais à l’élu(e) la totalité des pouvoirs pour la durée de son mandat. C’est très dangereux.
La dérive perverse de l’élection présidentielle
Pour être élu, un candidat à l’élection présidentielle doit obtenir 50 % des voix plus une. Pour y parvenir, il doit rassembler non seulement l’électorat qui partage l’essentiel de ses convictions, mais l’élargir à d’autres courants d’opinion, plus radicaux et/ou plus modérés, voire plus proches des positions de ses adversaires.
Prenons l’exemple de l’élection 2022. La candidate de droite plutôt réputée centriste, « Macron compatible » disait-on, a été obligée de prendre une posture nettement plus droitière pour obtenir le soutien d’une partie de l’électorat de la droite extrême dont elle pensait avoir besoin pour être qualifiée à l’issue du premier tour. Mais si elle avait été qualifiée pour le second tour, il lui aurait fallu tenir un autre discours pour obtenir le soutien d’électeurs plus modérés, voire d’électeurs du centre gauche pour gagner l’élection. A quel moment aurait-elle été sincère ? A quel moment l’électeur aurait pu la croire ? Et quelle aurait été sa véritable politique ?
Quant à Emmanuel Macron, après avoir gouverné à droite, il a tenté de se redonner une image « de gauche » entre les deux tours en espérant convaincre les électeurs de Mélenchon.
Les candidats sont donc conduits à pratiquer le « grand écart ». Jusqu’au moment où ce n’est plus possible ! Si on reprend l’exemple de la campagne de 2022, quel candidat, à gauche, aurait pu à la fois satisfaire les anticapitalistes militants, les sociaux-démocrates dits de gouvernement, ou les sociaux–libéraux « Marcon- compatibles » ? Quel candidat aurait pu satisfaire à la fois les anti-nucléaires et les pro, les eurobéats et les partisans d’une Europe différente. etc. Mission impossible qui condamne la gauche à l’exclusion du pouvoir et provoque le rejet dans l’abstention d’une grande partie des électeurs.
Le résultat de cette mécanique perverse est désastreux
L’élection présidentielle est devenue la « mère des élections ». C’est elle qui détermine le comportement de tous les acteurs politiques, candidats, élus et électeurs.
La logique de l’élection présidentielle a conduit d’élection en élection les candidats des partis « dits de gouvernement » à modérer leur programme et leur politique. Il était en effet impossible pour un candidat qui voulait être élu de présenter au second tour une ligne politique très différente de celle de son adversaire : les candidats « de gouvernement », de gauche, de droite ou du centre, étaient conduits à tenir des discours très proches, et à faire cause commune contre tous ceux qui, à droite ou à gauche, ne partagent pas leur ligne « politiquement correcte ». Ils rendaient ainsi le débat inaudible et sans intérêt. Les vrais enjeux politiques disparaissaient au profit de ce que les électeurs, encouragés par les médias à la recherche d’audience, voyaient comme un mauvais spectacle, une compétition d’egos, une « lutte de petits chevaux », des luttes pour les « bonnes places », des querelles d’équipes dont les discours « attrape-tout » lassent l’électorat qui ne voyait plus la différence : gauche, droite, « tous pareils ! ».
Les candidats étaient conduits, pour rassembler largement et, par la force des choses, à tenir des discours insincères : le mensonge s’est institutionnalisé ce qui aggrave la méfiance des électeurs et provoque le rejet des politiques.
Les partis dits de gouvernement ont abandonné leur rôle d’instruments de réflexion politique pour ne devenir que de simples machines électorales. Les députés ne sont plus des représentants du peuple, mais des supporters ou des opposants inconditionnels non pas d’une politique mais du président élu. Ils deviennent donc inutiles aux yeux du grand public.
Cette dérive perverse a conduit finalement, non sans une certaine logique, à l’élection en 2017 d’un président Macron sur le thème du « en même temps » qui, dans un pays qui aime la politique, incarne de façon spectaculaire la dépolitisation. Elle a satisfait cette partie de l’électorat qui depuis toujours pense qu’il y a de bonnes idées à gauche et à droite ! Revers de la médaille, cette élection n’a satisfait, au premier tour, qu’un peu moins de 20 % des électeurs inscrits. Ce qui rendait la légitimité de l’élu indiscutable au vu des règles institutionnelles mais très contestable du point de vue de la démocratie réelle. Et ce qui a conduit à la frustration de la majorité des électeurs qui se réfugient désormais dans l’abstention ou se tournent vers des solutions plus extrêmes.
La personnalisation du pouvoir, phénomène qui se rencontre dans de nombreux pays démocratiques, est poussée à l’extrême par les institutions françaises. On vote de moins en moins pour ou contre une politique mais pour ou contre une personnalité.
Le scrutin de 2022 aura montré tous les défauts de nos institutions. L’élection présidentielle ne permet plus à la diversité des opinions de s’exprimer au premier tour sans risquer d’aboutir, ce qui a été le cas en2017 et en 2022 à la confrontation au second tour entre deux « rejets ».
Au premier tour l’électeur, de gauche comme à de droite, n’avait le choix qu’entre voter pour le candidat dont la politique correspondait à ses préférences au risque avéré d’être contraint au second tour de choisir entre deux rejets, ou d’exercer un vote tactique plus que de conviction dans l’espoir d’empêcher Marine Le Pen de se qualifier. En 2022, ce vote tactique a bénéficié dès le premier tour à Mélenchon et à Macron.
Au second tour plus de la moitié des électeurs qui ont permis la victoire d’’Emmanuel Macron ne l’avait pas choisi au premier tour. Ce qui devrait l’empêcher d’invoquer son succès pour mettre en œuvre son programme !
Au second tour on vote pour le « moins pire », ce qui est finalement frustrant et enrageant. Et au bout du compte, devant l’absence de choix réel, on finit par s’abstenir. A quoi bon voter quand n’a que le choix entre « bonnet blanc et blanc bonnet » ou quand on n’a le choix qu’entre deux rejets ?
C’est ainsi que l’élection présidentielle au suffrage universel telle qu’elle est aujourd’hui pratiquée pousse à la dépolitisation générale, à l’abstention massive, à l’exaspération et à la radicalisation de minorités croissantes, mais aussi à la croissance des extrêmes dont certains sont dangereux pour la démocratie.
Comment corriger les défauts actuels de la Ve République ?
1/ D’abord déconnecter les élections législatives de la présidentielle
Qu’on le déplore ou non, les Français ne reviendront pas sur le mode d’élection du Président de la République. Les Français, dit-on, veulent élire leur président. Même si, paradoxalement, ils sont de moins en moins nombreux à participer à cette élection !
Mais ce n’est pas en supprimant la fonction de Premier ministre et en « présidentialisant » le régime que seront corrigés les côtés pervers de l’élection présidentielle au suffrage universel.
Si on veut que cesse le mouvement de dépolitisation, d’abstention, de ce rejet de la politique dangereux pour la démocratie, il faut que les diverses opinions trouvent à nouveau le moyen de se faire écouter et entendre. Sauf à user de la démocratie directe, qui a ses limites, il faut donc, pour le moins, dans le cadre de la Constitution, sans remettre en question l’élection du président au suffrage universel, rendre aux élections législatives le pouvoir d’exprimer librement les grands courants d’idées sans qu’elles soient « polluées » par le scrutin présidentiel. Les élections législatives ne doivent pas servir à donner automatiquement une majorité au président. Sinon on peut les supprimer !
La première mesure à prendre, simple mais absolument nécessaire, est de déconnecter les élections législatives de l’élection présidentielle. Une des solutions est d’inverser le calendrier électoral : prendre des dispositions pour qu’en toutes circonstances les élections législatives interviennent plus ou moins tôt avant l’élection présidentielle.
II y aurait lieu d’adopter des dispositions pour empêcher que par l’exercice du droit de dissolution ou par l’usage de sa propre démission, le ou la président(e) puisse contourner la règle de l’antériorité des élections législatives.
Inverser le calendrier donnerait des chances, lors des législatives, à toutes les opinions, de s’exprimer de façon positive, au travers des 577 circonscriptions. Et à l’Assemblée nationale d’être le reflet des opinions diverses et non plus une assemblée de « godillots »au service du résident.
L’élection du président intervenant postérieurement sera alors le reflet de l’expression des forces politiques telles que les élections législatives l’auront montrée. Les législatives joueront alors le rôle de primaires ou, en tous cas, donneront, mieux que des sondages, une indication sur les rapports de force réels. L’élection présidentielle sera influencée par le résultat des élections législatives et non l’inverse. A terme elle pourrait se détacher des enjeux de politique intérieure.
En inversant la logique des deux élections, cette déconnexion donnera, à terme, une pratique différente de notre système institutionnel et le rendront plus « à l’écoute » des opinions. L’Assemblée nationale ne sera plus le prolongement de l’exécutif.
En revanche, le président pourrait devenir le meilleur porte-parole d’orientations majoritaires qui se seront déjà exprimées lors des élections législatives.
2/ Le rôle du président
Il pourra se produire, en raison de l’inversion du calendrier électoral que le président ne soit pas en accord avec la majorité parlementaire. Que devient alors son rôle ?
L’expérience des cohabitations nous a appris que son élection au suffrage universel donne au président une autorité qui lui permet de peser sur la politique du pays, qu’il soit ou non en accord avec la majorité parlementaire.
Mais qu’il le soit ou pas, il doit laisser le gouvernement gouverner. C’était d’ailleurs l’esprit de la Ve République lorsqu’elle a été adoptée en 1958.
Ce dont nous avons besoin ce n’est ni d’un chef de clan, ni d’un monarque républicain. En revanche nous avons besoin d’un arbitre capable d’user de l’autorité politique que lui confère l’élection au suffrage universel direct pour résoudre les conflits de politique intérieure en usant des moyens que lui confère la Constitution.
C’est le président en exercice qui choisit un chef de gouvernement capable d’obtenir le soutien d’une majorité parlementaire. C’est lui qui dispose du droit de dissolution de l’Assemblée, ce qui lui permet de peser sur la résolution des crises.
Nous avons aussi besoin d’un représentant de la République française dans le monde, bénéficiant d’une autorité renforcée. L’expérience des cohabitations nous a appris que le président pourrait bénéficier d’un domaine réservé comme chef de la diplomatie. Il serait intéressant de rendre cette pratique plus institutionnelle.
L’intérêt de définir un domaine réservé à des compétences qui exigent plus que toutes autres le temps long serait que le débat de l’élection présidentielle pourrait tourner autour de la place de la France dans le monde, autour de sujets essentiels de ce point de vue (exemples : pour ou contre l’OTAN, pour ou contre une défense européenne, etc.). Cette solution, qui pourrait être conjuguée (ou non) au rétablissement du septennat, renforcerait l’image et l’autorité du président à l’étranger en l’éloignant des enjeux de politique intérieure.
L’inversion du calendrier électoral conjuguée ou non au retour au septennat produirait déjà une orientation différente au fonctionnement de nos institutions. Mais il faut sans doute aller plus loin.
3/ Rendre du pouvoir au Parlement, est-ce dangereux ?
Jusqu’à présent toutes les réformes de la Constitution faites au prétexte de renforcer le rôle du Parlement ont conduit à l’abaisser et à renforcer l’exercice solitaire du pouvoir présidentiel.
Sans retourner à un régime d’Assemblée, Il faut revenir à une lecture plus parlementaire de nos institutions, telles qu’elles étaient conçues à l’origine. Il faut que l’Assemblée nationale ne soit plus l’instrument institutionnel du président mais l’endroit où peuvent s’exprimer librement et utilement les diverses opinions du pays.
Rendre du pouvoir à l’Assemblée inquiète ceux qui craignent l’instabilité de la IVe République. Mais ce n’est pas le système présidentiel qui garantit aujourd’hui la stabilité gouvernementale. C’est l’existence d’une majorité « godillot » structurellement liée au président. Avec la détestable conséquence que le Parlement a perdu de son utilité, que le président est omnipotent et qu’il exerce un système de gouvernance verticale qui repose sur le silence d’une majorité aux ordres. Ce n’est pas la bonne solution. C’est une caricature de système démocratique.
On a pu constater, lors des périodes de cohabitation, alors que l’Assemblée avait repris le pouvoir, qu’il n’y avait pas eu de crise institutionnelle. Car les institutions de la Ve République comportent des dispositifs qui garantissent cette stabilité, sans qu’on ait besoin d’une majorité aux ordres du président. La maîtrise, par le gouvernement, de l’essentiel de l’ordre du jour des assemblées, prévue par les textes, laisse très peu d’espace à l’initiative parlementaire.
4/ Le contrat de gouvernement
Nous avons besoin de gouvernements stables, capables de mener à bien le projet politique approuvé par les électeurs qui les ont menés au pouvoir. Pour qu’ils bénéficient d’une majorité stable, il faut que celle-ci soit liée aux gouvernements, non par un rapport d’allégeance à l’exécutif, mais par un contrat portant sur les orientations et un ensemble de projets précis qui forment l’identité et la cohérence de ces gouvernements : une programme minimum commun. Ce contrat peut être préparé à la veille des élections et justifier des alliances antérieures au scrutin. Il peut aussi être débattu au lendemain de celui-ci, entre des forces politiques proches. Ce contrat fera l’objet d’un vote de confiance de l’Assemblée. Il serait rendu public pour que les citoyens puissent apprécier le respect de sa mise en œuvre (cf. l’exemple allemand).
Ce « contrat » peut laisser de côté les sujets sur lesquels la majorité gouvernementale ne trouverait pas d’accord. Ceux-ci seraient alors tranchés par le parlement soit à l’initiative des parlementaires soit à celle du gouvernement si l’actualité l’exige, ouvrant ainsi un espace où la démocratie pourrait respirer, dans lequel des majorités différentes pourraient s’exprimer, sans mettre en cause le gouvernement et donc sans susciter des crises gouvernementales.
Est-il besoin en effet, pour un gouvernement et une majorité qui, par exemple, auraient pour priorité de lutter contre la désindustrialisation, contre le réchauffement climatique, pour une réforme scolaire, pour une réforme des retraites, d’inclure dans leur contrat d’autres sujets tels que des questions sociétales, le droit de chasse, la protection animale, etc., ou d’autres thèmes qui peuvent diviser et affaiblir la majorité gouvernementale dans son projet essentiel, mais qui peuvent faire l’objet de majorités différentes dans l’Assemblée.
Pour que les parlementaires puissent exercer leur pouvoir d’initiative législative, il faudrait cependant élargir les « créneaux » dans l’ordre du jour offerts aux députés pour examiner leurs propositions de lois. On peut allonger la durée de session du Parlement et/ou réduire le nombre de navettes entre Sénat et Assemblée nationale.
Cette pratique permettrait à la fois de donner la chance à chaque courant de pensée d’être représenté tout en permettant des coalitions gouvernementales. Prenons l’exemple de la situation de la gauche en 2022. Les divergences qui l’épuisent pourraient s’exprimer lors de la compétition des élections législatives, mais leurs points de convergences pourraient faire l’objet d’un contrat de coalition reposant sur un programme minimum commun les points de désaccord pouvant être tranchés par l’Assemblée nationale ou par voie de référendum.
5/ Limiter et organiser l’usage de la censure
Le risque d’instabilité devrait normalement être limité par la pratique du contrat de gouvernement. Les institutions de la Ve République n’interdisent pas la souplesse dans la vie gouvernementale. Le chef de gouvernement peut élargir ou non sa majorité, remanier son gouvernement et même démissionner.
La crainte porte sur l’usage de la motion de censure qui pourrait être votée par des oppositions hétérogènes et non conciliables, qui pourraient renverser le gouvernement sans qu’une solution alternative soit possible.
Il faut donc rendre exceptionnel le recours à la motion de censure qui entraine la chute du gouvernement. Celle-ci ne peut intervenir et se justifier que si une crise survient entre l’exécutif et sa majorité à l’Assemblée nationale : désaccord sur l’application du contrat de gouvernement ou sur un problème politique imprévu lors de l’adoption de ce contrat.
Pour éviter que le recours à la motion de censure aboutisse à l’instabilité ministérielle, pour qu’elle n’intervienne qu’en cas de crise grave et justifiée, on peut, d’une part limiter constitutionnellement le nombre de motions de censure par législature (une par exemple) et surtout exiger que le dépôt de la motion de censure soit accompagné d’une proposition de gouvernement alternatif, le vote de la motion de censure devenant alors un vote de confiance à un nouveau gouvernement. Ce mécanisme rendrait inopérantes les motions de censure opportunistes et les alliances improbables.
Déjà ces mesures et cette pratique permettraient une meilleure respiration démocratique. Mais on peut y ajouter – ou non – des dispositions complémentaires.
Il est peut-être déjà tard mais il faudrait essayer.
Si on veut lutter contre l’abstention de masse, il faut que l’électeur sache que ses opinions seront vraiment défendues à l’Assemblée nationale par des élus à son écoute et non par des supporters inconditionnels de l’exécutif.
Mais ce ne sera sans doute pas suffisant. Il faut ouvrir un espace la démocratie directe.
6/ Référendum d’initiative conjuguée
Ouvrir un nouvel espace constitutionnel à l’usage du référendum pourrait être une réponse. A condition qu’il soit encadré. Les questions posées – sauf évidemment les projets de réforme des institutions qui relèvent déjà d’une procédure prévue par les textes – doivent être conformes à la Constitution : le Conseil constitutionnel doit vérifier que la réponse, quelle qu’elle soit, à la question posée, ne soit pas contraire à la Constitution.
La question faisant l’objet d’un référendum pourrait être posée à l’initiative d’une majorité de députés (pour éviter que l’opposition ne s’en serve comme une arme à répétition contre le gouvernement) ou par un nombre important de parlementaires (députés et sénateurs) conjuguée et soutenue par une pétition populaire réunissant un nombre important et significatif de signatures.
7/ Le mode de scrutin
Le mode de scrutin est essentiel quant à la représentativité des élus. Mais aucun mode de scrutin n’est satisfaisant.
Le scrutin majoritaire à un tour est d’une brutalité antidémocratique. Il peut offrir le pouvoir à des minorités. Le scrutin majoritaire à deux tours pousse aux regroupements mais a l’inconvénient de réduire le débat et d’éliminer les pensées minoritaires. Il présente cependant l’intérêt d’une représentation territoriale des électeurs à condition cependant de ne pas réduire le nombre des députés pour que leurs circonscriptions demeurent à taille humaine.
Le scrutin proportionnel présente l’avantage de rendre visibles les nuances de la pensée politique et celui d’offrir à l’électeur un choix plus politique que personnel. Mais il peut conduire à l’instabilité (qui peut être corrigée par les contrats de législature). Il présente l’inconvénient d’envoyer à l’Assemblée des élus choisis par les chefs de partis plus que par les électeurs.
On peut envisager un scrutin mixte (majoritaire à deux tours) corrigé par une importante représentation nationale proportionnelle, mais cette solution suppose l’augmentation du nombre de députés si on veut que les circonscriptions rurales demeurent à taille humaine.
On peut, comme pour les élections sénatoriales, user du scrutin proportionnel dans les départements très urbanisés et du scrutin majoritaire dans les départements plus ruraux.
On peut aussi alterner les modes de scrutin au fil des élections. Ce système casserait la « professionnalisation » des politiques et en tous cas réduirait les effets négatifs de chaque mode de scrutin. Mais « casser la professionnalisation » présente un danger : qui acceptera de quitter un emploi pour assurer un mandat non renouvelable ?
Jacques Fleury
Ancien vice- président de l’Assemblée nationale.