AccueilActualitรฉDes mots pour avilir les femmes, par AMANDINE TABUTAUD

Des mots pour avilir les femmes, par AMANDINE TABUTAUD

Bien que les deux autrices parlent depuis une position diffรฉrente, leurs รฉtudes des mots pute et allumeuse sโ€™entrecroisent et se rรฉpondent puisquโ€™elles portent des ramifications similaires vers la prostitution.

Saletรฉs
Dominique Lagorgette sโ€™attache ร  รฉtudier lโ€™ensemble des termes consacrรฉs aux travailleuses du sexe depuis le IXe siรจcle, ร  savoir des femmes dont le comportement a pu รชtre jugรฉ dรฉviant sexuellement.

ร€ lโ€™origine, putidus signifie la saletรฉ physique. Progressivement, le sens abstrait sโ€™est imposรฉ, basculant vers la saletรฉ morale. Autrement dit, lโ€™adresse du mot pute ร  une personne, affecte sa rรฉputation et son honneur. Dรจs lors que le genre y est associรฉ, le terme devient une insulte. Pute, insulte la plus usitรฉe de nos jours, se dรฉmarque de putain et dโ€™allumeuse, puisque le terme dโ€™allumeuse ยซย contient lโ€™idรฉe selon laquelle les femmes seraient le point de dรฉpart du dรฉsir masculin et devraient lโ€™assumerย ยป, selon Christine Van Geen.

ร€ cรดtรฉ, le terme peut รชtre employรฉ pour dรฉsigner les travailleuses du sexe, bien quโ€™ร  lโ€™origine le terme de ยซ putain ยป lui soit prรฉfรฉrรฉ. Depuis les annรฉes 1980, lโ€™autrice observe une ยซ dรฉferlante de termes et dโ€™expressions ยป ce qui montre ยซ combien la vie sexuelle des femmes, rรฉelle ou prรฉsumรฉe, fait parler, combien aussi elle fait fantasmer, et, surtout, ร  quel point elle est mรฉprisรฉe et crainte ยป, (D. Lagorgette). La multiplicitรฉ langagiรจre illustre les reprรฉsentations culturelles forgรฉes par le pouvoir masculin, รฉtatique et religieux, afin de contenir et de dominer les femmes jusque dans leur rapport ร  leur corps. La ยซ pute ยป demeure une figure qui fascine autant quโ€™elle rรฉvulse.

Ces mots stigmates que lโ€™on attache aux femmes
Les stigmates liรฉs ร  sa figure font รฉcho ร  ceux qui entourent la figure de lโ€™allumeuse, consacrรฉe par lโ€™ouvrage de Christine Van Geen. Entendu ร  double sens โ€“ fille facile, fille difficile โ€“ allumeuse apparait dans le langage cru et raffinรฉ ร  la fin du XIXe siรจcle.

Dans son application ร  dรฉconstruire les mythes qui entourent lโ€™allumeuse, la philosophe la prรฉsente comme un archรฉtype ร  plusieurs visages. Ce faisant, elle convoque un ensemble de mythes dโ€™รˆve ร  Cassandre, de Salomรฉ ร  Lolita, des sirรจnes et leur chant envoutant au sex symbol Marilyn Monroe, afin de mieux saisir la prรฉgnance de ces images dans nos sociรฉtรฉs contemporaines. La relecture des mythes au prisme des affaires judiciaires offre un nouvel รฉclairage, ร  lโ€™image de Cassandre quโ€™elle compare aux victimes inaudibles face ร  Gรฉrard Depardieu ou bien aux assignations vestimentaires imposรฉes aux lycรฉennes, potentielles tentatrices hรฉritiรจres dโ€™Eve, afin de ne pas รฉveiller le dรฉsir chez les garรงons.

De mรชme, la philosophe dรฉmontre de quelles maniรจres les mรฉcanismes des constructions sociales et de pensรฉe agissent dans le dรฉroulement des procรจs pour violences sexuelles. La suspicion des femmes victimes de viol dโ€™รชtre des allumeuses empรชche ou freine toute rรฉflexion sur le consentement mutuel.

Un exercice sain de dรฉconstruction des impensรฉs genrรฉs
Dominique Lagorgette comme Christine Van Geen rappellent toutefois les possibles rรฉsistances fรฉminines pour contourner ces assignations. Leur agentivitรฉ se rรฉvรจle en diverses occasionsย : la rรฉappropriation des insultes tournรฉes au ridicule, le choix de leur apparence et la libertรฉ de disposer de leur corps afin de sortir du schรฉma qui leur est imposรฉ.

Alors que les siรจcles de fรฉminisme et la montรฉe des รฉtudes de genre dans le champ universitaire rendent visibles les oppressions ร  lโ€™encontre des femmes, les reprรฉsentations mentales fortement ancrรฉes, fondent encore les croyances et les agissements des individus.

Amandine Tabutaud
article paru dans L’ours 538, novembre-dรฉcembre 2024

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