Ce volume s’inscrit dans la série des études électorales inaugurée par les chercheurs du CEVIPOF depuis 1992 pour analyser nos grandes échéances politiques. Celle-ci est particulièrement importante, car le printemps 2017 nous a fait peut-être entrer dans un nouveau système politique. C’est ce que veut signifier le titre de « vote disruptif », néologisme (emprunté au monde du marketing…) qui entend par là un processus simultané de rupture et d’innovation.À propos du livre de Pascal Perrineau (dir), Le vote disruptif. Les élections présidentielles et législatives de 2017 , Sciences Po. Les Presses. 2017, 444 p, 24,90€.Article publié dans L’OURS 475, février 2018, page 1.
L’ouvrage offre un bilan complet des élections présidentielles et législatives, en quatre parties qui couvrent le choix des candidats, la campagne proprement dite, l’examen des résultats électoraux, les perspectives ouvertes par ces élections. Il faut y ajouter de solides annexes, chronologie détaillée, tableaux et cartes, qui sont autant de références pour les lecteurs intéressées.
Des primaires dépassées ?
Ce compte-rendu ne peut évidemment pas faire part de tous les enseignements apportés par cette étude. J’en marquerai que quelques-uns parmi les principaux au fil des pages. Les élections primaires, à droite et à gauche, sont au centre de la première partie. Les analyses de Brice Teinturier et de Vincent Martigny montrent que ces élections dépendent fortement de l’état des partis qui les organisent. L’électorat était au rendez-vous pour Les Républicains, mais elles ont donné l’illusion qu’un électorat militant même mobilisé représentait tout l’électorat de la droite, et ont légitimé le programme rigide de François Fillon et ont délégitimé Alain Juppé (trop ?) longtemps favori et encore plus Nicolas Sarkozy, qui n’ont pu être les recours quand François Fillon a été mise en cause personnellement. C’est un Parti socialiste déjà fortement affaibli – malgré l’appellation de la Belle Alliance Populaire – qui a organisé des élections primaires bien différentes de celle de 2011. Le retrait de François Hollande a libéré les oppositions internes – qui s’étaient affrontées tout au long du quinquennat. Dominées par l’anticipation de la défaite, ces primaires ont donné lieu à un vote identitaire à gauche, débordant le seul électorat socialiste, en couronnant un candidat, Benoît Hamon, qui n’était guère en position de rassembler.
Une campagne 2.0 et traditionnelle
Les études sur les modalités de la campagne éclairent un point qui pourrait être paradoxal. Les instruments numériques ont occupé le devant de la scène. La présence sur les réseaux sociaux est une nécessité pour tous les partis et les nouveaux mouvements – cela a été une des réussites de France Insoumise. Mais, pourtant, comme le montre Thierry Vedel, le « vieux » média qu’est la télévision a joué encore un rôle majeur dans la campagne, en permettant d’établir des comparaisons (et ce avant le spectaculaire débat du second tour) alors que les réseaux sociaux, avec Twitter, Facebook et You Tube, enferment dans des « bulles informationnelles » qui n’intéressent que les convaincus.
Une abstention importante
Les résultats électoraux passés au crible apportent tout un lot d’enseignements suggestifs. Anne Muxel rappelle que les taux importants d’abstention et de vote nul (un électeur sur cinq lors du premier tour de l’élection présidentielle, un sur quatre au second tour, plus de 50 % lors des élections législatives) traduisent la crise politique dans laquelle s’est déroulée cette séquence électorale. Désinvestissement et protestation s’y mêlent. C’est une part du contexte qui explique qu’une dynamique comme celle d’Emmanuel Macron ait pu être possible. L’usure de deux grands partis de gouvernements, le PS et Les Républicains, perclus de divisions, a dégagé un vaste espace central qui a accueilli les électorats de la gauche et de la droite modérée. Mais, comme le montrent Sylvie Strudel et Jérôme Jaffré, le vote pour le candidat de La République en Marche n’a pas été un vote franc d’adhésion : ses chances d’être présent au second tour, marquées par les sondages dès fin février, ont favorisé un vote utile dès le premier tour (sans parler du second). Mais, il serait aventureux d’en conclure qu’il s’agit d’une élection par défaut.
Un nouveau système politique ?
Car comme le montrent dans la dernière partie du livre, Gérard Grunberg, pour la gauche, et Pascal Perrineau, pour la droite, un nouveau système politique se met en place. Les études des votes pour Jean-Luc Mélenchon et pour Marine Le Pen démontrent que ces deux forces, qui demeurent opposées quant à leurs valeurs, et ne se réunissent que dans la dénonciation des « élites » et dans une adhésion à des formes de protectionnisme, ont des fondements électoraux solides et fracturent ainsi durablement la gauche et la droite – les deux mouvements se trouvant, cependant, par leur isolement dans une impasse politique pour la conquête du pouvoir.
La difficulté que relève Gérard Grunberg dans sa contribution est qu’actuellement deux clivages se trouvent en concurrence : l’ancien qui oppose la gauche et la droite – deux catégories dans lesquelles une majorité de Français continuent de se situer peu ou prou – et le nouveau que Pascal Perrineau définit autour des partisans d’une « société ouverte » et ceux d’une « société fermée », que caractérise bien l’opposition sur la question européenne.
Ces éléments (et il y en a beaucoup d’autres) suffisent pour indiquer l’intérêt et la richesse de cet ouvrage de référence pour comprendre la rupture électorale que nous avons connue. Il laisse, cependant, plus ouvertes qu’il peut n’y paraître, les évolutions à venir.
Alain Bergounioux