En 2014, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de la Libération du territoire, l’OURS a organisé avec le CHS du XXe siècle de Paris et la Fondation Jean-Jaurès un colloque : « De la Résistance à la restauration de la légalité républicaine. L’apport des socialistes au regard de l’Europe ». La publication des actes permet de mettre l’éclairage sur un parti qui n’a pas été au centre de la recherche sur cette période. Des contributions (une vingtaine), parfois très denses, évaluent la place que les socialistes ont occupée au sein des nouveaux pouvoirs, exposent leurs prises de position, et établissent un parallèle avec l’action de leurs camarades travaillistes ou sociaux-démocrates en Europe.À propos du livre Les socialistes français à l’heure de la Libération. Perspectives française et européenne, Noëlline Castagnez, Frédéric Cépède, Gilles Morin et Anne-Laure Ollivier (dir.), L’OURS, CHS du XXe siècle de Paris, 2016, 328p, 25€)
Article publié à l’ une de L’OURS n°467, avril 2017.
Les « conclusions » de l’ouvrage (Nicolas Roussellier) semblent offrir une connotation quelque peu négative, avec « les cinq rendez-vous manqués des socialistes ». Un premier avec la Résistance elle-même, où les socialistes seraient passés « à côté d’un rôle majeur ». Un deuxième avec les espérances socialistes d’une transformation de la vie économique et sociale. Un troisième à propos de la rénovation institutionnelle. Le quatrième au niveau extérieur, puisque l’internationalisme socialiste n’a conduit à aucune construction nouvelle (G. Bossuat, G. Vergnon). Mais le rendez-vous manqué le plus spectaculaire fut le décevant rendez-vous électoral entre les socialistes et le peuple, l’année 1946 marquant un recul constant de la SFIO, devancée par le MRP et nettement distancée par le PCF.
Et pourtant, il serait absurde de parler d’une insuffisance de présence socialiste au moment de la Libération. Les socialistes eurent une activité gouvernementale essentielle, occupant beaucoup de postes clés et on les retrouve en nombre dans les différentes organisations et associations issues de la résistance tant au niveau local ou départemental que national. Un colloque de l’Institut de l’histoire du temps présent avait mis en lumière, en 1994, le fait que la SFIO était le « pivot politique de la France à cette époque » et, en rentrant de déportation, Léon Blum s’exclamait en mai 1945 que « le socialisme est le maître de l’heure ». C’est ce diagnostic qu’interrogent les contributions de cet ouvrage structuré en cinq parties : Sortir de la guerre : passé, présent, futur ; Peser sur l’avenir, en France et en Europe ; Reformuler les idées ; Restaurer l’État ; Réformer la société.
Alors, d’où vient ce décalage entre une telle présence sur le terrain et la modestie des résultats engrangés ?
Socialisme, Résistance et République
La réponse est claire : le Parti socialiste a cherché dès le départ, non à affirmer prioritairement sa spécificité et son identité, mais à se couler naturellement dans le moule que dessinait le programme du CNR, avec ses perspectives progressistes de nationalisations, de planification et de justice sociale. Les socialistes se sont posés en héritiers et en continuateurs de ce grand mouvement du Front populaire, qui incarnait l’ensemble des forces populaires et non telle organisation. Ils ont voulu, avant tout, affirmer que le socialisme, c’était l’élargissement de la République et non la tentation d’une confiscation partisane (A. Bergounioux, Ch. Vodovar). L’exemple le plus frappant fut leur attitude vis-à -vis de la Résistance. Les socialistes avaient été assez nombreux dans la Résistance. Mais de façon émiettée (comme le montrent ici O. Wieviorka en ouverture, J. Späth, et les échanges de la table ronde entre F. Conord, F. Prigent, R. Mencherini et Y. Guillauma). Si leur présence était peut-être plus affirmée dans un mouvement comme « Libé-Nord » on peut dire qu’ils étaient largement disséminés dans la plupart des réseaux. À la Libération, il n’y eut aucune tentative pour créer un mythe de la résistance socialiste, en contraste absolu avec le comportement du Parti communiste, faisant un énorme battage autour du « Parti des 75 000 fusillés ». Daniel Mayer donnait le ton en proclamant son refus de « battre le tambour sur le cercueil de [nos]martyrs. » Il paraissait convenable de ne pas se démarquer, de rejoindre la foule glorieuse des républicains et des patriotes. On s’inscrivit dans la mémoire territoriale de la Résistance. On honorait un héros du Vercors, non un héros socialiste présent au Vercors. À vrai dire, tétanisé par le vote des deux tiers des parlementaires socialistes en faveur des pleins pouvoirs à Pétain, le Parti socialiste, dans une volonté de purification, apparut davantage comme le parti de l’épuration (G. Morin, É. Lynch) que comme celui de la Résistance, laissant le champ libre à un Parti communiste qui fit rapidement oublier ses « hésitations » de 1940… (N. Castagnez).
Cet effacement volontaire de toute mythologie résistancialiste n’explique pas à lui seul les déconvenues électorales. La dynamique du souvenir du Front populaire joua curieusement en faveur du courant communiste qui réussit à en ressusciter la ferveur et l’élan, en laissant à l’ombre les échecs ou en les faisant porter sur les timidités socialistes. L’évolution des données syndicales fut déterminante. La CGT bascula du côté des « unitaires » communistes, qui surent développer une propagande plus offensive, avec un sens du « noyautage » hors pair. Alors que les socialistes ne purent pas enrayer la destruction des amicales socialistes d’enÂtreprises, qui faisaient en grande partie leur force en milieu ouvrier. Ce sont également les communistes qui, oubliant leur hostilité originelle, tirèrent profit de la création de la Sécurité sociale (E. Jabarri), dans laquelle les socialistes se montrèrent étrangement absents. N’oublions pas non plus la prise de distance du mouvement coopératif, qui était très proche du Parti socialiste dans l’avant-guerre (M. Dreyfus).
Espoirs déçus
Déçue dans ses espérances, essayant de récupérer un électorat qui la quittait, la SFIO décida de se consacrer davantage à une politique d’amélioration des conditions de vie et de salaires qu’à l’avancée de réformes structurelles, moins bien perçues par l’électorat populaire. D’où, entre autres, son acceptation des nationalisations, alors qu’au départ, les socialistes se réclamaient de la socialisation de l’économie, avec une intervention directe des travailleurs dans la gestion des entreprises (M. Fulla). Dans la plupart des secteurs, dans l’éducation (I. Ferhat), la jeunesse et les sports (M. Fontaine), la presse et l’information (A.-L. Ollivier), la réforme institutionnelle (I. Clavel, A. Bernier-Monod, N. Patin), la place des femmes (M. Zancarini-Fournel), la police (Ch. Chevandier) l’on s’en tint à la promotion de mesures minimales, loin des bouleversements annoncés dans les premiers mois de la Libération. Il faut aussi ajouter que, très vite, se profila l’ombre de la guerre froide, et face aux difficultés de tous ordres, les socialistes choisirent de s’insérer dans une majorité populaire qui se consacra avant tout au redressement national et à la remise en route de la vie économique et sociale. La SFIO préféra être un reconstructeur des fondations républicaines que le propagandiste de son identité. Ce fut à la fois sa grandeur et sa faiblesse.
Claude Dupont