Le jeudi 30 mars 1950, en début d’après-midi, Léon Blum s’effondre à sa table de travail dans la maison du Clos des Metz, à Jouy-en-Josas où il vit avec son épouse Jeanne depuis leur retour de déportation. Il allait avoir 78 ans le 9 avril. Immédiatement prévenu, le président de la République Vincent Auriol part en voiture saluer son « ami de trente ans » comme il le confiera quelques jours plus tard. Il exprime l’immense chagrin du parti socialiste et de la France à l’annonce de cette mort.…
Le lendemain, le visage de Blum occupe la première page du quotidien du parti socialiste, Le Populaire. Ils sont nombreux à venir seul ou en délégation, comme les Vétérans socialistes, saluer Blum une dernière fois, allongé sur sa chaise longue divan dans le bureau même où il a eu sa syncope fatale. Les obsèques sont annoncées pour le dimanche 2 avril, place de la Concorde. Nous publierons dans les prochains jours les discours de Vincent Auriol, Guy Mollet, prononcé ce jour-là, et les hommages parus dans Le Populaire.
Une semaine plus tard, dans Le Populaire Dimanche, le journaliste Henri Marc, sous le titre « La radio rend hommage à Léon Blum » revient sur cette journée du vendredi 31 mars.
« Tout continue. La vie, le travail, les distractions… Et, pourtant, notre grand patron n’est plus parmi nous…
Vendredi dernier, après avoir écouté les informations de 20 heures, sur la « parisienne », je me demandais machinalement de quelle émission je pourrais parler. Aucune, vraiment, même la meilleure, ne me semblait, cette fois, digne d’intérêt.
Puis un speaker annonça :
– La R. D. F. présente, en hommage à Léon Blum : A l’échelle humaine, une émission spéciale du « Journal parlé ».
L’émission débuta par le rappel des mots, émouvants et simples, prononcés la veille par M. Georges Bidault :
– Ceux qui l’ont connu l’ont aimé. J’incline le témoignage de ma douleur devant les siens, et je salue, le jour où elle quitte la terre, cette vie d’un seul trait et d’une seule conviction.
D’un ton amer, Guy Mollet rappela l’optimisme, la joie de Léon Blum, la veille de son décès, chez Oreste Rosenfeld, où tous les rédacteurs de notre hebdomadaire se trouvaient réunis :
— Vous savez, ça va, ça va mieux ! avait affirmé gaiement Léon Blum…
« Puis, poursuivit Guy Mollet, il évoqua des souvenirs, et les jeunes rédacteurs du « Populaire-Dimanche », qui le voyaient hier pour la première fois – et, hélas ! la dernière se souviendront, j’en suis sûr, toute leur vie, de ses impressions de jeunesse. »
Oui, Guy Mollet, nous nous souviendrons !
Après cette évocation de l’homme par Guy Mollet – cet « homme grand format », selon le propre terme de Jean Amrouche – les animateurs de l’émission passèrent la parole à Jean Guéhenno, que Léon Blum appelait affectueusement « le petit Guéhenno » .
– Ses ennemis disaient de lui qu’il était un « aristocrate ». En fait, il était de ceux à qui le monde comme il va ne peut suffire. Il faut qu’ils le changent. Avant d’être un « politique », il avait été le plus frémissant des artistes. C’est là ce qui devait l’amener à la Révolution.
– Moi qui fus le plus souvent du camp opposé, affirma René Coty, je l’ai profondément admiré, lui qui fut toute confiance, toute conscience, toute noblesse…
« .… Dès qu’il est apparu à la tribune, nous avons tout de suite reconnu en lui le successeur de Jaurès… »
– Il est mort, dit Émile Bure, comme tous les journalistes voudraient ou devraient mourir la plume à la main…
Maurice Viollette et Bracke parlèrent ensemble de l’homme politique et du socialiste. Léon Blum fut l’homme le plus courageux que j’aie jamais connu, conclut Bracke : courageux contre la souffrance, contre toutes les souffrances qu’il a dû subir, courageux contre lui-même.
Léon Jouhaux et Paul Grunebaum-Ballin évoquèrent le lendemain des élections de 1936, les grandes réformes qui ont ouvert à la classe ouvrière une vie nouvelle.
Et un disque, soudain, nous permit de revivre l’enthousiasme de la foule qui l’acclamait alors. Puis sa voix douce et forte à la fois, qui annonçait la formation du gouvernement du Front populaire » de 1936.
…Et quelques notes de l’Internationale.
Enfin, Paul Péronnet lut la conclusion de son dernier livre « A l’échelle humaine ».
« La race humaine a créé la sagesse, la science et l’art, pourquoi serait-elle impuissante à créer la justice, la fraternité et la paix ? Quand l’homme se trouble et se décourage, il n’a qu’à penser à l’humanité.
Une émission bouleversante. C’était vendredi dernier, Léon Blum nous avait quitté depuis vingt-quatre heures.
Henri Marc
Le Populaire Dimanche, hebdomadaire national du Parti socialiste (SFIO), dimanche 9 avril 1950, n°76, p. 12