Arthur Delaporte, historien, secrétaire général adjoint de l’OURS, a été réélu député socialiste du Calvados lors des dernières législatives.
Comment s’est passée la campagne électorale post-dissolution ?
Lorsque la rumeur d’une dissolution a commencé à emplir la Bellevilloise, où le Parti socialiste tenait avec Raphaël Glucksmann la soirée électorale du 9 juin, les sourires ont commencé à se dissiper. Alors que nous pensions « savourer » nos près de 14 %, dans une décision non concertée et – en apparence au moins – peu rationnelle, Emmanuel Macron convoquait de nouvelles élections. La nuit avait muté en une succession de conclaves. Qu’espérait le président ? Que la gauche se diviserait, lui laissant la seconde place face au RN et donc un élargissement de sa majorité ?
Quoi qu’il en soit, cette campagne a été marquée par le retour d’une union de la gauche sur des bases rééquilibrées à l’aune du rapport de force des Européennes, avec la constitution en moins de cinq jours du Nouveau Front populaire et de son programme. Dans la plupart des départements, les socialistes ont battu le terrain.
Dans le Calvados pour ma part, j’ai pu m’appuyer sur les réseaux de la campagne d’union de la gauche de 2022 mais, très vite, il a bien fallu s’apercevoir que l’afflux de volontaire dépassait nos attentes. La boucle WhatsApp principale de la campagne a fini par compter plus de 350 membres contre un peu plus d’une centaine en 2022, sans compter toutes celles et ceux qui ont mis la main à la pâte pour des distributions çà et là. Il y avait – comme dans la plupart des campagnes du NFP – à la fois l’espoir de l’union mais aussi, et peut-être surtout, une mobilisation inédite face à la crainte de l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Une campagne éclair donc, mais extrêmement intense et joyeuse d’un point de vue militant.
L’inquiétude cependant d’observer, dans certaines parties de ma circonscription où j’ai pourtant été très présent, la progression du vote RN – en dépit d’une candidate fantôme et raciste – assumée par des citoyens de plus en plus hostiles, voire virulents. Le constat quotidien du rejet extrêmement fort de Jean-Luc Mélenchon, quand bien même des électeurs exprimaient leur satisfaction de la candidature unique à gauche. Au soir du second tour, un immense soulagement face à l’échec relatif du RN grâce aux désistements républicains, impulsés par la gauche mais pratiqués aussi par le camp présidentiel. La tristesse enfin de voir des camarades battus par la poussée du RN, dans la ruralité notamment, que le meilleur travail d’ancrage n’a pas pu empêcher. Je pense par exemple à Valérie Rabault ou Fabien Roussel.
À quoi ressemble la nouvelle Assemblée nationale ?
À l’heure où nous nous posons la question du nouveau visage de l’Assemblée nationale (NDLR : le 25 août), la réponse reste largement parcellaire. D’un point de vue strictement arithmétique, aucune majorité absolue ne se dégage, mais le Nouveau Front populaire constitue avec 193 députés la majorité relative. Avec désormais 66 députés socialistes et apparentés contre 31 en 2022, le groupe connaît la plus forte progression (+ 113 %). Dans les circonscriptions non acquises à la gauche en 2022, les candidats socialistes ont remporté 26 % de leurs duels ou triangulaires contre 16 % pour les écologistes et 10 % pour les insoumis.
Le climat dans l’hémicycle aurait-il changé ? Les premières et rares séances de juillet pour les élections aux postes clés ont pu être mouvementées. Je pense notamment à une opération de fraude électorale sur l’élection des vice-présidents (dont les auteurs restent à ce jour non identifiés) puisque le nombre de bulletins dépassait de 10 le nombre de votants potentiels. Je pense également à l’attitude extrêmement agressive de plusieurs députés macronistes dont le ministre de l’Intérieur démissionnaire prenant à parti d’autres députés… Cela n’augure peut-être pas de l’apaisement à venir des débats. Mais comment pourrait-il en être autrement quand chaque vote se jouera sur des combinaisons variées en raison de la tripartition de l’Assemblée avec trois blocs quasi équivalents (NFP, EPR/bloc présidentiel, RN) et deux entités de moindre importance : les 47 de la « droite républicaine » (L. Wauquiez) et le groupe composite des 22 Liot (allant d’ex-socialistes dissidents à d’ex-LR).
Ne surestimons pas non plus l’unité du camp présidentiel : chaque groupe (99 Ensemble, 36 Modem et 31 Horizons) joue sa partition, comme l’ont montré les courriers séparés envoyés par Gabriel Attal et Laurent Marcangelli (Horizons) aux autres groupes (hors RN et hors LFI…) au milieu du mois d’août.
La nouvelle Assemblée nationale est donc composite, plurielle, à l’image d’un pays fracturé. La dissolution n’a pas aidé à éclaircir le paysage mais a rappelé la relatéralisation de l’espace politique avec un bloc de gauche, un bloc de droite libérale et l’extrême droite.
Quelles perspectives désormais ?
Si les macronistes tablaient sur la division de la gauche et le ralliement a minima de la quasi-totalité des socialistes, de Liot et de la Droite républicaine pour constituer une majorité stable (166+66+47+22 = 301), force est de constater que l’opération n’a – jusqu’à ce jour à tout le moins – pas fonctionné et semble irréaliste. Pour deux raisons.
La première est la quasi-impossibilité de former un accord de coalition entre des projets antagonistes. Alors que la droite et le bloc macroniste défendent la baisse des dépenses de l’État (donc la réduction de la voilure des services publics), des sanctions accrues à l’égard des chômeurs et des allocataires du RSA, le durcissement des politiques à l’égard des migrants frisant allègrement, on l’a vu, avec l’inconstitutionnalité, comment penser que des socialistes se rallient à ce projet ?
Par ailleurs, des calculs plus politiques rendent cette hypothèse de coalition au centre difficile : la perspective, anticipée par un grand nombre de parlementaires, d’une dissolution à l’horizon d’un an n’aide pas à s’engager dans le ralliement à un pôle de centre-droit autour d’une majorité présidentielle élargie sur sa gauche et sur sa droite. Le sceau de la trahison serait impossible à porter en cas d’élections nouvelles. Partant de ce constat d’échec, l’hypothèse que défend la gauche – acter une cohabitation avec un gouvernement minoritaire de Front populaire avec Lucie Castets ayant pour tâche d’aller chercher des majorités texte par texte – devrait s’imposer. Le président s’obstinera-t-il à présenter un gouvernement s’appuyant sur ses 166 députés, en espérant ne pas être censuré par les autres ? Les prochains jours le diront et il est fort possible que mes réponses soient dépassées à l’heure de la diffusion de L’Ours. Jean-Luc Mélenchon semble faire un pas vers un soutien sans participation qui met le camp présidentiel face à ses discours : leur refus était-il celui de voir LFI au pouvoir ou, plus largement, celui de toute la gauche ?
Si un gouvernement de NFP, que je souhaite, tient le choc des trois prochains mois, arrivant à nouer des accords au sein du Parlement, une dissolution dans un an ne serait peut-être pas l’hypothèse la plus probable : quel effet aurait-elle ? Si elle a pour conséquence de porter le RN au pouvoir, on peut espérer que, cette fois-ci, le président de la République ne s’y risquera pas.
Propos recueillis par L’ours le 25 août 2024