Vincent Tiberj, professeur des universités à SciencesPo-Bordeaux, est co-directeur avec Laurent Lardeux d’une enquête auprès des jeunes parue sous le titre Génération désenchantée ? Jeunes et démocratie (Institut national de la Jeunesse et de l’Éducation populaire, La Documentation française, 2021, 240p, 21€).
Quelles relations les jeunes entretiennent-ils avec la démocratie ?
L’ouvrage collectif que j’ai co-dirigé s’appuie sur l’enquête européenne « Valeurs des européens ». Cette dernière, publiée environ tous les dix ans, permet de suivre l’évolution politique de la France depuis les années 1980. Elle nous a permis notamment d‘analyser en détails le rapport que les jeunes entretiennent avec la politique et la démocratie. On considère trop souvent que la jeunesse a un problème avec cette dernière, en soulignant le fait qu’ils votent moins, s’intéressent moins aux élections et participent moins à la vie politique que le reste de la population. En réalité la situation est plus complexe. Si leur attachement à la démocratie reste fort, en revanche ils ne se retrouvent pas dans la conception verticale des générations antérieures. Ils souhaitent une démocratie plus inclusive, plus sociale et qui permette de s’exprimer davantage. Et s’il est vrai que leur rapport au vote est devenu intermittent, leur participation emprunte désormais d’autres voies. Beaucoup d’entre eux considèrent en effet que le vote ne suffit plus et qu’il faut utiliser d’autres moyens d’action, comme par exemple la participation protestataire, les manifestations, le boycott ou les réseaux sociaux.
Quelles sont les valeurs des jeunes ?
Les valeurs des jeunes ne correspondent pas à l’image que l’on en a en général. Ils sont souvent présentés comme la génération « Instagram », celle des selfies, c’est-à-dire tournée uniquement vers soi. Or, les millenials sont au contraire une génération particulièrement altruiste, attachée à la solidarité et concernée par le sort de ses voisins, de ses amis, de ses proches et plus généralement d’autrui. Par ailleurs, les questions socio-économiques restent importantes. On a tendance à penser que le marché et l’individualisme triomphent aujourd’hui ; or, l’enquête nous montre au contraire que pour les jeunes, comme pour l’ensemble de la population française, les demandes de redistribution, d’intervention de l’État ou d’actions permettant de renforcer la cohésion sociale restent fortes. Ce constat est particulièrement marqué pour les jeunes. Enfin, en termes de valeurs liées à l’immigration, au multiculturalisme et au genre, le constat principal est le suivant : plus une génération est récente, plus son degré d’ouverture sur ces questions est important, c’est-à-dire plus elle accepte l’homosexualité et les nouvelles structures familiales et plus elle considère l’immigration comme un plus. En outre, on peut également se réjouir de constater que la France dans son ensemble a beaucoup progressé dans son acceptation collective de l’immigration, donnée que l’on pourrait oublier à l’écoute de Cnews et sans la lecture des travaux sociologiques sérieux.
Quelles propositions feriez-vous pour améliorer la relation entre les jeunes et la démocratie ?
Il est donc clair que le lien entre la jeunesse et la démocratie n’est pas rompu, même si une forme de distance s’est instaurée entre la première et la démocratie représentative, les élus et le vote. Toutefois, les nouvelles générations – comme toutes celles qui ont suivi les baby-boomers – souhaitent une démocratie plus inclusive, accordant plus de place à l’intervention des citoyens, à leur participation et au partage de la prise de décision. Et si effectivement les citoyens font de moins en moins confiance à leurs élus, face à cela, ces derniers devraient quant à eux placer une confiance de plus en plus forte dans leurs concitoyens. En effet, plus une génération est récente, plus elle est diplômée, plus elle a les moyens de s’informer et donc plus ses membres sont en capacité de jouer leur rôle de citoyen. Sortons de cette logique d’une démocratie « minorative », c’est-à-dire qui conçoit les jeunes comme une catégorie qu’il faut tenir à distance. Il s’agit d’un point essentiel et il est aujourd’hui indispensable de trouver les moyens de renforcer leurs différents modes de participation. Si je ne suis pas opposé par exemple à la proposition du droit de vote à 16 ans, n’oublions pas que l’essentiel est au-delà du droit de vote. En effet, si aujourd’hui les moins de 50 ans votent moins ou de manière plus intermittente, c’est parce qu’ils considèrent que le vote ne suffit pas pour s’exprimer, voire même que le message de leur vote est capté et confisqué dès lors qu’ils ont mis leur bulletin dans l’urne. Il faut ouvrir de nouvelles formes de participation, via des conventions, des réunions de quartier ou des référendums ; c’est le seul moyen pour que le vote retrouve l’importance qu’il a perdue. Pour ce faire, il nous faut grandir collectivement et arrêter notamment de considérer que le référendum possède nécessairement une logique plébiscitaire et se traduit par un soutien à celui ou celle qui pose la question. Il nous faut donc progresser vers plus de démocratie.
Propos recueillis par Isabelle This-Saint-Jean (L’OURS 510, Juillet-août 2021)