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La mixité scolaire, un choix de société, par LUC BENTZ

(a/s de Yannick Trigance, Mixité sociale et scolaire. Quels leviers pour quel projet ?, coll. « La petite boîte à outils », Fondation Jean-Jaurès/éd. de l’aube, 89p, 8,90€)

La gauche a été longuement, durablement, profondément tétanisée par l’échec du projet Savary de grand service public unifié de l’Éducation nationale en 1984. En outre, l’usage politique et médiatique du terme laïcité s’est déplacé, dans l’École (« foulards de Creil », 1989) comme ailleurs (attentats terroristes ; Afghanistan et Proche-Orient). Si l’approche par la laïcité du débat « public/privé » s’avère moins opératoire, la question a fortement resurgi, sous l’angle de la mixité sociale et scolaire, avec la publication en octobre 2022 des « indices de position sociale » (IPS) des collèges publics et privés1.

Le constat
Même si, à 95 %, l’enseignement privé reste très majoritairement catholique dans l’affichage, le choix des familles y est de moins en moins marqué par un choix confessionnel et, de plus en plus, la résultante d’un séparatisme aux stratifications diverses (du collège Stanislas à l’établissement « protégé » de ville moyenne ou de banlieue). Cette question avait déjà été abordée dans un ouvrage récent de François Dubet et Najat Vallaud-Belkacem dont nous avons rendu compte ici même (L’Ours 535). Yannick Trigance lui apporte ici le très heureux prolongement qu’on pouvait attendre du secrétaire national du PS à l’éducation.

S’il est évidemment militant, l’ouvrage – qui pointe la vanité d’une démarche qui ne viendrait que « d’en haut » – n’est ni sommaire ni simpliste». Le débat est posé dans les termes d’aujourd’hui et prend en compte les éléments défavorables qui pourraient le bloquer.

Le livre contient, après une introduction de six pages, deux parties inégales par leur ampleur. La première, en douze pages, traite de la problématique de la mixité (sociale et scolaire) comme choix de société. La seconde, sur une cinquantaine de pages, revient sur ces « leviers » évoqués déjà dans le sous-titre de l’ouvrage. On reste bien dans la dimension « boîte à outils » de la collection.

L’auteur rappelle les dangers de fracturation résultant de l’archipélisation de la société française (J. Fourquet). Il s’appuie sur les travaux internationaux (PISA) ou la recherche universitaire. Pourtant, l’ambition portée par la loi Peillon de « viser à la mixité sociale des publics scolarisés » a été détricotée. Y revenir passe par une volonté politique, au rebours finalement de la politique conduite continument depuis 2017, marquée par un refus de réduire structurellement les inégalités, en commencement par le financement dont l’enseignement privé n’est jamais avare : « L’argent tout de suite, les objectifs plus tard, la contrainte jamais », indique-t-il en citant le Comité national d’action laïque (CNAL). Il revient à cet égard sur les sévères observations de la Cour des comptes (L’enseignement privé sous contrat, 2023), mais aussi sur les réponses plus contraignantes en matière de financement préconisées pour prendre en compte la dimension de mixité sociale et scolaire : proposition de loi de Pierre Ouzoulias (sénateur PCF) en 2023 ; propositions de loi des sénateurs et des députés socialistes (mars 2024)…

L’éducation est affaire de volonté politique ; elle doit s’inscrire dans une politique interministérielle d’ensemble incluant la politique du logement. Citant les travaux de Philippe Watrelot, il rappelle qu’« une accumulation de dispositifs ne fait pas une politique éducative cohérente ». Malgré d’apport positif et l’intérêt de l’expérience conduite en Haute-Garonne dont il vante la logique de co-construction délibérative, il mesure avec le sociologue Choukri Ben Ayed les limites des initiatives locales.

Combattre le séparatisme scolaire
La conclusion rappelle l’objectif qui fonde le propos de Yannick Trigance  : « mettre un terme à cette situation incroyablement scandaleuse qui amène des générations d’élèves à grandir dans le même pays sans jamais côtoyer les bancs d’une même école, sans se rencontrer véritablement et donc à devenir des adultes totalement étrangers à l’altérité, pourtant pierre angulaire de notre ciment républicain ». Un propos non partagé par la majorité du Sénat qui vient de rejeter d’un revers de main la proposition de loi des sénateurs socialistes allant en ce sens : le combat contre le séparatisme social et scolaire continue !
Luc Bentz
Article paru dans L’ours 538, novembre-décembre 2024

1. Le ministère de l’Éducation nationale y a été contraint après sa condamnation par le juge administratif, saisi par un journaliste de la Gazette des communes.

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