Les « maquis » restent aujourd’hui dans la mémoire collective, ce qui résume le mieux, en tous cas le plus simplement, ce que fut et ce que fit la Résistance en France occupée. Pourtant, comme le note d’emblée l’auteur dans cette synthèse que l’on attendait, leur histoire n’a jamais duré que quelques mois, « 500 jours » pour les premiers camps apparus en 1943, beaucoup moins pour d’autres.
À propos du livre de Fabrice Grenard, Les maquisards. Combattre dans la France occupée, Vendémiaire, 2019, 609 p, 26€)
Les maquis charrient avec eux nombre d’images puissantes, colportĂ©es par la photographie et la bande dessinĂ©e plus que par le cinĂ©ma, qui associent le jeune combattant portant bĂ©ret, brassard FFI et mitraillette Sten, avec l’imaginaire de la montagne et de la forĂªt, pour en faire l’incarnation mĂªme de la RĂ©sistance, voire son « couronnement ».
C’est tout le mérite du livre de Fabrice Grenard, auteur d’un ouvrage remarqué sur Georges Guingouin(1), aujourd’hui directeur historique de la Fondation de la Résistance, que de rouvrir à nouveaux frais un sujet qui, paradoxalement, n’a guère fait l’objet de synthèses(2). L’auteur suit un plan classique, qui fait succéder aux premiers camps de réfractaires de l’hiver 1942 les maquis déjà « militarisés » du printemps et de l’été 1943 qui, renforcés au printemps 1944 par un flot de néophytes, passent à l’action et libèrent des portions du territoire, quitte à connaître le feu de la Wehrmacht et la terrible répression qu’elle inflige.
Rejoindre les maquis
Son rĂ©cit chronologique mĂ©nage par ailleurs de longs arrĂªts sur images sur les filières d’accès, les rapports avec la population, la « vie inimitable »(3) mais rude et ennuyeuse, que de jeunes citadins dĂ©couvrent difficilement dans les fermes d’alpage de Haute-Savoie, les bergeries du Vercors, les burons du Cantal ou les sapes forestières du Limousin sur le modèle des « gourbis » des poilus de 14-18. La recherche, nourrie de sources primaires dĂ©pouillĂ©es dans plusieurs dĂ©partements (Ain, Corrèze, Haute-Savoie et bien sĂ»r Haute-Vienne), de la masse de tĂ©moignages publiĂ©s et des travaux de ces dernières annĂ©es(4), apporte incontestablement du neuf, ne serait-ce que sous la forme de synthèses prĂ©cises et Ă©clairĂ©es. Fabrice Grenard rappelle ainsi qu’avant mĂªme les rĂ©quisitions massives de main-d’œuvre pour l’occupant, il existe dĂ©jĂ des caches en milieu rural pour des rĂ©sistants « grillĂ©s » en ville : ainsi RenĂ© Char, futur « capitaine Alexandre » dans les Basses-Alpes, Henri Plantaz et Jean-Claude Carrier dans l’Ain, Georges Guingouin en Corrèze, mais aussi des rĂ©publicains espagnols et des communistes Ă©trangers, comme l’Allemand Otto KĂ¼hne en Lozère.
La « relève » de l’automne 1942 et surtout le STO de fĂ©vrier 1943, mĂªme si l’auteur rappelle que seule une fraction des « rĂ©fractaires » prend le maquis, suscitent les premiers camps, qui se greffent parfois sur ces noyaux prĂ©existants. Il montre aussi que les structures de la RĂ©sistance se saisissent finalement plutĂ´t rapidement de la question du rĂ©fractariat : la première circulaire des MUR (Mouvements unis de RĂ©sistance) sur les maquis date du 1er avril 1943, bientĂ´t suivie de la crĂ©ation d’un « Service national maquis ».
La répression
Le dĂ©veloppement et la « militarisation » des maquis, malgrĂ© le manque criant d’armes jusqu’aux grands parachutages du printemps 1944, amène les premières attaques militaires allemandes qui s’enchaĂ®nent de janvier Ă mars 1944 : Korporal dans l’Ain, Hochsavoyen Ă Glières, Aktion Brehmer dans le Limousin. Elles annoncent, avec leur cortège de rafles, d’exĂ©cutions sommaires et de destructions, les grands massacres de l’étĂ© 1944, dont Oradour-sur-Glane n’a pas le triste monopole. Car la « levĂ©e en masse » de juin 1944, si elle libère, le plus souvent de façon Ă©phĂ©mère, des fragments de territoire (les « zones libĂ©rĂ©es » de l’Ain, du nord Ardèche, du Vercors, du mont Mouchet, du Sud-Ouest), provoque de nouvelles opĂ©rations allemandes, parfois d’envergure : près de 10 000 soldats sont ainsi mobilisĂ©s contre le Vercors, près de 3 000 au Mont Mouchet. C’est aussi cette association de la gloire et des larmes, pour paraphraser Louis Aragon, qui assure la notoriĂ©tĂ© des maquis après-guerre et les installe durablement dans la mĂ©moire collective. C’est peut-Ăªtre Ă ce sujet que l’on se prend Ă regretter l’absence de traitement de la mĂ©moire des maquis dans le livre. Mais il est dĂ©jĂ assez Ă©pais pour que l’on s’en satisfasse pleinement. On attendait depuis longtemps une grande synthèse sur les maquis. On l’a.
Gilles Vergnon
(1) Une légende du maquis. Georges Guingouin du mythe à l’histoire, Vendémiaire, 2014 (L’OURS 441). (2) À l’exception de celle de Stéphane Simonnet, Maquis et maquisards, Belin, 2015. (3) Titre du superbe livre de l’ex-maquisard Yves Pérotin, La Vie inimitable. Dans les maquis du Trièves et du Vercors en 1943 et 1944, Grenoble, PUG, 2014 (L'OURS 447). (4) Parmi lesquels : Raphaël Spina, Histoire du STO, Perrin, 2014 ; Claude Barbier, Le maquis de Glières. Mythe et réalité, Perrin, 2014 ; Gilles Vergnon, Résistance dans le Vercors. Histoire et lieux de mémoire, Glénat, 2014, et les propres ouvrages de l’auteur.