Qui est l’abbé Grégoire (1750-1831) ou plutôt qui est l’ancien évêque de Blois ? C’est à cette question que tente de répondre l’autrice de ce livre en soulignant combien ce personnage historique est finalement mal et peu connu. (a/s de Françoise Hildesheimer, L’Abbé Grégoire, Une tête de fer en Révolution, Nouveau monde, 2022, 412 p, 24,90€)
L’abbé Grégoire reste en grande partie un inconnu en dépit de sa panthéonisation en 1989 en même temps que Monge et Condorcet sur décision de François Mitterrand. Il sera réintégré dans la liste des évêques de Blois par son lointain successeur, Mgr de Germiny.
Homme de foi et des Lumières
Organisé en huit chapitres qui couvrent la totalité de la vie de l’abbé, puis de Mgr Grégoire, et examine sa survie posthume jusqu’à l’entrée au Panthéon, églises désacralisée, lui qui a combattu tout sa vie pour le maintien d’une structure religieuse gallicane, ce livre d’une archiviste-paléographe, se lit très agréablement.
Il est né en Lorraine à Vého, près de Luneville, le 4 décembre 1850, d’un père tailleur d’habits et d’une mère très pieuse qui joua un rôle dans sa vocation. Il fréquente une institution religieuse, reçoit une solide instruction notamment au collège des jésuites de Nancy. Il se frotte ainsi à la culture des humanités classique (latin, grec) mais apprend également les langues vivantes (anglais, italien, espagnol, allemand). Bref, il acquiert une très solide culture. Compte-tenu des archives disponibles, on ne sait pas grand-chose de sa vie d’enfant et d’adolescent et plus largement de ce qu’il pensait réellement. Il a laissé des papiers et des ouvrages nombreux qui construisent un personnage que l’autrice s’efforce de déconstruire. Jeune homme il s’intéresse au courant des Lumières, participe aux sociétés savantes, fréquente des nobles cultivés, écrit un temps des vers, puis des essais, mais n’apprécie guère Voltaire, Bayle et Diderot alors qu’il lit avec beaucoup d’enthousiasme Rousseau, l’homme du vicaire Savoyard.
Lorsque l’on est très brillant élève comme lui, mais né dans un milieu relativement modeste, la carrière ecclésiastique est une possibilité qui permet d’échapper au déterminisme social. C’est le choix qui est le sien et il entre au séminaire de Metz où les professeurs sont gallicans et jansénistes. Il restera toute sa vie influencé par ces deux approches. Ordonné prêtre en 1775, il est vicaire, puis rapidement curé d’une paroisse importante, Emberménil, ce qui lui donne une certaine aisance financière. Il rencontre le pasteur Oberlin et s’intéresse ainsi aux questions éducatives. Il s’éloigne de la monarchie absolue et fonde une société philanthropique qui comprend nombre de notables, crée, en homme des Lumières, une bibliothèque, une école d’agriculture. Il est proche aussi de l’importante communauté juive de Metz et fustige dans un mémoire les discriminations dont les Juifs sont l’objet. Lorsque la Révolution se met en marche et qu’une constitution civile du clergé est votée, il est élu évêque de Blois. S’il n’exerce réellement ses fonctions épiscopales qu’une année, mais avec beaucoup de zèle (nombreuses visites pastorales, prêches, confirmations, il rencontra par ailleurs de nombreux obstacles), le reste du temps, il gère son diocèse… par correspondance ! S’il est démissionné en 1801 avec le concordat de Bonaparte et n’est pas intégré comme quelques autres dans le nouvel épiscopat, il se considère jusqu’à la fin de sa vie comme revêtu de la dignité épiscopale et mourra en évêque, en dépit des difficultés liées à la nouvelle organisation de l’Église. Il a défendu jusqu’au bout l’Église constitutionnelle, considérée comme schismatique par le pape. Il meurt le 28 mai 1831 à Paris : 20 000 personnes suivent ses obsèques au cimetière Montparnasse. Mais ceux qui suivent le cortège le font, souvent pour des raisons non religieuses : c’est un peu de la Révolution que l‘on met en terre.
Un révolutionnaire modéré
Evêque il l’a été, mais il a surtout exercé des responsabilités politiques au niveau local, puis national. Il est ainsi élu député aux États généraux et se fait reconnaître. Il est un temps président de l’Assemblée nationale et participe, en tant que membre du bas clergé, à l’abolition des privilèges. Curé des Lumières, il remet en cause l’existence des trois ordres et de ce fait l’ordre monarchique traditionnel. Membre de la constituante, il est, en même temps qu’évêque de Blois, président du conseil général et défend la République. Il en définit d’ailleurs les emblèmes. C’est un chrétien révolutionnaire, opposé à la peine de mort. Il réussira ainsi à ne pas voter la mort du roi, étant à ce moment en mission, même s’il a recommandé la condamnation par écrit. Jacobin, il participe à la proscription des girondins. En revanche, il est en désaccord, en 1793, avec la politique de déchristianisation et rêve de l’établissement d’une concorde universelle. Finalement, il devient membre du Comité d’instruction publique où il participe à l’élaboration de nombreux projets de loi dont peu aboutiront, tel la création d’écoles normales pour former les futurs instituteurs. Il lutte aussi pour l’abolition de l’esclavage et lorsque Bonaparte reviendra partiellement sur la loi qui avait été votée en ce sens, ce sera un élément de son opposition au futur empereur. Nommé sénateur, puis comte d’Empire, il sera finalement démis de ses fonctions avec le retour de la monarchie, même s’il est élu député en 1819 et exclu de l’assemblée comme régicide. La révolution de 1830 représente pour lui un véritable espoir, mais vite déçu.
Un homme complexe
Dans les dernières années de sa vie, il apparaît ainsi progressivement comme un homme du passé et se consacre à la rédaction d’ouvrages, notamment ses mémoires et à voyager en Europe. En 1977, Albert Soboul publiera une édition de ses œuvres complètes en 14 volumes. C’est donc un homme des Lumières, resté fidèle à ses engagements d’origine, en dépit des circonstances, aimant les honneurs et les fonctions officielles, vivant modestement, sans avoir profité, par exemple, de la vente des biens nationaux, soucieux d’influencer le cours des choses et qui a cru jusqu’au bout à l’utopie d’une Eglise gallicane renouvelée par la Révolution. C’est cette complexité que montre avec brio et grande rigueur l’autrice de ce livre : il permet ainsi de mieux comprendre comment la traversée de ces époques par ce lorrain a été possible.
Bruno Poucet
article paru dans L’ours n°520, juillet-août 2022