Voici un ouvrage original que méritait bien le parcours de Michel Offerlé : des mélanges qui n’en sont pas, un passage de relais, de recherches qui se continuent. Après avoir labouré des terres nombreuses et variées, voici le temps de laisser se poursuivre l’aventure autrement, avec d’autres chercheurs qui ont repris à leur compte l’entreprise intellectuelle. Signe de la fécondité du parcours engagé. Comment faire mieux connaître le professeur Offerlé et ses travaux ? À propos du livre dirigé par Hélène Michel, Sandrine Lévêque, Jean-Gabriel Contamin, Rencontres avec Michel Offerlé, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2019, 540p, 29,50€
Tel est le défi ici lancé : un abécédaire proposé par 71 auteurs. Un abécédaire c’est un outil d’apprentissage. Ce sera ici celui d’un certain type de recherches. Et ainsi comme les abeilles de Montaigne, on pourra « pilloter deci, delà, les sucs des fleurs afin d’en faire un miel tout leur ». Mettons-nous à l’ouvrage.
Présentons d’abord le maître de la ruche : Michel Offerlé est un homme d’échanges, de collaborations qui a commencé par un parcours en histoire du droit avant d’ouvrir des perspectives nouvelles en science politique. Outre sa thèse d’État (sur la construction du PS), il est l’auteur de 9 ouvrages dont un « Que sais-je » (Les partis politiques) maintes fois réédité, de 7 directions d’ouvrages, de 9 coordinations de revues, de 40 chapitres d’ouvrages, de 34 articles, mais également de nombreuses interventions dans la presse. C’est dire si Michel Offerlé est sorti du monde pas toujours feutré de la recherche pour entrer dans les débats du temps. Mais il est aussi et surtout quelqu’un qui a eu la préoccupation de l’encadrement des étudiants puisqu’entre 1994 et 2013, 56 thèses ont été soutenues sous sa direction. Il ne s’est pas enfin enfermé dans son rucher puisqu’il a été également présent dans nombres d’instances : administration, CNU, jury d’agrégation, etc.
Spécialiste du patronat et du MEDEF (objet de recherche peu fréquent à l’époque), du vote, de l’histoire ouvrière, Michel Offerlé a rencontré sur son chemin Maurice Duverger, mais il n’est pas resté insensible aux travaux de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault, sans oublier Boltanski. On aboutit ainsi à une sociohistoire du politique qui dépasse les frontières disciplinaires. Il fait preuve d’une volonté interdisciplinaire, qui se joue des frontières nationales. Il fait ainsi dialoguer sociologues et historiens et ouvre une large place aux enquêtes de terrain. Toute une réflexion est menée sur la construction de l’objet de recherche : « ce n’est pas le carton [d’archives] qui fait l’objet mais l’objet qui fait le carton » se plaisait-il à répéter.Bref, on est loin d’une sociohistoire positiviste. C’est la question qui permet d’aller à la recherche des matériaux permettant de construire l’objet. Être chercheur, c’est être inventeur de ses archives… mais sans oublier la dure réalité des archives qui sont là et ne peuvent être esquivées.
Faisant partie des sociologues critiques, il s’interroge sur le vote, sur les raisons de celui-ci, sur la manière dont se construit une politique de professionnels, mais également sur l‘histoire ouvrière et patronale. C’est donc tout un pan de notre histoire intellectuelle qu’il a contribué à construire avec d’autres et que de nombreux chercheurs poursuivent autrement. Un grand merci !
Bruno Poucet