AccueilActualitéLe difficile plaidoyer du préfet Lallement, par THIBAULT DELAMARE

Le difficile plaidoyer du préfet Lallement, par THIBAULT DELAMARE

Didier Lallement, nommé préfet de police de Paris en mars 2019 en pleine crise des Gilets jaunes, l’est resté jusqu’en juillet 2022. Il fut particulièrement décrié pour la hausse des violences policières qui découlait de sa doctrine du maintien de l’ordre et pour sa communication tranchante où il définit des « camps », entre ceux de l’ordre et les insurgés.  (a/s de Didier Lallement avec Jean-Jérôme Bertolus, L’ordre nécessaire, Robert Laffont, 2022, 270p, 19€)

La « PP » bénéficie d’une très forte autonomie au vu de la spécificité de la capitale dans la vie politique française, avec une autorité s’étendant sur Paris et toute l’Île-de-France en matière de gestion de crise. Didier Lallement y a établi une doctrine confrontationnelle de maintien de l’ordre. L’ouvrage écrit avec Jean-Jérôme Bertolus, ex-chef du service politique de France Info, présente autant sa philosophie politique, ses analyses d’événements que la description de son rôle et de ses actions. Il se fonde sur des entretiens réalisés entre octobre 2021 et juillet 2022. 

Philosophie crépusculaire
Dès les premières pages, Didier Lallement exprime une philosophie crépusculaire de notre nation, avec un État s’effondrant alors que les égoïsmes s’accroissent dans un temps où les mobilisations sociales sont de plus en plus incontrôlables. Dans ce tableau, il semble ignorer les questions de probité, avec les « affaires » de Sarkozy jusqu’à Macron, qui affectent aussi la confiance entre les citoyens et leurs dirigeants. Il n’évoque pas la logique néolibérale appliquée à l’État responsable de la dégradation de la situation socio-économique et des forces de sécurité intérieure1. S’il cite la menace islamiste, il n’évoque jamais la violence d’extrême droite, alors même qu’elle ressurgit particulièrement entre mars 2021 et juin 2022. Sa compréhension des mobilisations ne prend jamais en compte les autres politiques publiques qui les affectent : urbanisme, éducation, etc. Il ne fait que déplorer l’absence de « conférence sociale » sur ces sujets en méconnaissant qu’il incarne ce refus du dialogue social. Il ne s’alarme pas de la hausse du vote en faveur du Rassemblement national chez les forces de l’ordre qu’il interprète comme un vote de « petits salariés », alors même que la dimension xénophobe de ce parti est incontestable. 

En mission pour le président, Didier Lallement adopte une politique de dissuasion par l’emploi de la force et la menace de son usage. Il idéalise un passé, celui où les CRS notamment communistes et les services d’ordre des syndicats, notamment la CGT, garantissaient un exercice de la liberté de manifester sans écueil… et que « l’Église et le communisme irriguaient la société de valeurs » ! Il se décrit comme le pater familias qu’il croit être, constatant l’échec du dialogue social dans notre vie politique sans réaliser qu’il en est une raison.

« Gilets jaunes » et « confinement »
S’il établit justement que les Gilets jaunes ont révélé une facilitation du recours à la violence dans des catégories socioprofessionnelles nouvelles, il ignore le rôle du rétrécissement de l’État dans l’aspiration des manifestants à plus d’égalité sociale face à la hausse du coût de la vie. Il ignore que les interactions entre policiers et manifestants ont un rôle substantiel dans les actions et réactions des uns et des autres. Ainsi, les violences des manifestants découlent aussi des actions des forces de l’ordre2.

L’ex-préfet attribue les excès de violence des policiers à des problèmes d’encadrement : la nécessité d’avoir un corps de sous-officiers pour les manœuvres et la discipline. Il défend l’usage du LBD afin d’éviter l’emploi d’armes de poing par des forces de l’ordre, et reconnaît le besoin de formation particulier pour son emploi. Il exprime complaisance et retenue dans ses critiques pour les écarts de ses « troupes » (affaire Zecler), complaisance inexistante pour les manifestants. S’il se félicite d’avoir évité des morts, il n’a aucune considération pour les blessés.

Son rapport aux manifestants et donc au peuple interroge puisqu’il les décrit comme une masse menaçante (il emploie le terme d’hydre, sic). Cette vision rejoint la technique de la nasse retoquée par le Conseil d’État (juin 2021), qui visait à enfermer sans discrimination les manifestants. Il néglige, volontairement ou non, la finalité de la police des foules : la « ré-individualisation » de citoyennes et citoyens, impossible si on ne les considère qu’à l’aune d’une masse compacte qu’il faut réprimer tout en bloc3. Il n’adopte une nuance dans la qualification des manifestants que quand il s’agit de justifier les « BRAV-M », créées pour aller interpeller les manifestants les plus violents. Bref, il revendique d’être un paratonnerre au bénéfice de l’Exécutif. L’Élysée peut se féliciter que le préfet de police attire la foudre à lui, mais celle-ci peut aussi croître par ses provocations.

La PP dans l’appareil d’État
Ses écarts (notamment le fameux « nous ne sommes pas du même camp » à propos des manifestants, novembre 2019) tranchent avec sa reprise en main du commandement, qu’il décrit comme une centralisation souple avec une répartition claire des compétences de ses adjoints (dont celui en charge d’éviter que des militaires de l’opération Sentinelle ne se retrouvent face à des manifestants) sous sa supervision au sein du centre de commandement, et par une proximité humaine du préfet de police avec les effectifs qu’il commande. L’attentat de la direction du renseignement de la PP serait dû à l’esprit de corps des policiers, ignorant les alertes pourtant existantes sur le sujet4.

Le scandale de la finale de la Ligue des Champions, après lequel il a présenté sa démission, révèle les besoins de penser la même centralisation des institutions concernées par les futures compétitions internationales. 

Il établit que la PP relève du « domaine réservé » du président, plutôt que du gouvernement. Cela s’inscrit dans une accélération de la captation présidentielle des compétences gouvernementales visible sous la présidence Macron comme pendant la crise COVID. Ceci exclut pour lui l’intérêt d’un lien politique entre la mairie de Paris et la PP, à l’inverse d’une vision décentralisée de la sécurité, ce qui peut se concevoir mais aussi se discuter. Il s’oppose au rassemblement au sein d’un même ministère de la police, force civile, et de la gendarmerie, force militaire, afin de préserver une logique de séparation des pouvoirs appliquée aux forces de sécurité intérieure. Enfin, il s’inquiète que le ministère de l’Intérieur se transforme en ministère de la Sécurité avec le projet de départementalisation de la police nationale, pourtant défendu dans la Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur porté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

Ses propos reflètent une vision d’un commandement civil (le préfet) sur les forces de sécurité intérieure, police et gendarmerie. Ces éléments bienvenus ne peuvent satisfaire pour autant le lecteur de gauche attaché à la collégialité du pouvoir, puisqu’ils sont dénués de réflexion en dehors de la soumission directe au président de la République.

Didier Lallement décrit en conclusion l’idéal-type du préfet de police de Paris : une nécessaire discrétion et une maîtrise de la communication ; la capacité à établir des liens avec les personnels sur le terrain et les plus hautes autorités de l’État ; et enfin la capacité à étalonner une certaine dureté et réussir à afficher des résultats. Un portrait ouvrant des pistes d’autocritique ? On en doute.

Thibault Delamare
1 – Olivier Filleule et Fabien Jobard, Politiques du désordre : La police des manifestations en France, Seuil, 2020, 304 p.
2 – Charles Tilly et Sidney Tarrow, Contentious Politics, Oxford, Oxford University Press, 2015, 288 p. Les auteurs décrivent ainsi les manifestations comme un orchestre de jazz, où chaque musicien joue sa grille mais aussi interagit avec les autres musiciens.
3 – Hélène L’Heuillet, Basse politique, haute police. Une approche historique et philosophique de la police, Fayard, 2001, 434 p.
4 – Voir les articles de Matthieu Suc dans Médiapart sur le sujet, notamment « L’agent secret que personne n’a voulu écouter » du 30 septembre 2022.

Article publié dans L’ours 523, décembre 2022.

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