Le terme « disruptif » s’emploie pour une « décharge électrique qui éclate avec étincelle ». C’est le président Trump qui aurait dit à Emmanuel Macron : « Toi et moi , on est des disrupteurs. On va bien s’entendre. » Parole d’expert… (à propos de Isabelle Lasserre, Macron le disrupteur. La politique étrangère d’un président antisystème, Éditions de l’Observatoire, 2022, 269p, 21€)
S’il y a un domaine où notre président a voulu imposer le principe de nouveauté, c’est bien celui des affaires étrangères. « Le coup de force de l’Iran » qui constitue le premier chapitre de l’ouvrage d’Isabelle Lasserre, journaliste au Figaro, en donne un exemple éclatant.
Au G7 de Biarritz, en août 2019, juste après le retrait fracassant de Trump de l’accord sur le nucléaire iranien, Emmanuel Macron décide de faire venir en catastrophe Zarif, le ministre iranien des Affaires étrangères. Il ne pourra offrir le spectacle d’une poignée de main historique entre l’Iranien et l’Américain. Qu’à cela ne tienne ! Il fera une deuxième tentative à l’ONU, quelques semaines après. En vain certes, mais avec le sentiment d’avoir malgré tout réussi un petit coup médiatique.
Joueur de poker
Tel se veut le président français. Être l’homme des paris fous. Un éternel joueur de poker. Il adore multiplier les rencontres imprévues, briser les conventions, interpeller les plus grands avec une brutale franchise. « C’est la première fois que l’on ose me dire cela ! » avouera, interloqué, Xi Jin Ping, le Chinois. Sa démarche prétend viser un double objectif : moderniser la France, restaurer sa grandeur, tout en affirmant la volonté d’instaurer une « souveraineté européenne » qui suppose une plus grande intégration des différentes nations.
À démarche nouvelle, structures renouvelées. Macron entend mettre au pas les diplomates, les experts. Il convient de dépoussiérer les cintres. On supprime la voie traditionnelle du recrutement des diploÂmates – on retrouve d’ailleurs la haine macronienne des corps constitués, des corps intermédiaires, comme les élus locaux ont pu si souvent s’en rendre compte. Les instances officielles du Quai d’Orsay sont bousculées, au profit des cellules mises en place à l’Élysée et aux Affaires étrangères. Ainsi s’accentue chaque jour le malaise du Quai, qui supporte mal que ces cellules soient les courroies de transmission du dernier caprice présidentiel. Aux diplomates restent le rôle de voiture balai et la tâche ingrate de « limiter les ondes de choc » – comme après la fracassante formule sur la « mort cérébrale de l’OTAN ».
Le bilan n’a rien d’éblouissant. On peut porter à son crédit le plan de relance européen de 750 milliards – en partie seulement, car il y eut d’autres facteurs, notamment l’intérêt commercial bien compris de l’Allemagne –, ou la réconciliation avec le Rwanda. Mais les échecs sont nombreux, comme les projets de taxe européenne sur les transactions financières, ou sur le carbone, ou sur la création d’un super ministre de la zone euro. Et, sur le terrain des conflits extérieurs, on ne pourrait guère multiplier les sujets de satisfaction.
La France, l’Europe et le monde
Notre président aura pu évaluer qu’il ne suffit pas d’avoir raison si l’on doit avoir raison tout seul. Sur la nécessité d’une défense européenne indépendante – problème effectivement crucial – la France est seule – comme les dirigeants allemands le lui ont fait rudement comprendre. Comme elle est seule, ou presque, au Sahel ou au Levant, ou dans le conflit avec la Turquie pour soutenir la Grèce. Et quand la France mène la charge à l’ONU contre l’oppression des Ouighours, elle se retrouve avec une petite douzaine de pays en soutien. Pour être efficace, il faut savoir parler à tous, aux petits comme aux grands. Faute de quoi, la politique française est souvent taxée d’arrogance. C’est d’ailleurs une contradiction dans la position du président : il veut pour l’Europe constituer un ensemble étroitement fédéral. Et il se retrouve souvent à faire cavalier seul. De Gaulle, qui savait parfois être seul, en inférait logiquement qu’il ne fallait pas dissoudre la souveraineté française…
Mais Isabelle Lasserre met bien le doigt sur la plaie. Sur quelque chose qui dépasse le seul cas de Macron. La France a-t-elle encore les moyens d’une grande ambition internationale ? Un pays qui ne représente plus que 4 % du PIB mondial, 1 % de la population, qui assume un système social onéreux, qui a une dette colossale risquant de devenir une bombe à retardement, peut-il peser d’un grand poids ? Poutine ne risque-t-il pas de poser à Macron la même question que Staline au Pape : « Combien de divisions ? » L’humiÂliaÂtion terrible que la France a subie dans l’affaire de la vente des sous-marins australiens est révélatrice du peu d’égards que nos propres alliés nous ménagent. Avant de pouvoir parler haut et fort dans le monde actuel où émergent de redoutables mastodontes, il faut refaire ses forces économiques et sociales et pouvoir s’associer à un certain nombre de partenaires fiables, si l’on ne veut pas se contenter de donner l’assaut aux moulins à vent.
Claude Dupont